Les nouveaux acteurs qui remplacent l'État

Par Susan Phillips

17. Actualité archives 2007


Susan Phillips*
_ Directrice de la School of Public Policy à l'Université Carleton
Université Carleton
Autrefois, l'État prenait en charge la plupart des aspects de la gestion des affaires publiques. Il continue aujourd'hui de jouer un rôle très actif dans la façon dont nous sommes gouvernés, mais une nouvelle tendance a commencé à se manifester ces dernières années. Les gouvernements cherchent désormais à amener d'autres acteurs à prendre part à des activités qu'ils exécutaient auparavant par eux-mêmes - la prestation de services et l'élaboration des politiques, par exemple. On a donné à ce phénomène le nom de «gouvernance partagée».
Aussi assiste-t-on aujourd'hui à un partage des responsabilités entre l'État et divers secteurs, dont le secteur des entreprises et celui des organisations bénévoles et sans but lucratif.
La troisième voie
La participation accrue de ce dernier groupe revêt une importance toute particulière. Les organisations communautaires jouent un rôle essentiel dans la promotion d'une participation plus active des citoyens à la vie publique. Elles connaissent bien les milieux dans lesquels elles exercent leurs activités et s'occupent aujourd'hui d'une part non négligeable de la prestation des services publics.
Sur la scène internationale, les gouvernements ont tendance à être plus ouverts et davantage enclins à collaborer avec le secteur bénévole et sans but lucratif. L'exemple peut-être le plus évident est le modèle de la «troisième voie» adopté par Tony Blair et le New Labour lorsqu'ils ont accédé au pouvoir en Grande-Bretagne.
Au Canada, c'est le Québec qui a traditionnellement été à l'avant-garde en ce qui a trait à la collaboration entre le secteur bénévole et l'État. Le mouvement communautaire québécois a pris son envol à l'époque de la Révolution tranquille et il a lutté pour s'affirmer comme interlocuteur valable dans l'arène politique. Il a mené un vaillant combat.
Hélas, les choses ont commencé à changer au Québec. Il s'est produit sous le gouvernement Charest une réorientation soudaine de la politique qui a essentiellement entraîné l'exclusion du secteur bénévole dans plusieurs domaines de la gestion publique.
Mieux au Québec qu'ailleurs
Malgré cela, la collaboration entre l'État et le secteur bénévole se porte sans doute mieux au Québec que dans le reste du Canada.
Le gouvernement fédéral se plaît à répéter qu'il est devenu plus ouvert et davantage tourné vers la collaboration. Ainsi, le premier ministre a indiqué que le gouvernement allait mener de vastes consultations au sujet de la stratégie sur le changement climatique qu'il entend rendre publique cet automne. La consultation est certes un élément important du processus menant à la formulation des politiques, mais dans les faits, le Canada s'est montré très réticent à mettre au point d'authentiques mécanismes de collaboration à des fins de gouvernance et à établir des relations étroites et durables avec le vaste secteur bénévole et sans but lucratif.
Il existe un modèle spécifiquement canadien des relations entre l'État et le secteur bénévole, mais ce modèle s'est développé davantage en réaction à des événements extérieurs que sous l'effet d'un désir conscient d'encourager le développement de nouveaux modes de gouvernance partagée.
Les trois difficultés
Trois difficultés tout aussi typiquement canadiennes limitent grandement l'étendue des pouvoirs que le gouvernement fédéral est disposé à partager avec le secteur bénévole.
La première tient à notre préoccupation obsessive envers l'obligation de rendre compte. Les exigences plus strictes imposées à cet égard en ce qui a trait au financement public du mouvement bénévole ont entravé le développement des rapports de confiance sur lesquels doit nécessairement reposer la gouvernance partagée. Le problème n'est pas celui d'une responsabilisation insuffisante mais plutôt d'un excès d'«imputabilité». Compte tenu du climat politique actuel, il est peu probable que des changements se produisent de ce côté.
La deuxième difficulté, c'est que le Canada n'a pas créé un environnement propre à favoriser une véritable participation des groupes bénévoles à la gouvernance. Nous avons besoin de lois et règlements qui vont permettre à ces groupes de devenir d'authentiques partenaires en gouvernance.
Enfin, le secteur bénévole a été débordé par l'élargissement de son rôle en tant que fournisseur de services - un rôle qui suppose un degré élevé de co-production et de collaboration en même temps que de concurrence. C'est pourquoi il n'a pas pu concentrer ses efforts sur le développement de capacités qui lui permettraient de formuler des politiques afin de participer à la gouvernance et il a dû se contenter de mettre en pratique des politiques énoncées par d'autres. Il faut que cela change, et on constate effectivement un certain mouvement en ce sens.
Les défis
Il ne sera pas facile de relever ces trois défis. Étant donné que les gouvernements éprouvent plus de difficulté à régler leurs propres problèmes et que le public fait moins confiance à l'État en général, il faudra néanmoins faire les efforts voulus.
Bref, bien que le secteur bénévole ait un rôle crucial à jouer aussi bien dans le domaine de la citoyenneté que dans celui de la gouvernance, le Canada n'a que partiellement transformé ce potentiel en réalité jusqu'à présent. Le Québec a longtemps été un modèle à émuler à cet égard, mais malheureusement il semble maintenant plus enclin à suivre l'exemple d'Ottawa.
*Son étude intitulée The Intersection of Governance and Citizenship in Canada: Not Quite the Third Way, publiée par l'Institut de recherches en politiques publiques (IRPP), est disponible à l'adresse www.irpp.org.


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