Entrevue avec la militante française Caroline Fourest

Oui à la «charte de la laïcité» du PQ...

Même si cela peut priver les Québécois d'un argument fort en faveur de la souveraineté

Laïcité — débat québécois

Isabelle Porter Québec — Le projet de «charte de la laïcité» envisagé par le Parti québécois est «très pertinent» selon l'auteure Caroline Fourest. Même si une telle démarche peut priver, selon elle, les Québécois d'un argument fort... en faveur de la souveraineté.
«Le souverainisme est d'actualité au Québec parce que la question de la laïcité n'est pas réglée», fait valoir l'écrivaine, bien connue pour sa lutte contre les accommodements religieux. Elle affirme même avoir rencontré chez nous plusieurs personnes «qui sont devenues souverainistes à cause du débat sur les accommodements raisonnables».
Mme Fourest vient de publier un livre, La Dernière Utopie, dans lequel elle plaide que l'idéal «universaliste» des Nations unies est en train de disparaître et que le modèle des démocraties sécularisées se marginalise.
Cette intellectuelle dit se passionner pour le débat québécois sur les accommodements raisonnables parce que nous serions «aux portes» d'un virage vers le modèle anglo-saxon du multiculturalisme.
Elle s'arrêtait hier dans la capitale dans le cadre d'un colloque de trois jours organisé par le Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité (Cciel) auquel est associée l'auteure du livre Ma vie à contre-Coran, Djemila Benhabib. La présidente du Conseil du statut de la femme, Christiane Pelchat, la députée péquiste Louise Beaudoin et son ancienne collègue libérale Liza Frulla étaient du nombre des invités de l'événement, hier soir au Musée de la civilisation.
D'après Mme Fourest, en plus de permettre aux Québécois de s'entendre sur une «définition commune de la laïcité», une charte donnerait au gouvernement du Québec un levier supplémentaire pour contester certains avis de la Cour suprême en matière de liberté religieuse. «On pourrait dire: "Nous avons une charte de la laïcité qui a d'autres priorités". La charte de 1982 dit quasiment que la liberté religieuse prime les autres droits; notre charte dit le contraire.»
Mme Fourest, que Le Devoir a rencontrée dans un hôtel du Vieux-Québec pendant qu'à l'Assemblée nationale, l'ancien conseiller d'Hérouxville André Drouin plaidait pour la fermeture du «robinet de l'immigration», se dit par ailleurs frappée par le décalage entre la classe politique et la population en ces matières.
«Je crois que les Québécois sont très attachés à la laïcité et qu'ils sont inquiets de voir la liberté religieuse remettre en cause des valeurs communes de base comme l'égalité homme-femme par exemple.»
Priée de commenter le projet de loi 94, qui exige que les relations entre l'État et les citoyens se fassent à visage découvert, elle a parlé d'un effort «très timoré». Quant à la Fédération des Canadiens musulmans qui reprochait mercredi au gouvernement de prendre, avec cette loi, un «canon pour tuer une petite mouche», elle trouve que le canon en question est «bien petit».
Ce n'est pas parce que le niqab et la burqa ne sont portés que par une infime minorité au Québec qu'il ne faut pas légiférer, souligne-t-elle. «Je ne crois pas à l'argument du nombre. C'est plus facile de légiférer quand il y a très peu de cas. Quand c'est répandu dans la population, ça devient impossible.»
Au Québec, comme en France, elle observe que les gens n'osent pas critiquer l'intégrisme musulman de peur d'être traités de racistes, un sentiment qu'elle dit bien comprendre. «Quand on est progressiste, de gauche comme moi et que toute sa lutte, c'est d'abord de combattre l'extrême droite, le soupçon de racisme, c'est très dur à surmonter. Je préfère 1000 fois recevoir des menaces de mort. C'est plus franc et je peux gérer», lance la jeune femme.
Le problème central, ajoute-t-elle, est qu'on prend des revendications intégristes pour des revendications de nature culturelle. Elle rappelle que lorsque la France a décidé, en 2004, de bannir les signes religieux des écoles et des services publics, on prévoyait le pire. «On disait que les jeunes filles allaient fuir les écoles, se désinscrire, qu'on allait déclencher la révolution. Ça n'a pas été le cas et maintenant, personne n'ose remettre la loi en question. Ça a apaisé les écoles et les professeurs peuvent désormais se concentrer sur autre chose.»
Quant au projet de loi défendu actuellement par le président Nicolas Sarkozy sur l'interdiction du voile intégral dans l'espace public, il a comme faiblesse d'être porté par le mauvais messager, selon elle, Nicolas Sarkozy ayant créé un «climat lourd» avec ses «provocations» envers les immigrants qui a «fragilisé la laïcité».
À propos du voile intégral, Mme Fourest souligne qu'il vaut mieux en justifier l'interdiction au nom de principes comme la sécurité et la nécessité de pouvoir identifier les gens, par exemple. «Si on le fait au nom de l'égalité homme-femme, il faudrait aussi interdire le voile simple et je ne crois pas qu'il faille aller jusque-là.»


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->