Les valeurs chrétiennes émergent

Élections fédérales du 14 octobre 2008


Michel Corbeil - Un prêtre mis en demeure par le Vatican de ne pas être sur les rangs pour le Bloc québécois. Une candidate conservatrice liée à l’Opus Dei. Une sortie de Mgr Jean-Claude Turcotte sur l’avortement avec le scrutin fédéral comme fond de scène. Des reproches entre bloquistes et conservateurs en forme d’allusions aux convictions religieuses. Les sujets qui mettent en évidence les valeurs chrétiennes émergent dans l’actualité. Des valeurs du XXIe siècle?


Pour les spécialistes consultés par Le Soleil, ce qui a trait à la foi et à la morale chrétiennes occupe une place inédite dans le forum politique de la présente campagne électorale. À première vue, cela semble détonner dans un Québec dont la Révolution tranquille a consacré un État laïque fort.
Hommes de pouvoir
Il ne faudrait quand même pas trop se surprendre que la religion s’occupe de politique, corrige Claude Cossette, le réputé professeur de publicité sociale à l’Université Laval. «Chez les religieux, il y a des hommes de pouvoir», rappelle-t-il.
Dans une société où maintenant «chacun est confronté à ses propres questions, (...) ceux qui ont une voix morale, claire et forte à proposer ont pris de plus en plus de pouvoir». Depuis «20, 30 ans», le phénomène lui apparaît «de plus en plus fort d’une élection à l’autre». Il y voit là le reflet probable «d’un certain désarroi éthique».
Théologien enseignant à l’Université Laval, Guy Jobin signale que le rôle politique de l’Église a été mis en veilleuse depuis les années 60. Mais, poursuit-il, cela n’exclut pas ponctuellement des «interventions fortes des évêques».
Les pressions de militants catholiques pour la loi sur l’abolition de la pauvreté ont aussi démontré, selon lui, «qu’il y a des valeurs religieuses qui vivent encore».
La commission Bouchard-Taylor, sur les accommodements raisonnables, a aussi prouvé que les religieux catholiques sont «des citoyens porteurs d’une tradition forte», avance-t-il.
La décision médiatisée de Mgr Turcotte, de remettre son insigne de l’Ordre du Canada en guise de protestation contre le fait que le médecin et militant proavortement Henry Morgentaler la recevra aussi, fait indéniablement partie des «interventions fortes». «Une sortie comme celle-là, c’est la première fois qu’on voit ça», commente l’expert dans le domaine de «la religion dans l’espace public».
À l’Université de Montréal, Solange Lefebvre met des bémols sur l’idée d’un plus grand activisme religieux. «Des curés qui ont pris des positions politiques, ça n’a pas manqué au Québec!» lance-t-elle.
Ce qui lui apparaît nouveau, c’est «l’apparition des chrétiens évangéliques dans le paysage canadien», avance l’universitaire de la chaire religion, culture et société. D’autant que le premier ministre sortant conservateur Stephen Harper appartient à cette mouvance.
Impossible d’évoquer la montée des questions de religion sans mentionner celle de la droite religieuse américaine. Si quelque chose est en train de changer radicalement, c’est la façon d’intervenir du monde religieux, souligne Guy Jobin. «L’Église catholique se comporte de plus en plus comme un groupe de pression.»
Et, dit-il, cette façon de faire représente «quelque chose de plus fondamental qu’une tache d’huile américaine sur les démocraties occidentales. C’est la manière dont on comprend les rapports entre politique et religion en Occident. C’est le repositionnement symbolique de la religion dans la vie publique des sociétés.»
Pour Claude Cossette, le lien entre ce qui se passe ici et l’activisme aux États-Unis est «évident. Ce que la droite religieuse sent, ces années-ci, c’est qu’elle a une certaine force, une certaine influence. Elle se dit : “Pourquoi ne pas forcer la note? Pourquoi ne pas être missionnaire de ce côté, et pas seulement pour les âmes?”»
Ce qui s’installe ici ressemble un peu à la France de Nicolas Sarkozy, sous l’idée de la «laïcité ouverte», suggère le théologien Guy Jobin. Une idée «où il y a un espace où les groupes religieux peuvent se manifester dans la vie sociale (et) politique. L’autre chose, c’est que ces groupes religieux (pour faire valoir leurs convictions) entrent par cette porte en se présentant comme des groupes qui proposent une identité forte. C’est la conjonction des deux (facteurs) qui fait qu’on voit de plus en plus d’interpellations face au pouvoir public de la part de groupes religieux.»
D’après le théologien, si rien ne remet en question la séparation de l’État et de l’Église, il faut constater que «la religion est une dimension de l’identité. La résurgence de ces questions ne me surprend pas. Pour beaucoup de gens, ce sont des questions qui viennent toucher au plus profond de leur identité.»
L’écho du vieillissement
La résurgence du religieux dans la sphère politique, ici comme ailleurs en Occident, se fait peut-être aussi l’écho d’un phénomène de société, le vieillissement de la population. Cette thèse vient spontanément à l’esprit du politologue Jean-Herman Guay lorsqu’il observe les débats qui trouvent écho dans la campagne électorale fédérale et dans l’actualité politique internationale.
Joint à l’Université de Sherbrooke, où il enseigne, M. Guay signale que des dossiers qui semblaient réglés reviennent à la surface. Au Québec et au Canada, il donne l’exemple de l’avortement, qu’une sortie de Mgr Jean-Claude Turcotte a remis sur le radar politique. En France, note-t-il, pays de laïcité consacrée par sa constitution, le pape Benoît XVI a été reçu à l’Élysée par le président Nicolas Sarkozy. «Il y a des symptômes partout, même en Chine, estime le spécialiste de la politique. C’est une quête de sens.
«Nous pensions que c’était terminé» le questionnement gravitant autour du thème de la religion, fait-il remarquer. «Mais il y a, d’une part, le phénomène de la montée de la droite qui trouve toujours plus une corrélation avec la religion.
«L’autre facteur, plus fondamental, enchaîne M. Guay, c’est le vieillissement de la population.»
L’un et l’autre sont liés, estime l’universitaire, et reposent davantage sur des «valeurs tradition­nelles». Jean-Herman Guay répond qu’il ne faut pas considérer comme farfelue l’idée que le sentiment religieux soit exacerbé dans des populations vieillissantes.
Des exemples d’amis ou de parents qui affichent un renversement de valeurs au crépuscule de leur vie pour se rapprocher de l’Église et de ses dogmes peuvent en témoigner, indique-t-il.
Le vide
Il ne faut pas aussi oublier que la politique a horreur du vide. Au Québec, analyse M. Guay, «la gauche (peu associée à la religion) a souvent été incapable de développer» de nouveaux projets de société. Depuis la chute du mur de Berlin et du communisme, à la fin des années 80, elle s’est cantonnée «essentiellement dans la critique».
Un autre facteur québécois réside «dans le recul de la souveraineté», termine le politologue. Cette thèse «prenait tellement de place que des points, qui n’émergeaient pas, émergent maintenant» sur la place publique.


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