« Ne sacrifiez jamais vos convictions politiques pour être dans l’air du temps.»
_ John Fitzgerald Kennedy
« Pour les questions de style, nage avec le courant ;
sur les questions de principe, sois solide comme un roc. »
_ Thomas Jefferson
François,
Nous nous connaissons depuis l’université, bien avant la politique. J’avais l’ambition de devenir écrivain, j’ai choisi d’être journaliste. Tu te voyais député ou ministre. Tu es devenu économiste puis politicien… professionnel.
Plus jeune, nous avons partagé un rêve extraordinaire, celui de faire lever un pays. Ce n’est pas rien, vouloir faire exister une voix nouvelle et participer véritablement aux affaires du monde. Et insuffler à ce monde-là une partie de l’énergie qui nous caractérise, nous, les Québécois. Ça porte avenir et espoir. Et ça rapporte bien plus qu’une «économie de propriétaires» dans un pays où on ne s’appartient pas.
J’écris, «nous avons partagé», car depuis lundi, ce n’est plus le cas. Tu es devenu caquiste. Subitement. Sans trop avertir même «tes amis». Presque comme un voleur.
Et c’est ça qui surprend le plus, François. Toi dont je connais les valeurs. Ce n’est pas ton geste qui choque. Ce sont les mensonges que tu as répétés depuis le mois de mai à tes amis. Passe encore que tu mentes à Pauline Marois, passe encore que tu utilises un discours sur «tes valeurs» pour mentir, mais mentir à ses amis, c’est un peu se mentir à soi.
En mai, tu as réuni une dizaine d’amis pour réfléchir à ton avenir politique. J’étais du nombre. Je te vois encore annoncer à tous que tu n’irais jamais à la CAQ, que tu es «un homme de valeur», et que «les valeurs, c’est important en politique, c’est important dans la vie et pour moi». Finalement, c’était vraiment des bobards que tu nous racontais.
Ce discours sur les valeurs, tu l’as joué et rejoué tout l’automne à chaque fois qu’on te parlait de cette promesse. Tu as vraiment eu de belles valeurs en 2011, mon vieux. Tu étais beau à voir avec ta belle superbe. «Faites-nous confiance», écrivais-tu sous une forme de remontrances publiques à Jacques Parizeau, lui qui nous a presque mené aux portes du pays en 1995. Quel gâchis, vraiment.
De vieux souvenirs de notre longue amitié remontent maintenant à la surface pour mieux m’expliquer ce geste pour lequel tu as menti.
Comme ce jour où les enfants jouaient dans la cour d’un ami commun, à L’Assomption. En groupe, on discutait de l’avenir du Québec. On se demandait s’il fallait continuer de chercher à bâtir de nouvelles fondations ou se concentrer sur les murs lézardés de la maison québécoise? Indépendance versus réformes, telle était la question… ou encore les deux à la fois. Tu avais choisi alors les murs lézardés. Premier indice.
Me sont revenus aussi à l’esprit les nombreuses fois où tu tournais en bourrique les militants du Parti québécois qui parlaient le plus de faire un pays. «Ce sont des religieux, des dévots avec leur drapeaux et leurs macarons», disais-tu à l’occasion (je paraphrase). Encore lundi soir, quand nous avons eu une discussion orageuse après ton annonce publique, tu as de nouveau utilisé cette expression. Ces militants indépendantistes, qu’il soient au PQ ou ailleurs, lorsqu’ils se regardent dans la glace le matin, eux, leur conviction ne ment pas.
Une autre fois, tu m’as présenté Martin Koskinen, l’homme de main de François Legault. Sous un air de chic type se cache un autre briseur de rêves. Tu l’avais connu à Force Jeunesse. À l’époque où tu me l’as présenté, il travaillait pour François Legault, alors ministre. Je me souviens qu’il nous avait confié en groupe ne pas être indépendantiste mais plutôt fédéraliste et que son ministre le savait très bien. Ça m’a donné froid dans le dos de savoir qu’un ministre d’un gouvernement souverainiste embauchait du personnel qui se vante d’être fédéraliste. À partir de ce moment, je n’ai jamais arrêté de douter du cheval sur lequel tu avais mis toutes tes billes politiques. Quelle mauvaise monture que ce François Legault, me disais-je.
D’autant plus qu’au cours d’un de nos cercles de discussions, un participant qui le connaissait bien avait rapporté l’anecdote que François Legault, quand il était ministre de l’Éducation, se sentait intimidé par les «pédagogistes» du ministère au moment de préparer la réforme que l’on sait et leur laissait donc l’initiative en conséquence. Ça ne correspondait pas du tout à la vision que je me faisais d’un homme d’État ou d’un véritable réformateur. Et je t’en ai averti avec un ami. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je pourrais te citer presque les lieux et les dates de ces avertissements. On t’a répété à plusieurs reprises : «Legault est un mauvais cheval. Ne lui faites pas confiance. Il va vous abandonner ou vous perdre».
Si bien que, lorsque François Legault a évoqué des «motifs personnels», en 2005, pour ne pas prendre la suite de Bernard Landry, j’ai ri. J’ai trouvé ton roi un peu nu, un peu tristounet. C’est qu’il avait réuni toute une cour de soupirants politiques et d’ambitieux de tous ordres sans être tout à fait sûr de ses motifs personnels. Il avait une bonne poignée d’organisateurs, qui lui ont donné du temps, beaucoup de temps et ont mis leurs réseaux en action. Il a engagé des jeunes gens dans des voies dont il serait le premier à se sortir.
Or, en politique, on reste fidèle à ses principes et à ses militants. On ne les abandonne jamais. Seuls eux ont droit de nous abandonner. Legault, après avoir réuni tout ce monde, les a tous abandonnés avec leurs mietttes d’ambitions et d’espoirs. Comme un voleur.
Ce Legault t’a fait écraser beaucoup d’orteils, mon ami François, pour que tu parviennes à le hisser. Tu l’as fait avec zèle, ne lésinant pas sur les méthodes musclées. Beaucoup de gens t’ont détesté pour cela et te détestent encore aujourd’hui. Ce que j’en entendais des ragots à ton sujet. Tu faisais semblant de t’en balancer. Je me rappelle, tu disais souvent : «Je travaille avec le
prochain chef du parti et le prochain premier ministre, alors…» Politiquement, tu as payé très cher le prix de l’abandon de Legault et, moi, je lui en veux encore d’avoir fait ça à un ami. Tu es entré dans une période d’ostracisme. Tu as mis des années à t’en remettre politiquement. Peut-être n’en est-tu pas remis encore? Peut-être que oui. Qui sait? Sans doute que ta décision est une suite logique de cet abandon originel.
Ce que je sais est que tu viens de nouveau de te jeter dans la gueule du loup. Que tu travailles désormais non seulement avec Martin Koskinen, mais Gérard Deltell (ce monarchiste militariste) et peut-être demain avec Marlene Jennings, dont l’historique législatif à Ottawa est loin d’avoir aidé aux intérêts supérieurs du Québec.
Bien sûr, aujourd’hui, tu fanfaronnes. Tu dis qu’on t’a permis de garder l’étiquette de «souverainiste». Pour être souverain, ça oui, tu l’es. Souverainement perdu sur le plan politique. Quel gâchis, ce que tu viens de faire. Quelle tristesse de voir un enfant du pays, un enfant de la loi 101 de surcroît, devenir un apôtre du statu quo et du recul durable pour le Québec.
D’autant plus que comme député indépendantiste, tu avais la responsabilité de porter le projet. Comme député, tu es partiellement responsable des difficultés du PQ. Ces difficultés, ce sont aussi les tiennes. Et, aujourd’hui, en contribuant à couler le bateau plutôt qu’à le réparer, cela constitue une trahison de plus.
François, le danger qui guette tout homme politique est de perdre ses rêves. De céder aux caprices du pouvoir et de s’éloigner des idéaux qui l’ont mené au service public. Parce que la politique, c’est aussi une part d’utopie.
En abandonnant ses idéaux, l’homme politique transmet une perte de sens. Comme un père indigne qui persuade sa fille qu’elle n’a pas les moyens ou les facultés de devenir astronaute, médecin ou ingénieure. En effet, lorsqu’on échoue à ses propres rêves, les rêves des autres n’ont plus de sens.
Quand François Legault, auteur des Finances d’un Québec souverain, est entré en politique il y a 13 ans, c’était «pour faire des changements et non pour “gérer la continuité”» (voir Radio-Canada). Ce n’était certes pas pour devenir l’intendant d’un demi-État, ni faire des réformettes et des bouts de chemin à moitié ou espérer construire sans jamais avoir les véritables moyens de le faire ni d’en finir.
Au fond, le véritable changement que propose Legault, c’est l’abdication et l’abandon maquillés en statu quo. C’est ce qu’il y a derrière son discours sur la mort du souverainisme et du fédéralisme, voire la mort du politique. Il présente cela comme une fatalité. C’est commode pour promouvoir notre seule intendance administrative comme un changement, tel un appât. La seule fatalité qui nous guette est de se détourner de nous-mêmes, de perdre notre idéal de liberté, notre sens des responsabilités envers nous-mêmes, notre courage et notre grandeur ainsi que notre fidélité à nos rêves.
Tu présentes François Legault comme un nationaliste. Mais il n’est ni nationaliste ni autonomiste. Il est démissionniste. Après t’avoir abandonné en 2005, il nous abandonne tous pour quelques arpents de pouvoir passagers. Et toi, toi mon ami, tu y participes de plein gré.
La CAQ dit vouloir « solidifier les fondements de notre société ». Mais son programme n’a rien d’original : améliorer les soins de première ligne en santé (une promesse mille fois entendue), améliorer la formation des profs (sans véritablement agir sur les milieux), rehausser le financement des universités (mais selon leur performance), créer de la richesse et rembourser la dette publique avec les redevances sur les ressources naturelles (sans dire un mot sur le montant de ces redevances), soutenir la vie culturelle et la langue française (en laissant de coté les interventions fédérales dont celles de la Cour Suprême), etc. En bref, en plus de ne pas être original, c’est le vide idéologique total. Il n’y a chez Legault aucun projet de société, comme du temps de la véritable coalition péquiste. Non, le seul projet, c’est un projet de carrière pour ceux qui entrent à la CAQ. Et le prix d’entrée dans cette Coalition, c’est l’abandon de ses convictions. Il n’y a pas non plus chez Legault de vision de l’histoire, des valeurs et de l’avenir du Québec. Ce n’est qu’un programme politique « bouche-trous » qui consiste à s’attaquer aux problèmes de l’heure, les plus criants, les plus visibles. À preuve, il n’y a pas encore un seul mot sur l’environnement, qui est pourtant LE problème politique numéro un à long terme.
L’homme que tu admires est unidimensionnel. Il ne travaille que sur des enjeux administratifs et économiques. Il évacue tout le politique, l’historique, le philosophique, le culturel, le sociologique et le constitutionnel. Il laisse de côté toute nécessité de reconnaissance, de protection. Il parle de développement économique, mais il ignore les principes d’émancipation, d’égalité, de solidarité. En somme, ce n’est que de la compétitivité et du développement. Et encore, du bout des lèvres, il évoque la nécessité de décentralisation. Aucunement, il n’oppose à l’illégitimité canadienne la légitimité québécoise. Seul compte pour lui les solutions managériales devant les solutions politiques. C’est là où réside son véritable leurre. En effet, comment solidifier les fondements d’une société si on n’ose pas aborder de front justement les aspects fondamentaux de cette société-là?
Ton geste est d’autant plus choquant que tu choisis l’attentisme à l’action profonde. Tu choisis une formation qui propose 10 à 15 ans de statu quo avec le Canada, alors que ça fait 16 ans qu’on en vit un justement. C’est long 15 ans. Pense seulement à ce qui s’est passé de 1976 à 1990 pour une comparaison et ça te donnera une idée du vide abyssal dans lequel tu cherches maintenant à nous plonger.
J’ai une question pour toi : à quelle sorte de destin politique serait voué un peuple dont le seul projet collectif ne tient plus qu’à des questions d’intendance? Car mettre en veilleuse ces questions ne peut être sans avoir d’effet sur le destin politique de ce peuple. La subordination, la soumission ou la minorisation est ce qui attend tout peuple qui perd de vue, ne serait-ce que le temps d’un mandat, son destin national. La question nationale, si elle n’a rien d’urgent à vos yeux, n’en demeure pas moins importante. Et toutes solutions aux questions d’intendance ne trouveront leurs solutions qu’en elle. Ce qui se cache derrière les « vraies affaires », c’est une abdication face à notre destin.
La question se pose : qui a intérêt à voir le Québec écoper avec l’émergence de la CAQ, sinon ce Canada qui en a soupé des revendications du Québec? Ce qu’il faut mettre sur la glace, ce n’est pas la souveraineté, cher ami, mais le statu quo dans lequel on baigne depuis 17 ans et dans lequel vous voulez nous plonger pour encore quinze ans. Car ce statu quo, c’est le vrai problème des 40 dernières années.
Mon cher ami, je peux pardonner aux électeurs de voguer vers la CAQ parce qu’ultimement, c’est de notre faute s’ils le font. Mais je ne peux pardonner à un acteur que j’estime de premier plan, un ami de surcroît, de se détourner de cette conviction profonde et extraordinaire que représente l’idée puissante de faire un pays.
L’avenir constitutionnel du Québec, ce n’est pas une simple ligne de parti. Ce n’est pas une simple division partisane entre des partis qui défendent une autonomie du Québec au sein du Canada ou d’autres son indépendance. C’est de l’existence même de la nation, de sa projection dans le temps dont il s’agit.
Se soustraire de la question nationale, ce n’est pas une façon de la régler. On ne peut pas prétendre au «on verra» dans dix ans. Dans dix ans, alors que le Canada se construit sans nous, c’est le Québec qui poursuivra la lente déconstruction que Jean Charest a amorcée. Ce à quoi nous appelle François Legault n’est pas à une révolution, mais à une «Dévolution tranquille».
Et, toi, toi mon ami François, celui que j’aimais tant, c’est ce à quoi tu participes désormais.
Jocelyn Desjardins
_ Porte-parole du NMQ
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