Les subventions aux alumineries : des bénéfices illusoires

La vente de l'électricité à faible prix aux alumineries constitue une perte pour la société québécoise

17. Actualité archives 2007


Le 14 décembre dernier, le gouvernement du Québec et Alcan se sont associés pour l'implantation d'une nouvelle aluminerie au Saguenay — Lac-St-Jean. La réalisation de ce projet devrait amener Alcan à investir 2,0 milliards$ au cours des dix prochaines années et à engager 740 personnes qui occuperont des emplois hautement spécialisés. La contribution gouvernementale à ce projet est complexe et elle comporte des dimensions financières, fiscales et énergétiques. Nous avons estimé le coût total de cette contribution à 3,19 milliards$, soit 249,2 millions$ par année durant 30 ans ou 336 700$ par année par emploi au cours de la même période.
Une entente de même nature a été conclue en septembre 2002 pour la réalisation de la phase II de l'aluminerie Alouette de Sept-Iles : vente de 500 MW au tarif grande puissance L modulé à la baisse et prêt sans intérêt de 260 millions$ pour 30 ans. De plus, Alcoa a frappé et frappe toujours à la porte du gouvernement pour obtenir de l'aide pour ses projets de rénovation et d'expansion à ses usines de Deschambault et de Baie-Comeau. C'est beaucoup d'argent fourni de la part du gouvernement québécois eu égard aux demandes pressantes qui lui sont adressées pour la santé, l'éducation et les infrastructures.
Plusieurs arguments sont avancés par l'Association de l'aluminium du Canada, des intervenants régionaux, des analystes, des universitaires et le gouvernement lui-même pour justifier une telle contribution publique à des projets privés. Notre objectif dans ce texte est d'analyser le fondement économique de ces arguments dans le nouveau contexte énergétique québécois.
L'argument des retombées économiques
L'argument le plus souvent présenté pour justifier l'aide gouvernementale est celui des retombées économiques. Pour le projet de l'Alcan, le gouvernement estime qu'il créera plus de 2500 emplois directs et indirects incluant les 740 emplois en usine, soit deux emplois indirects par emploi direct. Il faut faire la même analyse pour les alternatives qui peuvent être considérées. Pour ce cas-ci, Alcan investira 2,0 milliards$ alors que le gouvernement renonce à 3,12 milliards$.
Cette dernière somme aurait pu être utilisée à améliorer le réseau routier québécois; c'est un projet d'investissement qui aurait généré plus de retombées économiques directes et indirectes que le 2,0 milliards$ de l'Alcan. La même analyse peut être appliquée à d'autres dépenses gouvernementales comme la santé, l'éducation et la redistribution du revenu. Il est faux d'affirmer que les profits reliés à l'exportation de l'électricité du Québec n'ont pas de retombées économiques comme l'affirme l'Association de l'Aluminium du Canada dans un texte de publicité distribué dans plusieurs quotidiens.
Valeur ajoutée surestimée
Dans le même texte, cette dernière estime que chaque kilowatt utilisé par les alumineries du Québec génère une valeur ajoutée de 14,3 cents. La valeur ajoutée est définie comme le revenu gagné par les employés et par les détenteurs du capital (profits, intérêts et rentes) qui réalisent une production. Ce n'est pas une mesure de rentabilité privée ou sociale, car elle ne prend pas en compte la relation entre les bénéfices et les coûts. Pour l'aluminium, la valeur ajoutée élevée signifie simplement que les producteurs utilisent beaucoup de capital par unité produite. Il y a d'autres entreprises québécoises qui sont tout à fait rentables et qui utilisent moins d'électricité par unité de production.
Un argument justifiant ces subventions aux alumineries vient du fait que certains autres pays vendent leur électricité à prix faibles sous le couvert de subventions plus ou moins directes : il faut faire face à la concurrence et défendre nos industries. Les pays qui s'avèrent particulièrement attrayants au chapitre des tarifs d'électricité en ce moment sont l'Islande, le Qatar et l'Afrique du Sud.
C'est plus rentable d'exporter l'électricité
Ces pays qui peuvent produire de l'électricité à faibles coûts doivent la transformer en des produits exploitables à cause de leur éloignement des marchés des pays industriels. Ce n'est pas le cas du Québec qui est entouré de régions où les prix de l'électricité sont deux à trois fois plus élevés qu'ici. Pour le Québec, il est beaucoup plus rentable d'exporter l'électricité directement par les interconnexions qu'indirectement par des lingots d'aluminium. Le Québec dispose d'un avantage de localisation par rapport à ces autres pays.
L'ampleur du développement hydroélectrique à faibles coûts au Québec est sans aucune mesure par rapport à ce qui existe partout ailleurs dans le monde : un système de plus de 40 000 MW à 95% hydroélectrique. La disponibilité d'électricité à faibles coûts a marqué tous les secteurs d'activité, en particulier le secteur industriel qui consomme plus de 50% de l'électricité. Le secteur fonte et affinage des métaux auquel appartiennent les alumineries représente 50% de cette consommation. Ceci a contribué au développement industriel et à l'enrichissement collectif depuis cent ans. En 2003, l'aluminium en alliages bruts a constitué 14,7% des exportations au Québec.
L'hydroélectricité à faibles coûts achève
Cependant, deux changements majeurs sont survenus dans les dernières années. Il y a d'abord l'accroissement des coûts des nouvelles sources d'approvisionnement en électricité au Québec. Il est normal qu'il en soit ainsi puisque les meilleurs sites ont été développés et qu'il faut faire appel à des sites de plus en plus éloignés. Ainsi, dans sa politique énergétique déposée en juin 2006, le gouvernement considère le développement de la Romaine (1500 MW) et de Petit Mécatina (1500 MW) qui fournirait de l'électricité à plus de 10,0¢/kWh. Le projet éolien de 1000 MW en cours de construction livrera de l'électricité à 8,3¢/kWh. L'ère du développement hydroélectrique à faibles coûts tire à sa fin au Québec.
L'autre changement a été l'ouverture du marché de gros de l'électricité aux États-Unis en 1998. Hydro-Québec peut maintenant vendre directement aux prix du marché. Pour les onze premiers mois de 2006, le prix moyen fut de 8,9¢/kWh.
Donc si nous considérons le coût de développement des nouvelles sources d'électricité au Québec ou le lucratif marché de l'exportation, la vente de l'électricité à faible prix aux alumineries constitue une perte pour la société québécoise. La politique industrielle du gouvernement québécois ne reflète pas cette nouvelle réalité. Un développement industriel qui a contribué de façon significative à l'accroissement de la richesse collective est en train de se transformer en un frein à cette amélioration du bien-être collectif. Les ententes récentes et celles en préparation nous montrent qu'il en sera malheureusement ainsi pour les décennies à venir.
Gérard Bélanger et Jean-Thomas Bernard
Département d'économique

Université Laval


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