Libre opinion - Le droit et le juste

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Excellente distinction !

Le Devoir du 23 janvier publiait sur la même page des extraits du mémoire de Guy Rocher à la Commission des institutions et un texte de Georges Leroux et Jocelyn Maclure présenté comme une réplique au premier texte. Dans cette « réplique », Leroux et Maclure égratignent la position que tient Rocher relativement à la limitation du port des signes religieux dans les institutions publiques. Pour Rocher, le respect des convictions religieuses des clientèles qui recourent aux services d’institutions publiques doit avoir priorité sur les convictions des personnels de ces institutions. Pour ses détracteurs, dans un système de droit, construit sur la base du principe de l’égalité des droits, il n’y a pas de « priorité ». Les droits des uns doivent être mis en équilibre avec ceux des autres, même dans la relation entre usagers et employés.

En fait, Leroux et Maclure critiquent la position de Rocher à partir du droit et de ses règles. Mais cet argument ne porte pas, car la position de Rocher, du moins quand elle s’applique à l’école, se rapporte à un autre ordre que celui du Droit, celui du Juste. Ce n’est d’ailleurs pas le droit, mais la recherche de « ce qui est juste de faire » qui est la référence constante des rapports qui se nouent entre enseignants et élèves dans une école. Pour l’élève qui la réclame (« ce n’est pas juste ! »), la justice est le droit du plus faible. Il accepte l’autorité pourvu qu’elle soit juste (« tel professeur était sévère, mais juste »). Par contre, l’injustice dont il a pu être l’objet de la part d’un enseignant laisse en lui longtemps après une brûlure toujours vive.

Le « vivre-ensemble » au jour le jour dans une école est régi davantage par la recherche du « juste » que par le respect du « droit ». Ce qui est bien plus exigeant, car il n’est pas simple de déterminer « ce qui est juste de faire ». Être juste, c’est traiter tout le monde également, certes. Mais être juste, c’est aussi être équitable et donc traiter les personnes différemment.

Être juste, c’est aussi traiter inégalement des situations systémiques d’inégalités quand on cherche à les corriger (John Rawls). Or la relation élève-enseignant est dans l’école une relation inégale. Aussi, pour équilibrer les choses et permettre que l’élève grandisse vers une relation plus égalitaire, l’enseignant qui fait ce métier en voulant « être juste » se limite lui-même. Il évite évidemment les abus d’autorité. Il pratique aussi la réserve dans les sujets sensibles. Ainsi quand il pousse les élèves à formuler leurs opinions et à les fonder, il reste plus réservé pour exprimer les siennes. De même, par respect pour les opinions religieuses de ses élèves, sujet sensible s’il en est, il se réserve, il s’abstient de porter des signes qui manifestent les siennes. Il sait bien qu’en matière de recherche de la justice, « l’apparence » n’est jamais secondaire.

La limitation dans une école de l’expression de l’opinion religieuse d’un enseignant pour donner priorité au respect des convictions religieuses des élèves qui est défendue par Guy Rocher est une position qui, même examinée du point de vue du droit, peut, du moins aux yeux de certains, être considérée comme une limitation raisonnable. Mais parce qu’elle cherche à équilibrer un rapport inégal, elle est d’abord et surtout une position inspirée par la préoccupation de « ce qui est juste de faire ». Examinée du point de vue de la justice, cette position se comprend et s’impose d’elle-même aux consciences.
Paul Inchauspé - Ancien président de la Commission de l’enseignement supérieur du Conseil supérieur de l’éducation


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