L'existence même du Bloc québécois démontre l'absurdité de toute comparaison entre la situation du Québec et celle de la France occupée par l'Allemagne nazie.
Gilles Duceppe a soulevé un petit tollé à Ottawa en évoquant la «Libération» lors du point de presse qui a suivi son discours au conseil général d'un Bloc québécois, samedi, à Québec. Il a eu beau répéter hier qu'il tenait le Canada pour une grande démocratie, l'allusion était déplacée et inutile.
L'histoire peut être une grande source d'inspiration, mais tout n'est pas comparable. Aussi pénibles qu'aient pu être la crise de la conscription ou la Loi des mesures de guerre, il n'y a aucune commune mesure avec les horreurs nazies.
Les Québécois s'indignent à bon droit quand on compare la Charte de la langue française aux lois de Nuremberg. Les Canadiens ont aussi leur susceptibilité qui, quoi qu'en dise le chef du Bloc, n'est pas nécessairement un signe de pauvreté intellectuelle.
Peu après le 11 septembre 2001, Bernard Landry avait établi un parallèle tout aussi douteux entre la tragédie du World Trade Center et le combat des indépendantistes québécois. Cela n'avait fait avancer en rien la cause souverainiste.
Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, qui laisse une bande d'activistes pro-israéliens détruire l'organisme Droits et Démocratie, est cependant bien mal placé pour donner des leçons. Soit, la remarque de M. Duceppe était malheureuse, mais M. Cannon a beurré beaucoup trop épais pour que son indignation soit crédible.
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S'il faut se méfier des comparaisons boiteuses, la rectitude politique ne doit pas avoir pour effet de bannir tout le dictionnaire. Il n'y a aucun problème à ce que M. Duceppe cite Pierre Vadeboncoeur et utilise au sens général du terme le mot «résistants», qui décrit parfaitement l'action du Bloc au cours des vingt dernières années.
À la Chambre des communes, il n'est pas le seul parti à défendre des valeurs chères aux Québécois, qui sont souvent partagées par les Canadiens d'un océan à l'autre. Occasionnellement, cela peut même arriver à Stephen Harper.
Là où le Bloc est cependant unique, c'est dans sa résistance quotidienne à l'opération de nation building en cours au Canada. Au-delà des querelles partisanes, toutes les autres formations représentées à la Chambre des communes sont fondamentalement d'accord avec la Constitution actuelle et l'évolution du fédéralisme qu'elle détermine, parce que les Canadiens eux-mêmes le sont.
Si la souveraineté n'a pas l'appui d'une majorité de Québécois, le Bloc peut prétendre parler au nom du Québec tout entier quand il dénonce l'ordre imposé par le rapatriement unilatéral de 1982, qu'aucun gouvernement québécois n'a accepté depuis.
Généralement, c'est au déclenchement d'une campagne électorale que l'on réactive le sempiternel débat sur la pertinence du Bloc. Inévitablement, le vingtième anniversaire de sa fondation permettra d'y revenir sans même attendre la prochaine élection.
The proof of the pudding is in the eating, disent les anglophones. C'est un peu la même chose pour le Bloc. Le simple fait que 37 % des Québécois lui accordent toujours leur appui, selon le dernier sondage Léger Marketing-Le Devoir, suffit largement à justifier son existence.
Il est vrai que la conjoncture l'a souvent bien servi, mais on n'obtient pas six majorités de sièges d'affilée simplement en profitant des circonstances. Le Bloc incarne très bien l'esprit de résistance qui est en quelque sorte inscrit dans les gènes politiques du Québec depuis la Conquête.
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«Les résistants d'hier seront les vainqueurs de demain», a dit M. Duceppe. Peut-être, mais on ne voit plus le jour où la mission du Bloc, qui se voulait temporaire, prendra fin. Dans la mesure où les Québécois sont insatisfaits de l'état de la fédération, mais n'ont ni la capacité de la réformer ni l'audace de la quitter, la résistance est devenue un état permanent.
À défaut de tirer un meilleur profit du fédéralisme ou de voler de ses propres ailes, c'est comme s'ils utilisaient le Bloc pour démontrer leur pouvoir de nuisance en forçant l'élection de gouvernements minoritaires.
Certes, l'hégémonie du Bloc condamne le Québec à un rôle d'opposition aux Communes. Sa représentation au sein de l'actuel gouvernement est minimale, mais ses intérêts étaient-ils vraiment mieux servis à l'époque du french power?
Depuis une quarantaine d'années, les ministres québécois à Ottawa ont semblé consacrer plus d'énergie à vendre le fédéralisme aux Québécois qu'à faire la promotion de leurs intérêts. La Constitution de 1982, la loi sur la clarté, les compressions dans les transferts aux provinces, le programme des commandites sont autant de faits d'armes des Québécois à Ottawa.
Certains estiment que le Bloc nuit au PQ en offrant une police d'assurance à la population et qu'il vaudrait mieux laisser le fédéralisme montrer son vrai visage. Abandonner le terrain à l'adversaire est cependant très risqué. Les Québécois ont une longue habitude de la résistance, mais ils ne sont pas très forts sur la contre-attaque.
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mdavid@ledevoir.com
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