Que Stephen Harper réussisse à sauver son gouvernement quelques semaines par prorogation du Parlement ou qu'il soit battu aux Communes la semaine prochaine, il semble désormais acquis qu'il perdra le pouvoir.
Mais le Parti conservateur perdra plus que le pouvoir à cause d'un pari mal avisé de son chef; il perdra les fruits d'années d'efforts pour reprendre sa place sur l'échiquier politique canadien.
Après avoir patiemment forgé l'alliance des forces de droite sous un même chapeau, après avoir chassé les libéraux du pouvoir et après s'être méthodiquement rapproché de la majorité, Stephen Harper a tout balancé en essayant, à des fins bêtement partisanes, de faire avaler des capsules de cyanure aux partis de l'opposition.
Chose certaine, Stephen Harper a déjà perdu le respect de nombreux conservateurs, renversés de voir le pouvoir si chèrement gagné leur glisser entre les mains.
«J'ai beau chercher, je ne vois pas comment les brillants stratèges ont pu faire preuve d'un tel excès de confiance, ou d'arrogance, ce qui serait encore pire!» maugréait hier matin un conservateur en poste au gouvernement.
Cette fatale erreur stratégique ne laisse plus beaucoup de choix à Stephen Harper. La seule façon, maintenant, de sauver sa peau pour quelques semaines, c'est de demander à la gouverneure générale de proroger le Parlement jusqu'en janvier, ce qui aurait pour effet de reporter le vote de confiance dans quatre ou cinq semaines.
La manoeuvre est désespérée et elle ne fera vraisemblablement que retarder l'inévitable.
Les trois chefs des partis de l'opposition ont fait la preuve hier qu'ils sont prêts - et empressés - de former un gouvernement de coalition pour remplacer celui de Stephen Harper.
N'ajustez pas votre appareil, vous avez bien vu Stéphane Dion (l'increvable) entouré de Jack Layton et de Gilles Duceppe, hier après midi, en train de parler de gouvernement de coalition dans la grande salle des chemins de fer des Communes.
Plus besoin de consommer des substances illicites pour halluciner au Canada, suffit de regarder RDI en direct en plein après-midi.
Première des choses: Stéphane Dion et Gilles Duceppe reviennent sur leur opposition à un gouvernement de coalition exprimée il y a quelques semaines pendant la campagne électorale fédérale.
Le chef libéral avait en effet rejeté un tel scénario avancé timidement par Jack Layton. Gilles Duceppe, lui, disait ceci aux collègues du Soleil, le 8 octobre, à propos d'une collaboration à un gouvernement minoritaire de Stéphane Dion : «C'est un peu faire de la politique-fiction. C'est contre nature, nous sommes un parti souverainiste.»
Pour arriver, en quatre jours seulement, à cette entente historique, MM. Dion, Layton et Duceppe ont dû faire tous trois des reculs importants. Non seulement sur les positions respectives de leur parti, mais sur leurs propres convictions politiques.
Stéphane Dion, abandonne son Tournant vert, le «combat de sa vie», pour se faire imposer un système de plafond d'émissions et d'échanges, qu'il avait rejeté dans son propre programme électoral.
Jack Layton, lui, s'engage à accepter les baisses d'impôts aux entreprises consenties par les précédents gouvernements, une hérésie pour le NPD depuis des années.
Gilles Duceppe, lui, accepte d'appuyer un gouvernement fédéral dirigé par... Stéphane Dion, l'ennemi public numéro un du mouvement souverainiste pendant des années.
M. Duceppe a expliqué que son parti ne jouera pas un rôle formel dans le gouvernement PLC-NPD, donc qu'il n'aura pas de ministre, parce qu'il a été impossible de s'entendre sur des éléments de reconnaissance de la nation québécoise.
Est-ce à dire que le Bloc est ouvert à entrer au cabinet advenant quelques concessions du gouvernement de coalition sur la reconnaissance de la nation québécoise (l'application de la loi 101 aux fonctionnaires fédéraux en poste au Québec, par exemple)?
Pour ajouter à l'ironie, il faut noter que ce gouvernement de coalition, s'il voit le jour, sera en fait autorisé par la gouverneure générale, une institution abhorrée par les souverainistes.
Le Bloc sera donc la pierre angulaire d'un gouvernement nommé par la représentante de la Reine d'Angleterre et dirigée par le père de la clarté référendaire...
Et comme Stéphane Dion n'est pas très populaire au Québec, qui deviendra sa caution? Eh oui, Gilles Duceppe. Encore une fois: n'ajustez pas votre appareil.
Cela dit, le Bloc a obtenu beaucoup dans le «deal». Tellement, en fait, que si tous ces éléments se réalisent, cela convaincra encore quelques Québécois de plus que le Canada, finalement, n'est pas une si mauvaise affaire, après tout.
Rétablissement des subventions aux programmes de développement économique (par exemple, les fonds à Montréal international), même chose pour les programmes en culture amputés par les conservateurs, des améliorations au régime d'assurance emploi et, en environnement, un système de plafond et d'échange («cap and trade», dans le jargon) et des cibles de réduction d'émission de GES au niveau de 1990.
Au Québec, on appelle ça une «entente par compromis». Ailleurs au pays, en particulier dans l'Ouest, on appellera cela un hold-up.
Imaginez un peu la réaction des électeurs conservateurs (le PCC obtenu la majorité dans six des 10 provinces le 14 octobre). Déjà de voir son parti «échapper» le pouvoir aussi bêtement, c'est dur. Mais en plus, voir les libéraux, le NPD et les souverainistes prendre le pouvoir par la porte d'en arrière, c'est trop. Avec Stéphane Dion, en plus, un chef renié par ses propres troupes!
Pas étonnant que les conservateurs parlent d'un coup d'État. D'autant que les libéraux, qui récupèrent le pouvoir par la manoeuvre, envoient Stéphane Dion sur le trône en attendant que les libéraux désignent, dans quatre mois, leur nouveau chef. Et le nouveau premier ministre.
C'est en effet, ce qui se rapproche le plus d'un coup d'État, mais un coup d'État civilisé. Évidemment, nous sommes au Canada, après tout.
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca
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Mais le Parti conservateur perdra plus que le pouvoir à cause d'un pari mal avisé de son chef; il perdra les fruits d'années d'efforts pour reprendre sa place sur l'échiquier politique canadien.
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