« Mais Hitler a été élu démocratiquement »

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Détourner le discours afin de détourner l'esprit





Je traitais dimanche sur ce blogue de la question du populisme, expliquant en quoi il n’est en rien conforme à l’étiquette surutilisée dans les médias pour éliminer certaines positions et certains acteurs politiques en un coup de rhétorique. L’arme est pratique et a pour mérite d’étouffer le débat sans trop d'efforts, car on ne débat tout simplement pas avec des fascistes.


Plus fondamentalement, dévaloriser le fait de s’en remettre au peuple repose sur l’idée que celui-ci ne serait pas rationnel, qu’il serait porté à s’enfermer facilement dans la haine si les « populistes » titillent ses instincts les plus primaires. Un des exemples les plus fréquemment employés est celui d’Adolf Hitler en Allemagne.


« Après tout, Hitler a été élu démocratiquement ! », entend-on dès qu’il faut contester la légitimité de formations politiques qui se livrent au jeu électoral si leur discours va à l’encontre des grandes certitudes officielles. Une manière de dire que ce n’est pas parce qu’on joue le jeu de la démocratie qu’on va forcément la respecter une fois au pouvoir, et qu’il est facile de s’appuyer sur les masses ignorantes aux idées arriérées pour parvenir à mettre en place un régime totalitaire.


Ce mythe est commode, est des plus colportés et a la vie dure. Mais il demeure, précisément, un mythe. Se référer à l’histoire est chic, mais encore faut-il amener des faits véridiques et avoir la culture nécessaire pour soutenir ses dires, ce qui n’est pas le cas de tous les pseudos-lettrés de ce monde qui vivent intellectuellement au-dessus de leurs moyens.


En fait, lors de la seule élection présidentielle à laquelle Hitler a participé sous la République de Weimar, en 1932, le chef nazi s'est contenté de la seconde place avec 30 pourcent des suffrages, loin derrière Paul von Hindenburg, qui a eu 49 pourcent. Au second tour de cette même élection, Hitler a eu 36 pourcent contre 53 pourcent pour Hindenburg.


Le Parti nazi, lui, a obtenu la première place lors de trois élections législatives tenues en 1932 et 1933. Encore là, lors de son meilleur scrutin (mars 1933), le NSDAP n'a eu la majorité absolue ni dans les votes, ni dans les sièges. Et cette élection s’est déroulée dans des conditions très peu démocratiques.


Fort de ce groupe parlementaire et de multiples scélératesses, Hitler a poussé le Président Hindenburg à le nommer Chancelier de la République de Weimar. Après la mort d'Hindenburg, Hitler a fait fusionner son poste avec la présidence pour devenir Führer du Reich. Si Hitler a par la suite été plébiscité avec des résultats dépassant les 95 pourcent, l'Allemagne n'était plus à ce moment-là un système démocratique.


Hitler n'a donc JAMAIS été démocratiquement élu par le peuple allemand.


En revanche, le Parlement allemand a voté en 1933 les pleins pouvoirs à Hitler à 444 votes contre 94. Et la prise du pouvoir d’Hitler, selon le grand historien du nazisme Ian Kershaw, aurait été impossible sans la complicité d’élites bourgeoises, lesquelles étaient convaincues de pouvoir manipuler allègrement le chef à la petite moustache carrée. Plusieurs grandes compagnies l’appuyèrent, dont l’entreprise industrielle du secteur de l’acier Krupp, qui bénéficia en échange de généreux contrats de production d’armement pendant la Seconde Guerre mondiale.


Se peut-il que le mépris de la démocratie puisse parfois provenir davantage de ceux qui sont en haut de la pyramide que de ceux qui en arrachent au quotidien ?



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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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