Élections fédérales : le Canada a implosé

Non, les Québécois n'ont pas perdu le Nord

Le seul fil qui retient encore le Québec au Canada est le NPD

Chronique de Richard Le Hir



Avec mes remerciements à MM. Michel Dion et Gérald McNichols Tétrault pour m’avoir, dans leurs articles et leur débat, montré tout l’intérêt de la Boussole électorale.

***
À quelques jours du début de la campagne électorale qui vient de se terminer, m’appuyant sur un texte que j’avais écrit au lendemain de la campagne électorale fédérale précédente, j’écrivais, dans « Le est sur le bord de l’implosion » :

« Combien de temps le Canada est-il encore capable de tenir avec la présence à Ottawa d’une forte représentation du Québec qui refuse de participer au gouvernement du pays ailleurs que dans l’Opposition ? Réponse : pas très longtemps. »

On sait maintenant que le Québec a choisi une fois de plus de se ranger dans l’opposition, sous la bannière du NPD cette fois-ci. Mais l’important est que le Québec est une fois de plus dans l’opposition, et que cette opposition n’a jamais été aussi claire. En effet, le 2 mai, le Québec a dit très clairement qu’il ne voulait rien savoir de la direction dans laquelle le Canada est engagée.
Comme cette direction est incarnée par le parti Conservateur, le Québec a choisi d’appuyer le parti fédéraliste qui se situe aux antipodes du Parti Conservateur, le NPD. En appuyant aussi massivement le NPD (42,9 %) s’est trouvé non seulement à répudier le Bloc Québécois (23,4 %) qu’il appuyait majoritairement depuis presque vingt ans, mais il a aussi signifié très clairement au Parti Libéral du Canada qu’il pouvait encore moins l’appuyer que le Parti Conservateur (14,2 % PLC, 16,5 % PCC).
Le rejet des deux vieux partis (le PCC et le PLC) est irrémédiable, l’un pour cause d’incompatibilité de valeurs, l’autre pour cause de trahison.
En effet, les valeurs défendues par le PCC (même s’il serait plus juste de parler du Reform Party qui s’est retrouvé à prendre le nom de l’ancien Parti Progressiste-Conservateur après que celui-ci eût été balayé de la carte à la fin des années Mulroney), les valeurs de la droite républicaine américaine, sont à l’opposé des valeurs sociales-démocrates des Québécois.
Quant au PLC, ses appuis sont en chute libre au Québec depuis la Nuit des longs couteaux en 1981, le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982, la répudiation de l’Accord du lac Meech en 1990, le « love-in » de 1995, la Loi sur la clarté en 2000, le scandale des commandites en 2005, le scandale Option-Canada en 2007, et l’effet halo du désaveu de Jean Charest et du PLQ. Ça fait beaucoup pour un même parti, et cette année, même ses appuis les plus irréductibles ont commencé à lui faire défaut. Il ne s’en remettra jamais, et c’est pourquoi ses principaux dirigeants parlent désormais d’une fusion avec le NPD.
Quant à ce dernier, il est parvenu à faire élire 58 députés au Québec en plantant une forêt de poteaux, lui qui n’était jamais parvenu à y faire élire plus qu’un député à l’occasion d’une élection. Même dans ses rêves les plus fous, le NPD n’aurait jamais osé penser faire élire plus de 5 députés au Québec cette fois-ci. Au moins 70 de ses candidats étaient donc des poteaux, et sur le nombre, en lui concédant 5 espoirs légitimes, 52 de ces candidats poteaux ont été élus.
Le NPD n’a aucune racine profonde au Québec, son organisation y est embryonnaire, il n’était pas préparé à la mission qui lui échoit, il a dans le passé tenu des positions qui heurtent de front la sensibilité des Québécois et qui vont diamétralement à l’encontre de leurs intérêts et de ceux du Québec. Dire que les tensions risquent d’être vives est un euphémisme ! Et des voix (de toute façon suspectes) de s’élever aussitôt pour acclamer la démocratie ! C’est plutôt de « démocrassie » qu’il s’agit.
Avant d’examiner le cas du Bloc, et pour comprendre le rejet dont il a été victime, il faut comprendre le contexte dans lequel les Québécois et les Canadiens avaient à se prononcer, un contexte constitué d’enjeux, et leur positionnement face à ces enjeux. Or, malgré les réserves qu’il faut avoir sur le procédé, largement compensées par la taille et la représentativité de son échantillonnage (1 952 540 personnes au 9 mai), c’est la Boussole électorale de Radio-Canada qui nous renseigne le mieux.
Selon l’information sur le site Boussole électorale

« La Boussole électorale est un outil d’éducation sur les élections. Elle vise à encourager la participation et à stimuler la discussion sur les plates-formes des partis.
La Boussole est conçue pour offrir des informations sur la place des partis dans le paysage politique. On y trouve une importante base de données qui permet aux utilisateurs de comparer leurs opinions sur une série de questions avec celles des partis politiques. Notre équipe de chercheurs a épluché discours, programmes, déclarations politiques et transcriptions d’entrevues pour offrir aux électeurs une vue claire et concise des positions des partis. 
Les professeurs André Blais (Université de Montréal), Elisabeth Gidengil (Université McGill), Richard Johnston (Université de la Colombie-Britannique) et Neil Nevitte (Université de Toronto) [ont supervisé] le projet [...].»

La Boussole électorale posait 30 questions qui résumaient les enjeux sur lesquels les Canadiens de toutes les provinces estimaient avoir à se prononcer lors du dernier scrutin. Or à chacune de ces 30 questions les Québécois ont répondu de façon presque diamétralement opposée à celle ses autres Canadiens, illustrant on ne peut plus graphiquement la profondeur du fossé qui les sépare.
À ce degré d’opposition, on est porté à se dire que s’il y avait eu dix ou quinze questions de plus, les résultats n’auraient fait qu’illustrer encore davantage le caractère irréconciliable des différences.
En fait, le résultat des élections et les réponses apportées aux questions de la Boussole électorale nous permettent de comprendre que le Canada a, à toutes fins pratiques, implosé, et que le seul fil politique qui retient désormais le Québec au Canada est le NPD. La simple énonciation de ce fait nous permet de comprendre l’ampleur du défi qui attend le NPD et toute son impréparation.
Voilà qui jette un tout autre éclairage sur la défaite du Bloc Québécois. En effet, ce que la Boussole politique nous montre, les Québécois le pressentaient intuitivement, et ils ont jugé que le moment était venu de recourir à une autre stratégie, presque machiavélique, pour éviter de se retrouver dans le piège de 1995 où ils ont offert au ROC le spectacle de leur division sur la question de l’accession à l’indépendance et lui ont permis ce faisant de s’immiscer dans le débat et d’en fausser l’issue.
Les Québécois n’ont donc pas du tout perdu le Nord à l’occasion de la dernière élection.
S’ils ont laissé tomber le Bloc, c’est qu’ils ont senti que sa présence ne faisait pas avancer le débat, qu’elle les condamnait à l’immobilisme, un immobilisme dont s’accommodait au fond fort bien le ROC. En appuyant aussi massivement le NPD, ils font bouger les lignes, non pas au péril du Québec, mais au péril du Canada. On joue désormais sans filet, et le moindre dérapage sera difficilement rattrapable.
Au fond, ce que les Québécois souhaitent, c’est que le jour où ils seront de nouveau consultés sur l’avenir du Québec, la question soit déjà réglée d’avance, et que le référendum ne soit plus qu’une formalité. Les réponses apportées aux questions 25, 26 et 27 du questionnaire de la Boussole électorale garantissent en effet que la question leur sera éventuellement posée.
Non seulement le ROC refuse-t-il totalement de reconnaître le Québec comme une nation (Q. 26), mais en plus il prétend que le gouvernement fédéral devrait avoir son mot à dire dans les décisions concernant la culture au Québec (Q. 25). Difficile d’aller plus loin dans la provocation. Quant au Québec, les Québécois estiment qu’il devrait devenir un État indépendant, et le reste du Canada s’y oppose catégoriquement.
Plusieurs analystes estiment que, en évacuant le Bloc, les Québécois ont signifié très clairement leur intention de rapatrier au Québec le débat sur l’indépendance. En toute déférence, je crois qu’ils se trompent. Les Québécois ont justement décidé de faire tout le contraire. Leur souvenir des déchirements provoqués par les débats référendaires est trop cuisant pour qu’ils s’y engagent sans la certitude de l’emporter. Il faut donc d’abord que le Canada s’écrase.
Il est bien parti.


Laissez un commentaire



4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mai 2011

    Bravo! Je cherchais une raison plausible pour cette marée NPD! C'est exactement ce que je pensais!
    Avec des fascistes conservateurs en majorité à Ottawa; "Jack" et sa garderie de p'tits morveux à la Chambre des communes, ce n'est qu'une question de temps avant que la merde frappe le mur!
    J'ose espérer que Gille Duceppe et sa superbe équipe bloquiste sont maintenant "underground" à préparer avec l'aide du Parti Québécois du RRQ et autres sympatisants, l'indépendance du Québec, mon pays!
    Franco-Ontarien de naissance mais Québécois de coeur!
    À 58 ans, je ne suis qu'un jeune souverainiste. Le 15 avril 2011, après le débat français des chefs, j'ai finalement compris!
    Vivre mon Québec fière et indépendant!!! J'ose espérer le voir avant que je crève!!!
    Guy Racicot ;-)
    Gatineau, Québec

  • Gino-Robert Deschênes Répondre

    9 mai 2011

    Bonjour monsieur Le Hir, d’entrée de jeu je ne suis pas un grand connaisseur en politique et je demeure convaincu que l’avenir du Québec passe par son indépendance. Ma question est plus au niveau de l’avenir du NPD et du PLC. Vous dites :’’Il ne s’en remettra jamais(en parlant du PLC), et c’est pourquoi ses principaux dirigeants parlent désormais d’une fusion avec le NPD’’.
    Vous savez je suis bien content de voir la débandade du PLC et très malheureux de celle du Bloc. J’ai une question sur l’avenir du NPD : Sachant que pour satisfaire le Québec il devra déplaire au Roc et vice-versa, alors comment pourra-t-il augmenter ses votes dans le Roc tout en maintenant ses appuis au Québec lors de la prochaine élection fédérale dans 4ans ? J’ai bien peur que les libéraux reviennent en force dans le ROC si le NPD nous en donne un peu trop…et si le NPD ne satisfait pas les demandes du Québec, ben on va pouvoir enfin en tout cas je l’espère passer a l’indépendance du Québec ! C’est donc à mon avis une mission impossible pour le NPD et je crois que cette vague va disparaître très rapidement. Enfin pour ce qui est de la boussole électorale si j’ai bien compris ce sont les fédéralistes eux-mêmes qui nous disent que les Québécois sont désireux d’avoir un état indépendant…WOW ! Y pourront pas dire qu’on a triché… En terminant je crois qu’il y aura un nombre de députés du NPD qui vont passer au Bloc dans les prochains mois…en tout cas je l’espère ! Continuer votre excellent travail monsieur Le Hir !
    Gino Deschênes, Lac St-Jean !

  • Roger Kemp Répondre

    9 mai 2011

    Je rajouterais à votre texte monsieur Le Hir qu'après analyse du déplacement des votes, nous serons toujours confrontés à ces personnes peu ou à peu près pas politisées qui vont selon la tendance du vote au gré des campagnes.
    Il faut donc s'assurer du vote de notre base et préparer les autres avec des argumentaires bien étoffés comme vous savez si bien le faire. J'ai proposé aux instances politiques du PQ de mettre en ligne sur leur site un argumentaire permettant à quiconque de trouver réponse à ses interrogations sur la souveraineté. Faudra rester vigilant car le camp adverse va quand même réagir à nos actions.
    Je reste confiant que la prochaine fois sera la bonne et que nos opposants fédéraux, tôt ou tard ferons l'erreur fatale qui permettra une sensibilisation du vote en faveur de notre idéal.
    Souverainement vôtre.
    Roger Kemp, ork@videotron.ca, Trois-Rivières, 9 mai 2011.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mai 2011

    Bravo pour votre article, votre vision politique reste toujours juste et éclairée.
    En effet le vote massif jackiste des québecois doit être interprété comme un « Last-Call Canada »..! La balle est dans le camp du Fédéral, et seul ce fil « fragile » (NPD) tient le Québec au Canada. Pour combien de temps..? Et quand on voit de vieux canons libéraux tel Jean Chrétien tirer à boulets rouges sur ces nouveaux députés NPD inexpérimentés et absents de leurs comtés, on sent cette frustration et cette crainte du ROC sur cette fragilité jamais atteinte sur l'unité canadienne. Nous pouvons parler d'éveil du Québec
    La fameuse question 27 de la boussole est claire, les québecois sont différents et tiennent à cette différence. De l'a s'impose le projet de pays [voir analyse].
    Quant à M. Charest, il a beau « taper » sur la tête des québecois en nous disant que ces derniers, avec ce vote NPD, ont dit non à la souveraineté [non au pays..?] son message ne passe pas. Il doit rire orange-jaune ! L' establishment canadian n'a jamais été aussi craintif face au Québec qui se dessine aujourd'hui.
    De nos jours, l'Internet et les réseaux sociaux sont devenus une puissance de diffusion alternative et même menaçante pour les médias conventionnels contrôlés. Nos politiciens commencent à s'en rendre compte, et jamais ils ne pourront contrôler chaque individu. À nous d'allez au front..!
    Bonne semaine;
    Michel Dion (iiibooo sur twitter)

    Site web:MaLys.ca

    JeMeSouviens.info