Médias - Les leçons de WikiLeaks

WikiLeaks - la grande manipulation


Stéphane Baillargeon - Y aura-t-il un avant et un après WikiLeaks, comme le temps médiatique se divise autour du scandale Watergate? En tout cas, la divulgation de centaines de milliers de pages produites par les services diplomatiques américains a déclenché une onde de choc digne d'un tsunami. Les capteurs s'affolent, et il faut vraiment beaucoup, beaucoup de mauvaise foi de la part de certains collègues pour nier l'importance de l'événement du point de vue journalistique.
Les leçons portent sur tous les points fondamentaux du métier, les sources, le traitement de l'information, sa diffusion. À propos des sources, l'intellectuel européen Umberto Eco a fait observer que la mère de toutes les coulées renseigne d'abord et avant tout sur la banalité, pour ne pas dire la nullité des services de renseignements. Vérification faite, les câbles diplomatiques révèlent peu de secrets des services secrets. Peut-être parce qu'ils ont été déjà épurés par WikiLeaks, mai bon, c'est comme ça.
Nourris aux coupures de presse
En l'état, les courriers montrent que les services de renseignement s'alimentent beaucoup aux coupures de presse. Oui, bien sûr, de temps en temps, un ambassadeur déjeune avec un ministre étranger. Seulement, le plus souvent, les diplomates se fient aux médias (y compris aux ragots des journaux jaunes) dont c'est le propre de fouiner. Maintenant, les journalistes répercutent leurs infos resucées. On tourne en rond mondialement...

«Les informations ultrasecrètes sur Berlusconi que l'ambassade américaine de Rome envoyait au Département d'État étaient les mêmes que celles que Newsweek publiait la semaine d'avant, a écrit Eco dans Le Nouvel Observateur [...] Autrefois, la presse essayait de comprendre ce qui se tramait dans le secret des ambassades. À présent, ce sont les ambassades qui demandent les informations confidentielles à la presse.»

Cette vacuité ne diminue pas l'importance de certains renseignements, de telles et telles opinions et surtout de l'ensemble des 250 000 câbles pour tisser la formidable trame panoramique à capter le monde du point de vue de la superpuissance. Pour développer, filtrer et analyser le grand film planétaire, il a fallu une armée de reporters, plus de cent journalistes spécialisés qui ont travaillé pendant des semaines. Ce truchement ennoblit le métier à une époque où certaines têtes folles confondent vessies du commentaire instantané et lanternes du journalisme d'enquête. En même temps, la diffusion de la masse brute des documents sur le site WikiLeaks démontre une profitable alliance entre l'ancien et le nouveau monde des communications.
Cette expertise a déjà été nécessaire pour plonger dans les quelque 400 000 rapports de l'armée diffusés précédemment par WikiLeaks. L'exploitation de telles masses de données fait appel au journalisme de données (ou data journalism pour les Français) qui consiste à extraire des informations d'une masse brute pour les exposer clairement. Le Guardian a par exemple classifié les câbles diplomatiques en fonction de leur provenance, de leur date d'émission et de mots-clés, avec une carte mondiale pour résumer tout ça.
Pour aboutir, il faut une équipe mêlant des reporters spécialisés, des statisticiens, des infographistes, tous travaillant de concert. Les médias anglo-saxons ont de l'avance dans le domaine. The Guardian a même développé un datablogue.
Mal préparée
Comme le rappelait lepoint.fr la semaine dernière, la tradition journalistique francophone, très littéraire, prépare mal à prendre ce virage. Cette observation sur les lacunes professionnelles vaut aussi pour les salles francophones du Québec. Franchement, ici, quel média aurait pu livrer le travail comme le New York Times ou Der Spiegel? En plus, sauf erreur, il n'existe aucune formation spécialisée dans le domaine du journalisme de données au sein des facultés universitaires québécoises.
Finalement, les réactions négatives à la diffusion massive d'informations, y compris de la part de certains chroniqueurs, annoncent vraisemblablement une nouvelle fermeture à triple tour des services gouvernementaux. Les gouvernements bafouent déjà partout les lois d'accès à l'information (quand elles existent). Plusieurs partent en chasse pour dénicher les sources secrètes des reporters. Oui, il y aura certainement un après-WikiLeaks, mais rien ne laisse croire que ce temps à venir facilitera la circulation de l'information...


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