Les travaillistes de Jeremy Corbyn à la peine

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Les accusations d'antisémitisme plombent la campagne des travaillistes


« Depuis le référendum sur le Brexit, nos citoyens sont devenus plus individualistes. Le climat n’est pas bon. Je vois se produire la même chose qu’aux États-Unis, où j’ai grandi. Le même manque de confiance dans les institutions. C’est pour ça que je me suis engagé dans cette élection. »


Simon Sprague n’a pas beaucoup de chance de l’emporter jeudi. En ce mercredi soir venteux, la cinquantaine de personnes qui est venue écouter le candidat libéral démocrate débattre avec ses adversaires le sait bien.


C’est pourtant lui qui pourrait ouvrir la voie à l’élection du conservateur Mario Creatura, un fils d’immigrants italien qui a grandi à Croydon, contrairement à la députée travailliste Sarah Jones, élue à la surprise générale en 2017. Si cette circonscription prospère du Grand Londres qui attire les jeunes familles de la classe moyenne passe aux conservateurs jeudi, ces derniers remporteront une des plus grandes victoires depuis l’élection de Margaret Thatcher en 1987. Dans cette circonscription où les partisans du Remain l’avaient emporté par une faible majorité en 2016, il suffirait pour cela que quelques milliers d’entre eux choisissent de voter libéral-démocrate.


À Croydon, les travaillistes n’ont pourtant rien négligé afin de mobiliser leur électorat naturel, qui se recrute surtout chez les jeunes. Ils ont même enrôlé un fils de l’endroit, le rappeur Stormzy, né de parents ghanéens. Sur la gigantesque scène du festival de Glastonbury, le rappeur y est allé d’une version adaptée de son succès Vossi Bop dans laquelle on pouvait entendre « Fuck the government and fuck Boris ».


Brexit «or no» Brexit


Jeremy Corbyn a beau poser aux côtés des stars du rap, les observateurs n’ont pas manqué de remarquer que les foules ne sont plus au rendez-vous comme en 2015 dans les grands rassemblements publics qu’il apprécie tant. Depuis quelques jours, les appels au « vote utile » se sont multipliés dans la presse de gauche.


Même les anciens premiers ministres John Major et Tony Blair ont mis la main à la pâte. En effet, la campagne de Jeremy Corbyn n’a pas le dynamisme de celle de 2017, dit Simon Griffith, de l’Université de Londres.



Si Boris Johnson revient au 10 Downing Street, il devra remercier Jeremy Corbyn




« L’effet de nouveauté s’est dissipé, et le gros problème de Corbyn, c’est sa position ambiguë sur le Brexit alors que c’est devenu la question centrale de cette élection. Corbyn veut négocier une nouvelle entente avec Bruxelles, mais il ne dit pas s’il la soutiendra, ou votera Remain, lorsqu’elle sera soumise au référendum. L’électeur moyen n’y comprend rien ! »


Malgré des revendications très populaires, comme la renationalisation des chemins de fer, la gratuité des universités et d’Internet, sa campagne est à la peine, dit le politologue. Un signe ne trompe pas. Le nombre d’inscriptions de dernière minute sur les listes électorales, pour la plupart des jeunes qui devraient voter Corbyn, n’a pas atteint le record de 2017.


L’antisémitisme


Et puis surtout, il y a ces accusations répétées d’antisémitisme qui gangrènent le parti depuis bientôt trois ans.


En novembre, le grand rabbin du Royaume-Uni, Ephraim Mirvis, avait accusé Corbyn de ne rien faire contre les déclarations antisémites de ses membres.


Voilà qu’à quatre jours du scrutin, le Times révélait des documents internes selon lesquels, malgré les excuses du leader finalement faites sur ITV, plus de 130 propos antisémites n’avaient toujours pas été sanctionnés.


Certains avaient pourtant été rapportés il y a de cela un an et demi. Il aura fallu par exemple plus de dix mois pour expulser un membre de Nottingham qui qualifiait les Juifs de « virus mortel » et disait vouloir leur « élimination complète ».


Selon le Times, d’autres membres n’ont jamais été sanctionnés après avoir remis en question l’existence de l’holocauste. Même s’il conteste ces chiffres, le numéro deux du parti, John McDonnell, a admis que ce scandale avait pourri la campagne travailliste.


Pour la première fois de sa vie, le sociologue David Hirsh votera libéral démocrate. Dans sa circonscription du nord de Londres, Finchley and Golders Green, 23 % des électeurs sont juifs.


Or, dans cet électorat traditionnellement de gauche, le vote travailliste ne serait plus qu’à 6 % ! Cela ne surprend pas Hirsh, qui a quitté le parti en février, en même temps que la députée de Liverpool, Luciana Berger, qui avait accusé son ancien parti de protéger les antisémites.


Selon Hirsh, « lorsque Jeremy Corbyn est devenu chef, il a amené avec lui une frange de militants d’extrême gauche qu’il fréquentait depuis toujours et qui détestaient Israël au point de tolérer tout ce qui pouvait être dit contre elle et les Juifs. »


« Pour lui, Israël n’est qu’un symbole de l’impérialisme, rien de plus. Ce qui passe sous silence toute l’histoire des Juifs au XXe siècle ! »


L’image du parti atteinte


Il est de notoriété publique que le leader travailliste, qui a toujours été proche des milieux d’extrême gauche, est intervenu à la télévision iranienne (Iran Press TV) jusqu’en 2012, même après que l’autorité britannique de contrôle de l’audiovisuel eut révoqué sa licence pour avoir diffusé une entrevue filmée sous la contrainte avec le journaliste canado-iranien Maziar Bahari.


Même l’« historique » Jewish Labour Movement, affilié aux travaillistes depuis 1920, refuse de soutenir le parti dans cette élection. Les travaillistes ont bien tenté de répliquer en accusant les conservateurs d’islamophobie, mais à gauche, la colère est grande contre Corbyn.


« Quel parti pourrait se permettre d’avoir un chef qui laisse ainsi se répandre le poison de l’antisémitisme », se demande l’éditorialiste en chef de l’influent hebdomadaire de gauche The Observer, Andrew Rawnsley. Et le chroniqueur de conclure : « Si Boris Johnson revient au 10 Downing Street, il devra remercier Jeremy Corbyn. »


Les quelque 300 000 Juifs du Royaume uni ne sont évidemment pas assez nombreux pour modifier les résultats de ce scrutin. « Sous ses airs relax, Corbyn n’a pas l’air d’un antisémite, dit Simon Griffith. Mais il n’en demeure pas moins que ce scandale lui nuit et que l’image du parti est atteinte. »


Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat- Le Devoir.




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