Nouvelle position américaine sur le charbon: une occasion d'affaires pour le Québec?

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Il y a pourtant urgence en matière d'environnement

(Québec) S'il est toujours vrai que le malheur des uns fait le bonheur des autres, alors on se dit que le «plan vert» que le président américain, Barack Obama, a présenté cette semaine devrait réjouir pas mal de monde au Québec. Car à vue de nez, il tombe sous le sens qu'en limitant la production d'électricité des centrales au charbon, l'on crée des occasions d'affaires pour Hydro-Québec. Mais à bien y regarder, il n'y aura pas nécessairement que du bon là-dedans pour la Belle Province...
Lundi, devant le refus des républicains au Congrès d'approuver des mesures de luttes contre les changements climatiques, M. Obama a annoncé qu'il allait se prévaloir de pouvoirs présidentiels lui permettant certaines mesures unilatérales. Ainsi, d'ici 2030, les centrales thermiques des États-Unis devront réduire leurs émissions de gaz carbonique (CO2) de 30 % par rapport à 2005, qui sert d'année de référence. D'autres polluants de l'air, comme les oxydes d'azote et le dioxyde de soufre (qui contribuent au smog), doivent également reculer du quart.
Les «centrales thermiques», rappelons-le, sont celles qui produisent de l'électricité en brûlant des hydrocarbures - essentiellement du charbon et du gaz naturel, les centrales marchant au pétrole étant très rares. Et comme le charbon relâche près de deux fois plus de CO2 dans l'air que le gaz naturel pour une même quantité d'énergie produite, ce sont logiquement les centrales au charbon, dont les États-Unis tirent 38 % de leur électricité, qui feront les frais de ces nouvelles exigences.
Les États américains ne se verront pas tous imposer les mêmes exigences (certains ont déjà fait plus d'efforts que d'autres) et auront le choix des moyens. Mais c'est précisément ce qui fait dire à Steven Guilbeault, du groupe écologiste Équiterre, qu'il pourrait y avoir là une belle occasion pour le Québec.
«Il y a encore beaucoup de production d'électricité au charbon dans le Nord-Est américain. [... Certains États pourraient vouloir remplacer le charbon par du gaz naturel, mais] il n'y a pas énormément de possibilités dans le Nord-Est pour s'approvisionner en gaz de schiste qui viendrait du Dakota, par exemple, il n'y a pas énormément de pipelines qui vont vers le Nord-Est. Ça ouvre des possibilités intéressantes pour Hydro-Québec», dit-il.
Pas si propre, l'hydroélectricité
Il faudrait vraisemblablement pour cela que des États finissent par reconnaître l'hydroélectricité comme une énergie «propre» - ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle, divers lobbies ayant historiquement plaidé, avec succès, que l'inondation des terres rendait l'«hydro» dommageable pour l'environnement. Mais la Nouvelle-Angleterre pourrait se laisser tenter, comprend-on d'un rapport du New England States Comittee on Electricity publié l'automne dernier. Et de nouveaux objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES) à atteindre pourraient accélérer le processus.
En outre, l'adhésion à des «marchés du carbone», où des entreprises qui polluent moins peuvent vendre des droits de rejeter du CO2 à d'autres, fait partie des moyens à la disposition des États américains, ce qui pourrait en inciter quelques-uns à se joindre à des bourses du carbone. Ici aussi, dit M. Guilbeault, le Québec pourrait y trouver son compte, car il est l'unique membre actif d'un tel marché, le Western Climate Initiative (WCI), avec la Californie. Plusieurs groupes industriels ont fait valoir, ces dernières années, que cet isolement fera encourir des coûts aux entreprises québécoises que leurs concurrents n'auront pas dans les pattes.
Le plan Obama pourrait donc amener de nouveaux joueurs dans la WCI et calmer (jusqu'à un certain point) ces inquiétudes économiques.
Mais c'est aussi une arme à double tranchant, avertissent des experts. Dans son rapport dévoilé l'hiver dernier, la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec recommandait justement de sortir de la WCI parce que, la Belle Province produisant déjà presque toute son électricité de sources renouvelables, elle aura plus de mal que la Californie à trouver des façons de réduire ses émissions de GES. Et comme ce marché attribue un prix sonnant et trébuchant pour chaque tonne de CO2 rejetée dans l'atmosphère, et que les plafonds totaux de «permis de polluer» diminueront d'année en année, cela risque de drainer des capitaux québécois vers le Golden State.
Or ajouter des joueurs à la WCI n'arrangera rien: au contraire, cela pourrait même empirer les choses si les nouveaux participants sont de gros pollueurs.
«Ce n'est pas inéluctable, mais c'est vers ça [une fuite de capitaux] qu'on s'en va, pronostique l'économiste de l'énergie des HEC Pierre-Olivier Pineau. Il y aura une fuite des capitaux uniquement si le Québec ne fait rien pour diminuer ses GES. Et encore, les entreprises québécoises devraient acheter des crédits pour leurs émissions, mais cela signifierait aussi qu'elles auraient moins investi pour les réduire. Mais pour éviter une fuite de capitaux, cela va prendre des gros efforts du côté des transports [principale source de GES au Québec, NDLR], et ce n'est pas ça qu'on fait jusqu'à maintenant.»
En outre, ni M. Pineau ni le physicien de l'Université de Montréal Normand Mousseau (qui a codirigé la Commission sur les enjeux énergétiques) ne sont convaincus que la nouvelle position américaine sur le charbon sera une occasion d'affaires pour le Québec. D'abord, dit l'économiste, parce que le marché naturel d'Hydro-Québec est la Nouvelle-Angleterre, «qui a déjà un marché du carbone. Il ne concerne que la production d'électricité, mais ses objectifs sont élevés. En soi, ça pourrait amener de nouvelles ventes pour Hydro-Québec, mais pas le plan d'Obama».
Une bonne partie de cette question se jouera sur la reconnaissance de l'hydroélectricité comme une énergie propre, estime pour sa part M. Mousseau. Si la Nouvelle-Angleterre peine à atteindre ses objectifs, cela pourrait l'inciter à enfin inclure la «grande hydrolienne» dans son portfolio vert. Mais «ce qu'on voit, c'est qu'il y a déjà eu des réductions de GES dans les dernières années qui sont plus fortes que ce qui est demandé dans le plan Obama. [...] C'est certain que les centrales au charbon les moins performantes ont été fermées en premier, et donc il reste à voir si ce rythme sera maintenu». Mais ce n'est pas gagné d'avance, dit le physicien.
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Ottawa sous pression
«C'est difficile d'atteindre des objectifs [de réduction des gaz à effet de serre, NDLR] quand votre principal partenaire commercial - et le partenaire avec lequel vous partagez le même air - ne s'est lui-même pas fixé d'objectifs. [...] Ce dont les Canadiens ne veulent pas, c'est de nous voir réduire nos émissions pendant que d'autres pays augmentent les leurs, et de voir l'économie canadienne en souffrir.»
Il y a longtemps que le premier ministre Stephen Harper, dont cette citation remonte à 2007, dit qu'il n'engagera pas le Canada dans des efforts conséquents pour réduire les GES tant que nos voisins du sud n'en feront pas autant.
Mais les temps ont bien changé depuis. Les États-Unis ont des objectifs de réduction de GES, soit - 17 % sous les niveaux de 2005 d'ici 2020, soit les mêmes que ceux du Canada. Le plan dévoilé par Barack Obama lundi montre que l'Oncle Sam y met un minimum de sérieux - et semble de plus en plus s'attendre à ce que le Canada en fasse autant.
Mardi, dans un discours prononcé à Ottawa, le nouvel ambassadeur américain Bruce Heyman a mis de la pression sur le gouvernement Harper en déclarant que «l'abondance de l'énergie retrouvée en Amérique du Nord ne doit pas nous détourner de la nécessité d'améliorer notre efficacité énergétique et notre combat contre le changement climatique. Ce n'est pas une tâche que nous pouvons entreprendre individuellement.»
Et ce n'était pas le premier appel du pied que les États-Unis lançaient au Canada. En juillet dernier, le président Obama a déclaré que «le Canada pourrait potentiellement en faire plus pour atténuer les rejets de carbone» de l'industrie des sables bitumineux, et que de telles mesures rendraient le projet de pipeline Keystone XL (qui doit relier l'Alberta aux raffineries du Texas) plus acceptable.
«Ça s'inscrit dans un continuum. [...] Ça fait plus d'un an que Washington envoie des signaux», remarque le militant écologiste Steven Guilbeault.
Pas demain la veille
Mais il serait étonnant que cela fasse bouger Ottawa. D'abord parce que la nouvelle cible n'est pas encore en vigueur, qu'il y aura toutes sortes de délais et qu'elle sera possiblement contestée devant les tribunaux.
Mais aussi parce que la réaction qu'a eue Stephen Harper cette semaine laisse entendre qu'il considère que le Canada a fait sa part. Le premier ministre a en effet rappelé que le Canada avait déjà pris des mesures similaires sur le charbon en 2012 - ce qui, comme c'est souvent le cas en politique, n'est ni tout à fait vrai, ni complètement faux.
En effet, le fédéral interdit désormais de construire des centrales thermiques qui génèrent plus de 0,4 tonne de CO2 par mégawatt-heure d'énergie produite, une condition pratiquement impossible à respecter pour une centrale au charbon. À moyen ou long terme, cela aura certainement un impact bénéfique, mais ça ne s'applique qu'aux centrales à venir et n'oblige les centrales existantes à rien du tout.
«Ça lui permet de dire qu'il a agi sans avoir eu à faire grand-chose, finalement», analyse l'économiste de l'énergie Pierre-Olivier Pineau.
Et puis, à politiques égales, le sacrifice est nettement plus grand pour les États-Unis, qui tirent 38 % de leur électricité du charbon, contre seulement 8 % pour le Canada.
«Il n'y a aucun plan responsable de réduction des GES au Canada», déplore M. Pineau.
Pas étonnant, donc, que divers observateurs aient rappelé cette semaine que le Canada n'est pas parti pour atteindre ses objectifs (assez modestes) de réduction des GES, alors que les États-Unis, eux, le sont...


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