Neutralité vs Objectivité

Le pays, c’est tous ensemble que nous le ferons ou alors il ne se fera pas.

Tribune libre

Je me permets ici de répondre à monsieur Pierre Bouchard par la voix de la Tribune Libre parce que je crois sincèrement que nous devrions prendre conscience de l’importance d’entretenir les qualités essentielles que sont l’objectivité et la neutralité et du rôle qu’elles tiennent selon les circonstances, dans nos relations parfois passionnées, parfois tumultueuses, parfois émotives dans nos échanges entre Vigiles.
Monsieur Bouchard,
l’objectivité dans le sens où vous employez le mot, désigne l’absence d’éléments affectifs ou personnels dans le jugement que l’on porte par rapport à un individu, des événements ou toute espèce de situation. On parlera également d’impartialité.

Être objectif consiste donc à s’en tenir aux faits en se plaçant du point de vue de leur apparition et de leur déroulement tout en sachant faire abstraction de ses préférences et en restant conforme à la réalité.
La neutralité consiste à ne prendre parti ni pour l’un ni pour l’autre des participants à une discussion, des camps qui s’affrontent dans un conflit, qui luttent pour des causes antagonistes ou pour toute espèce de raisons impliquant des idées où divergent les opinions et les arguments pour les faire valoir.
On peut être parfaitement objectif sans être pour autant neutre ou être neutre sans être objectif. Par exemple, on peut devenir objecteur de conscience en restant neutre face à nos préférences, nos croyances, nos valeurs ou à nos prises de position habituelles. On peu aussi, par respect pour les valeurs ou les croyances d’autrui ne pas être objectif, mais rester neutre. Tout comme on peut ne pas être neutre du tout pour les mêmes raisons, mais préférer rester objectif. Il arrive même que l’on devienne l’allié objectif d’individus ou de groupes dont le comportement ou les objectifs servent les intérêts de quelqu’un ou d’une cause avec lesquels nous n’avons pas nécessairement d’affinités. Finalement, on peut être neutre et objectif et voir toutes choses égales par ailleurs. Salomon est l’exemple le plus classique de cet équilibre parfait entre objectivité et neutralité; ses jugements en faisant foi.

Lorsque vous dites : “ Ainsi au Québec pendant longtemps, les journalistes se disaient tous neutres, sans opinion. Et la majorité des journalistes continuent à penser de cette façon, c’est-à-dire qu’il est impératif pour eux de cacher au public leurs propres opinions. Ils cachent leurs allégeances, convaincus que c’est leur devoir de le faire, que c’est la profession qui l’exige. Voilà une erreur fondamentale. C’est une question de confiance. On écoute quelqu’un en qui on peut avoir confiance. On ne peut pas avoir confiance en quelqu’un qui nous cache ce qu’il pense vraiment. ”
Il est tout à fait normal que nous nous attendions à ce qu’un journaliste demeure neutre, autrement les informations qu’il nous transmettrait seraient teintées de ses préjugés, de ses croyances ou de ses attentes. Nous nous attendons plutôt à ce qu’il reste neutre et objectif afin que ce qu’il nous communique soit le plus possible conforme aux faits rapportés. Bien sûr, dans le cas d’un reportage effectué par un journaliste d’enquête, les choses sont différentes et peuvent donner lieux à des prises de position plus subjectives et moins impartiales. Mais encore là, nous assistons parfois à des dérives malheureuses qui prennent leurs sources dans la ligne éditoriale de l’organisme pour lequel œuvre le professionnel concerné. Les choses sont rarement « tout noir ou tout blanc ». La désinformation tient hélas une place non négligeable dans le monde de l’information, dont les ficelles sont pour la majeure partie du temps tirées par les maîtres à penser des oligarchies, eux-mêmes au service d’un impérialisme dont les têtes dirigeantes restent dans l’ombre.
Il faut bien comprendre qu’il existe des « niveaux de perception» de la réalité. Notre cerveau enregistre les faits sans distinction ; qu’ils soient réels, imaginaires ou virtuels. C’est ainsi que les grands consortiums d’information, manipulés par les officines gouvernementales ou les agences para gouvernementales, quand ils ne sont pas leurs alliés, nous présentent en boucles images, commentaires, affirmations péremptoires de députés ou de chefs d’État qui exacerbent nos sentiments et flattent notre ferveur nationaliste tout en nous faisant les complices de leurs politiques tordues et de leurs manipulations.
Comment savoir alors si ce que vous raconte un adversaire est vrai et en conformité avec ce qu’il pense ? Comment pourrez-vous croire en sa franchise tout en n’endossant pas ses propos ? Sur quoi vous baserez-vous pour faire les nuances qui s’imposent, si tant est qu’il y en ait ? Comment pouvez-vous avoir peine à faire confiance aux propos d’un allié dont vous savez en tout temps qu’il cache ses opinions et qu’il manque quelque chose alors que vous partez du principe que son discours a perdu sa valeur parce que ce qui le sous-tend est caché ? Ce genre de raisonnement tient du sophisme d’amphibologie et ne mène nulle part. On pourrait le comparer à l’image du chien qui se mord la queue.
Lorsque vous écrivez : “ […Je n’écoute presque plus les nouvelles de la SRC, ou si peu, à cause de cela. Les journalistes et la ligne éditoriale se veulent neutres, sans opinion, ce qui leur permet de dire une chose et son contraire le lendemain sans jamais avoir besoin de se justifier. En tout temps ils sont « du bord de tout le monde », ils sont protégés par leur neutralité artificielle. Je préfère souvent écouter les nouvelles au canal V avec Mario Dumont et ses collaborateurs même si, sauf quelques exceptions, je suis la plupart du temps en désaccord avec ce qui se dit à cette émission…],
Croyez-vous que Dumont et cie soient moins « du bord de tout le monde » que les autres ? Détrompez-vous, ils tentent comme eux de s’attirer les meilleures cotes d’écoute et sont prêts à n’importe quelle entourloupette démagogique pourvu que soit capté leur auditoire. En fait, ça devient à ce point affectif qu’ils gagnent la confiance de ceux qui les écoutent pour n’importe quelles raisons sauf celles qui concernent la « réelle réalité » des sujets dont ils traitent.
Voilà un concept qui malheureusement échappe complètement au post-modernisme et qui permet aux mondes imaginaires et virtuels d’occuper la plus grande part de l’espace médiatique.
La « réelle réalité » pourrait s’apparenter aux paroles du Christ dans l’évangile de Matthieu lorsqu’il dit : “ Tu dis oui, oui ; non, non ; ce qu’on y ajoute vient du malin. ” Autrement dit : “ Tu regardes et acceptes les choses telles qu’elles sont ; tu refuses de transformer les faits pour quelque raison que ce soit ; tout ce que tu feras pour qu’il en soit autrement tiendra de la duplicité, du mensonge ou de la tromperie. ”
Prétendre que : “ […L’engagement, le courage de ses convictions, afficher au grand jour son identité et ses intérêts, voilà la première condition à l’honnêteté... ] risque de vous occasionner bien des désillusions. Aucun manipulateur, aucun arnaqueur, aucun honnête homme et aucun violeur n’agissent autrement. Lequel ment, lequel manipule, lequel arnaque, lequel viole, lequel dit la vérité ? On le sait presque toujours après leur avoir fait confiance.
Nous comprenons parfaitement que monsieur Frappier n’est pas neutre, étant donné qu’il dirige un site d’opinion et de discussion dont le but premier est de promouvoir l’indépendance du Québec et de défendre les points de vue qui en font la promotion tout en démasquant les ennemis de la démocratie québécoise.
Ce qui ne l’empêche nullement d’être objectif.
Vous affirmez vous-mêmes que : “ [… Pour ce qui est de l’objectivité nécessaire pour s’occuper d’un média grand public comme Vigile, je crois qu’il serait bien difficile de tenter de prouver que M. Frappier n’est pas objectif. Difficile aussi de tenter de prouver qu’il l’est. C’est une question de perception, de confiance…] ”
Voilà essentiellement là où se situe mon intervention auprès de monsieur Frappier et voilà pourquoi je me pose en faux contre l’exclusion de M. Archambault, tout en doutant de l’objectivité de monsieur Frappier dans ces circonstances. Pour le reste, je ne remets à aucun prix en question le droit de M. Frappier de décider ce qu’il voudra. J’essaie de demeurer objectif tout en sachant que je ne suis pas neutre, ayant pris fait et cause pour M. Archambault.
Finalement, je vous dirai que j’ai pris le temps de lire très attentivement les échanges que vous avez eu avec M. Archambault et que j’y ai vu des débats fastidieux, mais valides entre deux individus forts de leurs convictions à propos de la réelle nécessité de l’union des nos forces politiques d’une part et d’une tendance anti PQ/Bloc québécois jugée inutilement agressive et improductive d’autre part.
Je n’y ai pas observé de manque de respect ou d’absence de considération pour vos positions, mais j’y ai reconnu l’ardeur d’un interlocuteur passionné et rigoureusement déterminé à vous faire voir et comprendre son point de vue. De la même façon, j’ai perçu chez vous un authentique désir d’ouverture au dialogue. Tout est affaire de perception, et nos émotions nous trahissent parfois en nous faisant perdre notre objectivité pour nous amener à certains débordements qui n’ont plus rien à voir avec la « réelle réalité ». C’est comme dans la fable de Lafontaine : “ [… On avait mis des gens au guet qui, voyant de loin certain objet, ne purent s’empêcher de dire que c’était un puissant navire. Quelques moments après l’objet devint brûlot, et puis nacelle, et puis ballot. Enfin, bâton flottant sur l’onde. J’en sais beaucoup de par le monde à qui ceci conviendrait bien. De loin c’est quelque chose, mais de près ce n’est rien. ”
Monsieur Archambault et vous poursuivez le même but : voir naître le pays. Lorsque M. Archambault utilise des expressions comme « n’importe quoi », « vraiment ? », « non pas », etc., il use de ses idiosyncrasies et tous ceux qui le connaissent savent bien qu’il n’y a là rien de méprisant ou de condescendant. Sachez que je me suis moi aussi fait prendre au piège de mes propres présupposés au début de mes échanges avec lui. J’ai pu heureusement échapper à ma subjectivité et retrouver mon objectivité ; ce qui m’a permis d’établir une communication ouverte et enrichissante avec un authentique patriote. Chacun de nous sommes ce que nous sommes. L’essentiel étant invisible pour les yeux, il nous reste le cœur pour le ressentir. Vous avez un grand cœur, vos textes parlent pour vous. Je ne voudrais pas que nous soyons privés les uns des autres parce que le pays, c’est tous ensemble que nous le ferons ou alors il ne se fera pas. Cela, des hommes comme M. Archambault s’en sont fait les porte-parole, tout comme M. Cloutier que vous citiez, comme notre webmestre et comme la majorité de ceux qui interviennent sur Vigile.net.
Claude G. Thompson


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3 commentaires

  • L'engagé Répondre

    25 juillet 2011

    Indépendamment de l'enjeu, c'est un TRÈS BON TEXTE...

  • Stéphane Sauvé Répondre

    25 juillet 2011

    Formidable votre billet. Merci pour cette belle ouverture, on sent votre coeur parler. C'est du bon pain pour notre projet....
    SSB

  • Archives de Vigile Répondre

    24 juillet 2011

    Bonjour M. Thompson,
    Je suis flatté, merci de vos bons mots à mon endroit, je suis heureux que nous demeurions ensembles malgré nos différences.
    Je relève un point, vous dites :
    « Il est tout à fait normal que nous nous attendions à ce qu’un journaliste demeure neutre, autrement les informations qu’il nous transmettrait seraient teintées de ses préjugés, de ses croyances ou de ses attentes. Nous nous attendons plutôt à ce qu’il reste neutre et objectif afin que ce qu’il nous communique soit le plus possible conforme aux faits rapportés. »
    Précisément nous nous attendons à la neutralité des messagers et je dis là-dessus que ce n’est pas possible. Je dis que même en apparence et en toute bonne foi, les préjugés, la personnalité et la mentalité du messager forgent son opinion et sa façon de présenter les faits « objectivement ». Même si elle est voulue par le lecteur et clamée par le messager, la neutralité n’est jamais parfaite, elle teinte nécessairement le discours.
    C’est comme se faire des accroires que de s’en tenir à ceux qui se déclarent neutres. Vous le savez bien, plusieurs gens qui ont pris position et qui ne sont pas neutres sont tout de même capables d’être objectifs. Dans mon texte j’ai voulu montrer cette différence cruciale entre être neutre et être objectif.
    A propos de l’émission télé de Mario Dumont, voici : au moins je sais qui il est et je suis confiant (autant qu’on peut l’être en regardant la télé) que ce qu’il présente est conforme à ce qu’il est. Il dit ce qu’il pense. Ma confiance s’arrête là mais il n’y a pas d’ambiguïté ou tellement de zones d’ombres comme c’est le cas avec une présentation de la SRC. Ceci dit vous avez raison, l’exposition permanente à un discours forge petit à petit notre consentement. Je ne dis pas qu’il vaudrait mieux que la majorité des gens regardent les nouvelles de V plutôt qu’à la SRC, je ne dis pas ça.
    Pour ce qui est de M. Archambault, la dernière chose que je voudrais serait d’être en travers de son chemin. Si les actes de M. Archambault favorisent un jour notre émancipation, il faudra le remercier et le féliciter. Je vous remercie chaleureusement d’avoir pris la peine de me lire et d’avoir compris qu’il n’y eut jamais de haine ni de volonté de détruire.
    Mes salutations