Pendant des années, alors qu'il était député provincial et même président de l'Assemblée nationale, l'actuel maire de Saint-Léonard Michel Bissonnet a agi comme avocat-conseil auprès d'un «conseiller en gestion» qui s'occupait des intérêts de plusieurs membres et associés de la mafia à Montréal, révèle une enquête de La Presse.
Au début des années 80, Me Bissonnet s'était associé à l'avocat Carmine Mercadante et un autre juriste pour former le cabinet Bissonnet Discepola Mercadante. Lorsque leur partenaire a été nommé juge en 1992, le cabinet a changé de nom pour Bissonnet Mercadante.
Élu député libéral en 1981, Michel Bissonnet décide toutefois après quelques années de renoncer à son statut d'associé chez Bissonnet Mercadante. «J'étais associé, au début, mais ça n'a pas duré longtemps. Je suis devenu comme un avocat-conseil, on me payait un montant annuel, tant par mois, pour être avocat-conseil», raconte-t-il aujourd'hui, sans pouvoir dater précisément son changement de statut.
Carmine Mercadante a pris les rênes de la firme et bâti une solide clientèle en plaidant plusieurs causes très médiatisées. Il a notamment mené une longue bataille pour que la veuve de Rocco Violi, l'un des hommes forts de la mafia montréalaise pendant les années 70, soit dédommagée par l'État après l'assassinat de son conjoint.
L'an dernier, il représentait la femme et la fille du consigliere de la mafia Paolo Renda, lorsque celles-ci ont tenté sans succès de le faire déclarer officiellement mort, trois ans après sa disparition mystérieuse.
Mais Me Mercadante ne faisait pas que représenter des clients à la cour. Par le truchement de son entreprise personnelle, la Société d'administration Port-Maurice, immatriculée en 1995 et logée à la même adresse que le cabinet Bissonnet Mercadante, il a commencé à agir comme «conseiller en gestion» auprès de plusieurs entreprises liées au crime organisé.
C'est le cas, notamment, du salon funéraire Loreto, l'entreprise légale de la famille Rizzuto, de certaines entreprises de Tony Magi, un ex-associé du clan Rizzuto victime d'une tentative de meurtre en 2008, et de Toitures Trois Étoiles, une entreprise que la mafia a tenté d'imposer sur le chantier de réfection de l'hôtel de ville de Montréal, selon le témoignage de l'entrepreneur Paul Sauvé à la commission Charbonneau.
Terrain convoité
Me Mercadante a aussi fait des démarches auprès des autorités municipales dans un dossier controversé en 2003.
Son client dans cette affaire, le financier Terry Pomerantz, a fait l'objet de deux jours de témoignage à la commission Charbonneau la semaine dernière.
Plusieurs extraits d'écoute électronique ont été diffusés pour démontrer à quel point M. Pomerantz était impliqué dans une manoeuvre d'infiltration de l'économie légale par la mafia en 2003, à travers le projet de construction du 1000, de la Commune, dans le Vieux-Port de Montréal.
À la même époque, l'arrondissement montréalais de L'Île-Bizard-Sainte-Geneviève-Sainte-Anne-de-Bellevue souhaitait changer la vocation d'un terrain vacant de 25 000 pieds carrés appartenant à Pomerantz. Le terrain était en zone «commerciale», mais l'arrondissement voulait lui donner le statut de terrain «résidentiel».
Ce projet de changement de zonage contrecarrait les plans de Pomerantz. Il voulait y bâtir un centre commercial au coût de 2,4 millions et attirer plusieurs nouveaux commerces dans le secteur, selon les documents officiels présentés à l'arrondissement.
Terry Pomerantz a lancé son avocat dans la bataille contre l'arrondissement.
Le 6 mai 2003, Me Mercadante a envoyé une lettre à Jacques Cardinal, président de l'arrondissement.
«Notre cliente, qui a investi énormément d'argent pour l'acquisition du terrain, vous demande de bien vouloir ne pas modifier ledit zonage», lit-on dans la lettre, obtenue par La Presse.
«Le dépôt de l'avis de motion de la ville pour faire [ce] changement de zonage causera des pertes importantes à notre cliente. Par conséquent, nous vous demandons de bien vouloir retirer cet avis de motion», poursuit le texte.
La manoeuvre a échoué, notamment parce qu'indépendamment du zonage, le projet de Pomerantz commettait une dizaine de violations de la réglementation municipale.
Aucune intervention
Michel Bissonnet était toujours lié au cabinet Bissonnet Mercadante à cette époque. Son nom apparaît d'ailleurs dans l'en-tête en haut de la missive envoyée par Me Mercadante au président d'arrondissement. «Membre de l'Assemblée nationale, avocat-conseil, Michel Bissonnet», y lit-on. Un mois plus tard, M. Bissonnet allait être nommé président de l'Assemblée nationale.
«J'ai laissé mon nom là au cas où je retournerais en pratique privée. Mon nom était sur le papier à en-tête, mais je n'avais pas de bureau là, je ne suis jamais intervenu dans les dossiers. Ils m'ont appelé peut-être une fois dans un cas de projet de loi de l'Assemblée nationale», explique M. Bissonnet.
Celui-ci dit avoir retiré complètement son nom de la firme en 2008 lorsqu'il a quitté la politique provinciale pour devenir maire de Saint-Léonard, «car il pouvait y avoir un conflit d'intérêts s'ils avaient des dossiers au municipal». Au registre des entreprises, M. Bissonnet apparaît toujours comme un associé de Mercadante, mais il s'agit d'une erreur, selon lui.
Quant aux autres entreprises conseillées par Me Mercadante, M. Bissonnet dit avoir toujours ignoré leur nom.
Contacté par La Presse, Me Mercadante a confirmé que Me Bissonnet n'a rien eu à voir avec le dossier de Terry Pomerantz, sans vouloir s'étendre sur le sujet.
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