Dans les prochaines semaines, dans les prochains mois, on aura une meilleure idée de l'impact réel d'Internet sur la campagne électorale. Mais on assiste déjà à un formidable exercice démocratique, alors que les citoyens s'expriment comme jamais sur tous les blogues et les forums de discussion.
L'exemple du Débat des chefs la semaine dernière est assez remarquable. Car pour la première fois on pouvait suivre non seulement le débat sur Internet, mais aussi, en temps réel, les commentaires des internautes sur de nombreux blogues et des forums de discussion.
Tant les sites des grands médias que de nombreux blogues individuels avaient ouvert un espace de discussion pour faire des commentaires, qui s'additionnaient en même temps que le débat se déroulait. Le blogueur Yves Williams avait recensé au moins 25 sites où l'on pouvait commenter le débat en direct, sans compter les sites officiels des partis politiques.
Mais les partis politiques ont également réquisitionné leurs partisans pour envahir ces blogues et ces forums de discussion, pour influencer la perception que l'on pouvait avoir de leurs chefs respectifs. Internet est clairement devenu un nouveau terrain de bataille pour la propagande.
Sur ces blogues et ces forums de discussion, on trouve de tout depuis quatre semaines: des commentaires politiques acérés, des insultes qui ne seraient jamais publiées dans les lettres aux lecteurs des journaux, des louanges, des stupidités, et puis, encore cette semaine, la sempiternelle accusation voulant que les médias ne couvrent pas les «vraies» affaires.
Il faut dire que la majorité de la population s'informe d'abord à la télévision, et la télévision n'est pas le meilleur lieu pour tenir de grandes discussions profondes sur les programmes politiques des partis. Dans les bulletins de nouvelles règnent en maître la petite phrase-choc, le clip, l'obsession de l'image.
Il faut dire également que les journalistes politiques qui couvrent la campagne électorale en suivant les chefs pas à pas vivent dans une sorte de bulle, développant une relation très artificielle avec les chefs de parti.
L'entourage des chefs politiques les inonde de commentaires partiaux pour tenter de les influencer, et scrute à la minute près les déclarations des adversaires pour réagir au quart de tour en tentant d'imposer leur propre phrase-choc aux médias.
Les chefs eux-mêmes n'ont souvent rien de particulièrement nouveau à annoncer à tous les jours. Une campagne électorale consiste aussi, pour un chef, à se déplacer partout en répétant la même chose à de nouveaux électeurs potentiels, pour tenter de les convaincre. Ce qui est tout à fait logique. Mais les journalistes qui suivent les chefs, eux, et qui entendent les mêmes discours jour après jour, cherchent avant tout la différence, la nouveauté... et donc, souvent, le dérapage, la pelure de banane, le lapsus qui tue.
Sans parler de l'éternelle métaphore sportive, très prisée lors du Débat des chefs où, le lendemain, il fallait absolument désigner un gagnant, un podium avec l'or, l'argent et le bronze.
Selon le public auquel ils s'adressent (ou selon leurs préjugés idéologiques, diront les plus cyniques), les médias choisiront également de monter en épingle un événement que d'autres médias jugeront mineur. Exemple récent: André Boisclair qui déclare dans un discours la semaine dernière qu'il avait été étonné, lorsqu'il étudiait à Harvard, de voir autant de «yeux bridés» dans les classes. L'expression a été traduite par slanting eyes dans la presse anglophone (il semble qu'en anglais l'expression soit plus péjorative), un organisme sur les relations raciales a protesté et a exigé des excuses, Boisclair ne voyait pas trop ce qu'il avait dit de mal, et vendredi dernier, alors que les journaux francophones traitaient l'affaire comme un truc pas très important, The Gazette titrait en manchette énorme sur sa page une «Boisclair won't apologize». Voilà comment on construit auprès des lecteurs de The Gazette l'image d'un leader souverainiste indifférent aux sensibilités raciales...
Je suis convaincu qu'un examen très approfondi de tout ce qui se publie depuis un mois de campagne démontrerait que les médias font un travail plus en profondeur qu'on le croit. Non seulement avec tous ces longs articles qui décortiquent les programmes des partis dans les journaux, mais aussi avec certaines autres émissions de télévision qui permettent d'aller plus loin que les manchettes des bulletins de nouvelles (pour ne donner que deux exemples, ces débats organisés le vendredi soir par Claude Charron à TVA, où des citoyens interrogent les chefs de parti, ou encore ces longues analyses quotidiennes présentées à RDI, particulièrement avec le trio Liza Frulla, Jean-Pierre Charbonneau et Marie Grégoire).
Mais la perception des citoyens est surtout conditionnée par les manchettes des bulletins radio et télévision, et par les unes des journaux, où il est vrai que l'on s'est beaucoup attardé aux dérapages des candidats et aux petites histoires. La semaine qui reste sera fort intéressante à analyser... en attendant la très possible campagne fédérale plus tard au printemps. Et une autre élection québécoise d'ici un an si un gouvernement minoritaire est élu lundi. Lassitude des électeurs, avez-vous dit?
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pcauchon@ledevoir.com
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