Où logeront fatalement les juges du Canada...

Chronique d'André Savard

La commission parlementaire sur les écoles passerelles a donné lieu à un échange bizarre entre la ministre et Gilbert Paquette, porte-parole des Intellectuels pour la Souveraineté. Elle leur a demandé la liste de membres et, sans peser le point de vue soumis, la ministre a choisi de se quereller sur l’identité des auteurs. Face au mémoire elle voulait savoir qui avait été chargé de la tâche.
Elle allégua même être dans un pays encore libre pour justifier son droit de savoir. Il semble donc qu’il faille décliner son identité et bien savoir si on est dans les petits papiers des autorités pour parler. Ce réflexe d’attaquer le messager de la part d’une ministre qui a la mission de protéger un Etat français au-delà des clivages partisans a de quoi inquiéter.
La question pourtant demeure. Quelle est l’obligation qui ressort du droit canadien et des garanties constitutionnelles du Canada? Est-on devant l’obligation de garantir l’accès à l’école anglaise à la minorité anglophone ou doit-on faire du français une alternative individuelle au nom d’une opposition binaire entre les droits collectifs et individuels?
Si on commence par cette dernière classification, toute contestation de la loi 101 ne sera jamais fermée car le sort de la langue française passera après la légitimité de la contradiction entre le libre choix des individus et celui d’une collectivité de lui imposer la pratique d’une culture particulière. Le droit canadien est potentiellement un point d’appui à ceux qui défendent le réseau scolaire de la minorité anglaise et tout autant le point d’appui à ceux pour qui le français doit se borner à être un complément qui permet l’exercice du libre choix. On a raison de dire qu’explicitement, il n’y a pas d’obligation à l’enseignement pour tous dans sa langue de son choix. Cependant la loi canadienne est retorse et donne une marge de manœuvre pour déterminer quels sont les intéressés légitimes à l’enseignement dans la langue de son choix.
On a reproché à la cour suprême d’avoir imposé un usage radical de la philosophie des droits individuels. Il était clair cependant que ce n’est pas un accident. Cette philosophie au Canada devait servir d’alibi. Les droits individuels statuent au sujet de la position Québec et lui disent d’habiter une structure alternative.
Le flou est prévu pour que les magistrats puissent dire à la fois que l’on doit garantir l’accès à la scolarité en anglais et que le français est une mesure individuelle. Ceci fixe le double motif d’interprétation qui va inspirer les juges au présent et à l’avenir. Il est facile de voir où nous situe la flèche temporelle, le cours de l’évolution qui fatalement taille la loi 101 à la pièce. Faire du français une pratique collective qui s’oppose aux pratiques individuelles ordonne des remontées cycliques de la contestation.
En conviant le Québec au cas par cas, la cour suprême sait que le champ d’action laissé aux contestataires peut s’emballer. La cour suprême doit à la fois diminuer une loi qu’elle n’aime pas (la loi 101) puis tempérer avec l’objectif de maintenir des pans entiers du modus operandi que la loi 101 a établi pour ne pas détruire la paix sociale. Tout ce qu’elle peut faire pour ralentir la fatalité c’est de dire au Québec qu’il a le pouvoir temporaire de filtrer les demandes selon des règles transformables. Faire de la fréquentation de l’école anglaise une espérance individuelle à satisfaire moyennant des conditions évite une collision trop frontale entre la juridiction du Québec et l’appareil juridique canadien qui ne veut pas trancher trop vite dans le vif de cette loi.
La cour suprême administre au plan linguistique un cadre juridique construit expressément pour exagérer sa portée au gré du contexte. La cour suprême aurait pu s’arrêter à la protection de la minorité anglaise de souche. Même si par miracle cela arrivait, le brassage entre les deux motifs d’interprétation, dicte un retour inévitable à l’idéal du libre choix. Il y a à la base une logique de contestation qui n’existe pas ailleurs car les nations souveraines ne sont pas des structures alternatives d’accueil.
Il n’y a pas de moitié ouverte à la contestation et de moitié fermée à la contestation. La solution canadienne se voulait d’entrée de jeu radicale.
La ministre St-Pierre parle de l’image internationale du Québec. Or, il n’y a pas de nation qui accepterait ainsi d’assurer la puissance assimilatrice d’une autre langue pour en maintenir ou en agrandir l’importance. Les nations qui se feraient une mauvaise image du Québec accepteraient-elles qu’un gouvernement leur dise que leur langue d’usage doit demeurer une proposition qui s’adresse à des individus totalement libres de la refuser?
André Savard


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