Les salaires de la honte

L’Empire - mondialisation-colonisation



Les données choquent toujours. Il y a un mois, les hauts cris accompagnaient l'annonce du versement d'une somme record de 140 milliards en primes chez les 23 plus importantes institutions financières américaines, et ce, en pleine crise financière! Cette semaine, les dénonciations sont venues de cette donnée indiquant que la rémunération moyenne des dirigeants des 100 plus grandes entreprises canadiennes était 174 fois plus élevée que celle du travailleur moyen, et ce, en pleine récession! Que dire de plus?
Le Centre canadien de politiques alternatives est venu ajouter une statistique de plus à l'argumentaire de ceux qui se pincent le nez devant cette rémunération stratosphérique, que l'on dit indispensable à l'attraction et à la rétention des meilleurs éléments. On pense à ces «éléments» qui ont poussé l'ingénierie financière et la gestion exotique jusqu'à entraîner l'économie mondiale dans sa pire crise financière depuis la Grande Dépression. On pense aussi à ces «éléments» qui n'ont, pour approche originale, que de pratiquer des coupes préventives dans leurs effectifs afin de se protéger contre une récession que ces compressions viennent pourtant alimenter. Ou que de multiplier l'octroi de prêts à l'aveuglette sur la fausse croyance que les valeurs immobilières ont pour particularité de croître perpétuellement.
Donc, les dirigeants des 100 plus importantes entreprises canadiennes inscrites en Bourse ont touché une rémunération moyenne de 7,4 millions en 2008, année de récession. Soit 174 fois plus que celle du travailleur canadien moyen à temps plein. Et ce calcul suppose une évaluation des options d'achat d'actions consenties à ces dirigeants après une contraction boursière de 40 % survenue à l'automne 2008. Si l'on refaisait le calcul aujourd'hui, après le rebond de 65 % des principaux indices boursiers depuis mars...
Faible consolation, à la fin de 2007, une année de forte croissance, ces hauts dirigeants étaient 259 fois mieux payés que le travailleur moyen. Récession oblige... Ce rapport était de 115 fois à la fin de 2006, contre 24 fois en 1996, selon d'autres observations. Aux États-Unis, où l'on est plus généreux encore en matière d'options d'achat d'actions, on est passé de quelque 40 fois à 411 fois pour les dirigeants d'entreprise composant l'indice boursier S&P 500.
Ce qui étonne davantage dans ces données, c'est le phénomène de progression rapide de la rémunération des hauts dirigeants, qui croît à un rythme inversement proportionnel à la montée des dénonciations et de la réprobation générale. Il y a dix ans, ces dirigeants gagnaient 100 fois le salaire du travailleur moyen. Le centre d'analyse a calculé que depuis, la hausse a été de 70 % entre 1998 et 2008 en tenant compte de l'inflation, contre un recul net de 6 % pour l'ensemble des travailleurs.
Il appert qu'une grande explication vient de cet octroi croissant, tous azimuts, d'options d'achat d'actions, «dont la valeur n'a souvent rien à voir avec la performance réelle de l'entreprise». Pourtant, le marché boursier vient de connaître sa première décennie négative. «Ceux qui ont investi dans des actions ont, même en prenant en compte les dividendes et leurs réinvestissements, perdu de l'argent sur la décennie 2000-2009», retiennent les analystes.
L'histoire de la dernière décennie, qui comprend les scandales financiers à la Enron du début des années 2000, nous enseigne que toute tentative de mettre un terme à cette rémunération honteuse s'est traduite par une rémunération toujours plus ingénieuse, et plus stratosphérique.
Dans la foulée de ces scandales comptables de 2000-01, n'a-t-on pas transformé les primes au rendement en primes de rétention? Aussi, les conseils d'administration n'ont-ils pas été jusqu'à délaisser les options d'achat, alors fortement décriées, pour faire appel à des droits à la plus-value des actions, remplaçant un mécanisme de dilution de l'actionnariat par une hypothèque pour l'entreprise inscrite hors bilan? Sans compter que nombre d'entreprises ont répondu au tollé en éliminant ou en réduisant les primes au rendement pour les rendre plus discrètes et leur donner plutôt la forme d'un parachute doré, d'une allocation de départ plus généreuse ou d'une bonification du régime de retraite.
Que faire? Recourir à une fiscalité dissuasive pour toute rémunération jugée excessive? Il reviendra alors à l'entreprise d'encaisser le coup puisqu'une attention plus grande sera portée sur la rémunération nette offerte au dirigeant. Et l'on se heurtera toujours aux limites imposées par les distinctions entre l'implication de fonds publics ou de capitaux privés. Sans oublier que dans ce dernier cas, la problématique change selon que l'entreprise repose sur un actionnariat diffus, qu'elle est sous l'influence d'un actionnaire de contrôle ou encore qu'elle est non inscrite en Bourse.
Que dire de plus?


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