Surveillance des internautes

Même les conservateurs sont inquiets

Le gouvernement se montre prêt à adoucir sa loi après que des députés d'arrière-ban eurent manifesté leur désaccord

Ottawa — tendance fascisante


Hélène Buzzetti
Ottawa — Le projet de loi C-30 permettant aux policiers d'obtenir certaines informations sur les internautes sans mandat judiciaire sera probablement modifié pour en limiter la portée. Le gouvernement conservateur a annoncé hier qu'il était ouvert à des amendements après que des députés de Stephen Harper eurent eux aussi manifesté leurs inquiétudes.
«Nous envisagerons des amendements», a déclaré à la Chambre des communes hier le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews. De plus, le projet de loi sera envoyé immédiatement en comité parlementaire avant qu'il soit voté une première fois à la Chambre des communes. «Si on fait la seconde lecture [le vote] en premier, cela signifie qu'on approuve le principe du projet de loi et cela limite ensuite la portée du débat, qui doit se faire dans le respect de l'intention et de l'objectif initial du projet de loi, explique le leader du gouvernement en Chambre, Peter Van Loan. Mais si on envoie le projet de loi en comité avant la seconde lecture, la portée permise des changements est beaucoup plus large.»
Il s'agit d'un changement de ton spectaculaire par rapport à celui de lundi, quand M. Toews invitait ses critiques à choisir leur camp: être avec le gouvernement ou avec les pédophiles qui sévissent sur Internet. C'est que, selon nos informations, plusieurs députés conservateurs ont exprimé des inquiétudes par rapport à ce projet de loi lors de la réunion du caucus du parti hier matin. Au moins trois députés ont manifesté leur inquiétude publiquement.
«J'ai des préoccupations à propos du projet de loi et la manière dont il est rédigé», a déclaré John Williamson, député du Nouveau-Brunswick qui était auparavant directeur des communications de Stephen Harper. «Je crois que c'est trop intrusif tel qu'il est rédigé en ce moment et je crois qu'il doit être revu. Il y a beaucoup de préoccupations à travers le pays, je crois.»
L'Ontarien David Tilson, lui, veut des mandats. «Je veux obtenir l'assurance que si la police écoute les conversations privées des gens, elle a la permission des tribunaux. Et si elle n'a pas cela, j'aurai des préoccupations.»
L'Albertain Rob Anders aimerait pour sa part qu'un compromis soit trouvé afin de permettre aux forces policières d'intervenir rapidement sans pour autant agir sans mandat. Il suggère la mise en place d'un processus accéléré d'obtention de mandats. «Il y a probablement des moyens de permettre une action immédiate dans le cas de la pornographie juvénile, mais quand même exiger un mandat.» Il estime que «les gens ont une réaction négative instinctive envers ce projet de loi». Il s'inquiète de sa portée trop large. «Je ne me préoccupe pas trop des droits à la vie privée des pédophiles, mais y a-t-il des gens qui auront un accès qui l'utiliseront pour d'autres fins?»
C'est que le projet de loi, présenté comme un outil pour retrouver les consommateurs de sites de pornographie juvénile, ne précise pas le contexte dans lequel le nouveau pouvoir peut être utilisé. Faut-il qu'une enquête soit en cours? Qu'un crime ait été commis ou soit sur le point de l'être? Silence. Même les services secrets et le Bureau de la concurrence pourront l'utiliser. C-30 oblige les fournisseurs de services Internet à dévoiler aux autorités qui le demandent, sans mandat, des informations permettant d'identifier un internaute (nom, adresse, numéro de téléphone, adresse courriel, adresse IP, etc.)
Lorsqu'on a demandé hier à M. Toews si les policiers pourraient, par exemple, utiliser cet outil législatif pour identifier qui a visité un site Internet critiquant l'oléoduc Keystone XL, le ministre n'a pu donner aucune garantie. «Ce n'est pas l'intention ni je crois l'impact du projet de loi.»
L'adjoint du ministre, Michael Patton, a admis que de telles limites n'étaient pas écrites, mais a rappelé que les autorités demanderesses de ces informations devront consigner leurs demandes — et leur raison d'être — dans un registre. Des vérifications de ces registres seront menées et la commissaire à la vie privée aura accès à ces vérifications. «Alors quelle garantie y a-t-il que ces informations seront utilisées correctement et que ce pouvoir ne sera pas mal utilisé? La surveillance», écrit M. Patton dans un courriel.
Le Bloc québécois, après s'être dit favorable au principe du projet de loi, a rectifié le tir hier en soutenant ne pas pouvoir l'appuyer dans sa forme actuelle à cause, justement, du manque de balises pour l'utilisation des nouveaux pouvoirs. Le Bloc accepte quand même de permettre aux policiers d'obtenir l'adresse IP d'un internaute sans passer par un juge.
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L'arroseur arrosé
Le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, fait l'objet depuis hier d'une campagne de salissage sur Internet en lien avec le projet de loi C-30. «Vic veut des informations sur vous. Allons voir les informations sur Vic», explique l'internaute anonyme.
L'internaute s'amuse à égrainer les détails croustillants du divorce du ministre tirés de documents légaux de nature publique. Ce divorce avait déjà fait l'objet de reportages en 2008. On soupçonnait alors M. Toews, quelques semaines avant l'élection, de vouloir se faire nommer juge pour éviter une réélection incertaine, son divorce — provoqué par une infidélité avec sa jeune adjointe parlementaire tombée enceinte — faisant beaucoup jaser dans sa circonscription.
La pudeur médiatique d'alors vole en éclat sur Twitter aujourd'hui. Tout y passe: les infidélités précédentes du ministre, la façon par laquelle l'épouse a découvert le pot aux roses, les querelles financières à propos de la pension alimentaire. L'internaute s'amuse à rappeler les déclarations passées du ministre en faveur du mariage hétérosexuel comme «une des pierres angulaires sur lesquelles la société a été construite». Le ministre a fait savoir qu'il ne répondrait pas «à ce genre de politique de bas étage. Prendre part ou répondre à ce genre de discussion ne mène nulle part».


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