M. PKP, la pointe de l'iceberg

Tribune libre

M. Péladeau, député de Saint-Jérôme et l’actionnaire de contrôle du groupe Québécor, est de toute évidence en position de conflit potentiel, donc d'intérêts.

Selon les récentes discussions de nos ministres et députés, il y a deux propositions de mandat pour la commission des institutions. Une proposition du PLQ-CAQ et une du PQ.

Évaluons premièrement la proposition du PQ qui se résume ainsi: « examiner l'étanchéité des salles de rédaction, les relations entre les directeurs de l'information et les journalistes, la protection accordée aux journalistes par les conventions collectives ou tout autre contrat de travail, ainsi que l'influence politique que peuvent avoir les propriétaires et l'actionnaire de contrôle des médias sur les journalistes.

Il y a déjà une foule d'études sur la concentration des médias et les problèmes de l'information, mais les politiciens ne leur ont jamais donné suite (Note 1). C'est un panier rempli de gros crabes! Dans l'hypothèse du mandat proposé par le PQ, nous pouvons anticiper que la commission conclura que la salle de rédaction est très étanche, un peu ou très peu. Et le conflit potentiel de M. Péladeau demeurera. Et il demeurera même s'il dépose ses actions en fiducie sans droit de regard (sauf avec regard pour la vente de ses actions) et même s'il cédait le contrôle de Québécor (Note 2). Le mandat de la commission proposé par le PQ ne règlera donc pas la situation de M. PKP. En fait, il créera plus d'ambigüités que de clarifications. À cet égard, le mandat est inapproprié.

Par contre à d'autres égards , le mandat risque de bouleverser le monde des médias. Un peu comme la commission Charbonneau avec l'industrie de la construction. Le récent communiqué de la fédération professionnelle des journalistes du Québec présidée par M. Craig met en lumière certains paradoxes. M. Craig:

1) rappelle que sa fédération a demandé à M. Péladeau de se départir des actions qu’il possède dans les médias de Québécor pour éliminer le conflit d’intérêts;
2) que la presse québécoise est libre. Elle est même très vigoureuse et alerte. La Commission Charbonneau, créée à partir des reportages de journalistes courageux, tenaces et exempts de toute influence, en est le témoignage le plus éloquent;
3) souligne que depuis une semaine apparaît soudainement un énorme problème que personne n’avait vu jusque-là : tous les médias du Québec seraient potentiellement sous l’influence de leurs propriétaires, qui pourraient exercer une forme de contrôle sur leur contenu! C’est ce que j’appellerais un dérapage… contrôlé. “Dérapage” parce qu’on s’éloigne du conflit d’intérêts, bien réel, dans lequel se trouve Pierre Karl Péladeau. “Contrôlé” parce qu’on est en train de créer une forêt, bien artificielle, pour cacher l’arbre qu’est ce conflit d’intérêts. Comme dirait l’autre, s’il y avait un problème d’influence indue sur l’ensemble des médias du Québec… On le saurait!

Que comprendre des positions de la fédération?
1) Que les propriétaires de tous les médias du Québec n'ont aucune influence ou aucun contrôle sur le contenu de leurs médias, sauf M. Péladeau avec Québécor;
2) Que tous les journalistes du Québec sont libres, vigoureux et alertes, sauf ceux de Québécor;
3) Que tous les propriétaires des médias du Québec ont une influence sur le contenu de leurs médias;
4) Que tous les propriétaires des médias du Québec ont une influence sur le contenu de leurs médias et par conséquent ne souhaitent pas qu'une commission examine la situation.

Il suffirait qu'un journaliste, un directeur d'information (un Zambito, un Kent Péreira...) témoigne qu'il a été influencé par ses propriétaires ou même qu'un politicien, un homme d'affaires affirme qu'il a influencé un média pour que d'autres suivent & que l'univers des médias soit perturbé.

Voyons maintenant la proposition du PLQ, soit: «analyser les effets que peut avoir sur nos institutions démocratiques et sur l'indépendance et la liberté de presse le fait pour un député ou un membre du Conseil exécutif, de détenir directement ou indirectement la majorité des actions d'une entreprise médiatique ou d'être dans une position de contrôle au sein d'une entreprise».

Les résultats de la commission selon le mandat du PLQ sont prévisibles. Comme je l'aie souligné précédemment, il y une foule d'études sur la concentration des médias et les problèmes de l'information. Les médias ne sont pas indépendants. Par conséquent, et compte tenu du temps alloué à la commission, un mois (la spéculation, la partisanerie prendront le dessus sur l'objectivité et des études sérieuses), le conflit potentiel de celui visé par le mandat, M. Péladeau sera confirmé. Je dis confirmer parce que c'est évident que M. Péladeau est en position conflictuelle. La question est: au bénéfice de qui M. Péladeau utilisera-t-il sa position conflictuelle, pour le Québec ou pour ses intérêts personnels? Facile de spéculer, difficile d'y répondre objectivement . Il est vraisemblable que ce débat ira et traînera devant les tribunaux pendant une dizaine d'années et peut-être davantage jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ou le plus haut tribunal du pays du Québec se prononce.

Non seulement les deux propositions de mandat ne règlent donc pas la situation de M. Péladeau, elles pourraient débouchées sur des développements non désirés et paralysants. Les partis politiques réalisent l’impasse dans laquelle ils sont!

Plusieurs raisons peuvent justifier cette impasse. La plus évidente, et pourtant la moins mise en lumière est le fait que le risque de conflits potentiels est inhérent dans plusieurs situations, particulièrement en politique. Il y a les conflits d’intérêts visibles, comme celui de M. Péladeau, et ceux moins apparents, plus subtils, plus coulants que les conflits visibles. Ils sont insidieux, sournois et par conséquent pernicieux.

Voyons quelques exemples:
• Mise en place d’un processus qui favorise une entreprise avec lequel un élu a un intérêt passé, présent ou en aura un dans le futur. Par exemple, le cas récent de TransCanada et son lobbyiste et porte-parole, M. Cannon. M. Cannon a été candidat libéral en 2007, chef de cabinet de deux ministres libérales et attaché de presse de Line Beauchamp lors de son passage au ministère de l’Environnement. C’est à ce ministère que TransCanada a et fait des représentations pour obtenir les autorisations pour ses forages dans le Saint-Laurent ». Comment expliquer que le ministre de l’Environnement David Heurtel a donné le feu vert à des travaux de forage, le 21 août dernier sans avoir obtenu les réponses qu'il désirait de la part de Pêches et Océans Canada. Il aura fallu une décision (injonction interlocutoire ) de la Cour supérieure du Québec pour interrompre les forages. On peut certainement se demander si le Parti libéral est en conflit d’intérêts avec TransCanada par le biais de M. Cannon!
• Relation historique entre un syndicat, une entreprise... et un parti politique. Par exemple, syndicats et le PQ, Power Corporation et le PLQ, M. François Legault et M. Sirois. Comment M. Legault, premier ministre, pourrait-il nier son conflit potentiel avec M. Sirois?
• Un élu qui favorise des décisions politiques offrant un avantage à une entreprise de son réseau. Nous pensons à certaines entreprises pétrolières misant sur ressources naturelles du Grand Nord;
• Un élu qui a vendu son entreprise à ses fils, même s'il dévoile son conflit et se retire lorsque des décisions touchant son entreprise, demeure en conflit. Est-ce que les dés ont été pipés avant la prise de décision? Imaginons que l'élu est le ministre des Finances ou premier ministre, n'est-ce pas difficile pour les autres ministres de prendre une décision qui affecterait défavorablement l'entreprise des fils du premier ministre?
• Les nominations politiques partisanes à des postes de responsabilité. Aucun besoin de donner des exemples, ils sont monnaie courante ces dernières semaines.

Bien entendu cela s'applique à tous les partis.
• Un élu qui octroie des subventions à son comté à l’encontre de ses fonctionnaires. Nous nous rappelons Mme Normandeau;
• Un élu qui n'oublie pas ses généreux contributeurs. La commission Charbonneau nous a donné de bons exemples;
• Un ministre qui est membre d'une association professionnelle est-il en conflit potentiel? Par exemple un médecin ministre qui négocie avec son ordre et favorise des décisions politiques offrant un avantage à une association dont il est membre et qui l’avantagera lorsqu’il se retirera de la politique. Le cas de M. Bolduc avec la prime pour nouveau patient ou M.Couillard qui a été recruté, après sa démission comme politicien, par Persistence Capital Partners (PCP), un fonds d’investissement privé en santé. Tout juste avant, il avait fait adopter deux modifications à des règlements pour favoriser les cliniques;
• Il y a les conflits entre des convictions personnelles et une décision démocratique. Par exemple la privatisation illégale, graduelle, souterraine du système de santé qui se doit d'être publique. Tous les moyens sont bons pour justifier la pertinence de la privatisation: déficit budgétaire, bureaucratie, délais d'attente... (Note 3);
• Est-ce que 3 ministres d'une même association augmentent le risque de conflit potentiel de notre système de santé? Nous pensons à messieurs Couillard, Barette et Bolduc;
• Il y a les conflits de comtés. Un comté dont l'élu est un représentant du parti au pouvoir aura une attention prioritaire;
• Un média non rentable financer par une entreprise. Le Devoir a été longtemps supporté par M. Péladeau, La Presse et Power Corp qui ne veulent pas dévoiler les résultats distincts de La Presse dans leurs états financiers;
• Il y a les conflits reliés au passé d'un élu. Les contacts, les entreprises pour lesquelles il a travaillé, son éducation, ses valeurs....Le cas de récent de M. Lemieux;
• Il y a les conflits reliés à la religion, au racisme, au sexe. Le cas de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, qui a utilisé son droit de veto pour bloquer la nomination d’un juge à Québec et demande au comité de sélection indépendant chargé de lui recommander des candidats de refaire ses devoirs. Il semble qu'elle souhaite une femme. Ou peut-être que c'est le comité de sélection qui était en conflit?
• Ceux reliés à la vision, la mission, la culture, les valeurs, les stratégies d'une entreprise. Par une entreprise dans le secteur médias embaucheront et attireront des journalistes qui partagent leur plan d'affaires;

Finalement nous sommes tous et continuellement en conflit potentiel. M. Péladeau l'a très bien exprimé: «lorsque je vais me prononcer sur des dossiers d'école, je vais être en conflit parce que j'ai des enfants».

Si les conflits sont inhérents, comment se protéger? Voilà ce que pourrait être le mandat de la commission:

L'Assemblée nationale reconnaît, particulièrement en politique, que risques de conflits d'intérêts sont inhérents. En conséquence elle mandate une commission afin d'identifier les divers types de risques et d'apporter des recommandations pour gérer ces conflits afin de protéger ses citoyens ses élus.

Et il faut se rappeler que bien au-delà des règlements, des codes, des lois qui suivront les recommandations de la commission, il y a la transparence, l'honnêteté, l'intégrité et le sens de l'honneur qui doivent nous guider.

Note 1. Le bal des hypocrites de M. Lavoie, La Presse. http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/chroniqueurs/201410/24/01-4812458-le-bal-des-hypocrites.php

Note 2. La proposition Allaire-Nadeau est incomplète.Un contrôle indésiré devient possible. http://www.vigile.net/Un-controle-indesire-devient.

Note 3. L’entente entre le Dr Barette et les médecins. Il y a anguille sous roche.
http://www.vigile.net/L-entente-entre-le-Dr-Barette-et


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    4 novembre 2014

    Bonjour,
    Je rajouterai ceci et non le moindre cas, pourquoi ne pas soulever le cas de M. Pierre Arcan, le frère de Paul Arcan à son émission du matin, la plus écoutée en ville, leur vantardise sur les ondes aux trois mois pour mousser leurs cotes d'écoute. Que dire de l'influence qu'un Jean Lapierre a sur les plus vulnérables surtout en temps d'élection. Si ce n'est pas du conflit d'intérêt je me demande bien qu' est-ce que c'est! Paul Arcan est aux premières loges pour apprendre ce que trame les libéraux et use de son influence médiatique sur le 98,5 propriété des Desmarais !
    Personne dans ce joyeux cirque n'a dénoncé ces deux Arcan et leur complice payé par Power et il demande en plus des enveloppes brunes en se faisant loger dans les hôtels gratuitement. L'information est pourtant connue par l'écoute passée à la CEIC. J'attends toujours que quelqu'un dénonce publiquement ce confit d'intérêt.
    Mireille Deschênes

  • Pierre Cloutier Répondre

    4 novembre 2014

    Voilà un texte intelligent et sage.
    Pierre Cloutier