Les niaiseux

Le projet de loi Labeaume-Maltais donne cependant un très désagréable avant-goût de la «gouvernance souverainiste».

L'affaire Desmarais


Il y a un an, Pauline Marois et ses députés s'étaient présentés à l'Assemblée nationale un foulard blanc au cou, symbole d'intégrité face à un gouvernement qui bafouait les plus élémentaires règles d'éthique.
Le premier ministre Charest avait crié à l'hypocrisie. Finalement, il avait peut-être raison. Jeudi, Agnès Maltais a déposé à l'Assemblée nationale un projet de loi privé qui permettra à la Ville de Québec d'accorder à Quebecor n'importe quel contrat relatif à la gestion du futur amphithéâtre sans se soucier des nouvelles dispositions de la Loi sur les cités et villes, qui visent notamment à assurer une plus grande transparence des appels d'offres.
«Il faut arrêter de niaiser, a lancé Mme Marois mardi devant la Chambre de commerce de Québec. Nous voulons une équipe de la Ligue nationale de hockey, alors agissons en conséquence.» On aurait cru entendre le maire de Québec, comme si la chef du PQ avait été elle-même «labeaumisée».
Tous ceux qui tournent les coins rond dans l'octroi de contrats, en invoquant l'urgence ou une expertise particulière, de même que ceux qui trouvent futile l'obligation de s'inscrire au registre des lobbyistes disent exactement la même chose: «Il faut arrêter de niaiser.»
Qui sont les niaiseux au juste? Il est vrai qu'à Québec, la grande majorité est favorable à l'adoption du projet de loi -Maltais, mais c'est tout le contraire ailleurs. Tous ces «niaiseux» n'ont apparemment pas compris que le retour des Nordiques est plus important que tout, à tel point que la loi doit être mise au service de cette noble entreprise.
Des 125 élus de l'Assemblée nationale, Amir Khadir semble être le seul à véhiculer le point de vue des millions de contribuables qui s'opposent déjà à ce que la construction d'un amphithéâtre destiné avant tout à enrichir un multimillionnaire soit entièrement financée par leurs impôts. Et qui voient maintenant leurs députés prêts à adopter, quitte à se boucher le nez, un projet de loi ayant pour effet de légaliser une entente que les juristes du gouvernement soupçonnent eux-mêmes d'être illégale.
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En principe, il est toujours possible de contester la constitutionnalité d'une telle loi, mais les chances de succès sont minimes. Les opposants seront complètement muselés. Même si son adoption devait être reportée à septembre, elle aurait un effet rétroactif.
Il faut reconnaître que le gouvernement a été très habile en laissant le PQ prendre l'initiative et défendre sans la moindre réserve l'entente entre la Ville et Quebecor. Le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, a fait preuve de juste assez d'hésitation pour se donner un semblant de moralité.
Dans l'esprit des électeurs de Québec, les libéraux demeureront malgré tout ceux qui ont accepté d'engager des fonds publics. Et les péquistes, ceux qui les ont refusés aux Nordiques en 1995.
À l'extérieur de Québec, on retiendra surtout que le PQ a contrevenu à ses principes par pur opportunisme. Un avocat et ingénieur de Rosemont, Yves Ménard, a fait parvenir au Devoir une copie de la lettre qu'il a adressée à Mme Marois, accompagnée de sa carte du PQ. «Comme je trouve le projet de loi 204 antidémocratique, j'estime dorénavant être trop niaiseux pour pouvoir demeurer membre d'un parti qui se prête à un racolage aussi cynique», écrit-il.
Bien d'autres se sentiront trahis. Au fil des ans, les électeurs souverainistes ont accepté d'avaler bien des couleuvres. À défaut de réaliser la souveraineté, ils pouvaient toujours se consoler à l'idée qu'un «bon gouvernement» péquiste ramènerait au moins un peu de moralité dans la gestion des affaires publiques. Le projet de loi Labeaume-Maltais donne cependant un très désagréable avant-goût de la «gouvernance souverainiste».
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Dans l'entrevue qu'il a accordée cette semaine à ma collègue Isabelle Porter, l'ancien ministre Denis de Belleval se désolait de voir le PQ adopter la même politique de clientélisme à tout prix que le maire Labeaume. En réalité, toute collaboration entre le PQ et M. Labeaume doit lui être difficilement supportable. Il est difficile d'imaginer un homme aussi différent du maire actuel que l'ancien bras droit de Jean-Paul L'Allier.
Il ne doit cependant pas être le seul à être stupéfié de voir le PQ concourir à une véritable «berlusconisation» de la capitale. Déjà propriétaire de la station de télévision la plus regardée et du quotidien le plus lu, Quebecor pourrait maintenant mettre la main sur la plus formidable attraction de la région. Mieux encore, il a le maire dans sa poche. Le Cavaliere en serait presque jaloux.
La faible opposition à l'entente qui s'est manifestée à Québec donne la mesure de la mainmise du tandem Labeaume-PKP sur la ville. Certes, la majorité de la population y est largement favorable et il faut du cran pour défier la meute, mais il n'est pas normal que si peu de voix discordantes ont tenté de se faire entendre. Clairement, on craint de se mettre les nouveaux maîtres à dos. Le PQ devrait y penser à deux fois avant de nourrir le monstre. Celui-ci pourrait bien devenir incontrôlable.


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