La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, juge que le Parti libéral du Québec (PLQ) « n'a pas fourni les ressources nécessaires pour lutter efficacement contre la corruption au Québec », en réaction à la publication du premier rapport du comité de surveillance de l'Unité permanente anticorruption (UPAC).
Au cours d'un point de presse donné jeudi, quelques heures après le dépôt du document à l'Assemblée nationale, Mme Guilbault a reconnu ne pas avoir eu le temps de lire en détail les 172 pages du rapport, mais cela ne l'a pas empêchée de soutenir que les libéraux étaient à blâmer pour le manque de ressources décrié par le comité de surveillance.
« Le rapport nous apprend que le PLQ n'a jamais eu de réelle intention de s'attaquer à la corruption », a-t-elle déclaré, avant d'ajouter que les libéraux ont « transformé l'UPAC en corps de police, sans toutefois lui donner les outils nécessaires pour accomplir le travail ».
La ministre Guilbault a ajouté que son gouvernement « veut agir pour que les Québécois retrouvent confiance en l'UPAC » et que les 23 recommandations contenues dans le rapport seraient examinées en temps et lieu.
Selon elle, le manque de ressources pourrait également expliquer la « lenteur » de certaines enquêtes, ou encore les conclusions parfois « insatisfaisantes » de celles-ci.
Mme Guilbault a par ailleurs précisé que le comité de surveillance présidé par Claude Corbo se penchera prochainement sur les méthodes d'enquête de l'UPAC, ainsi que sur les conflits internes qui ont miné l'institution.
« La ministre doit faire ses devoirs »
Le PLQ se défend d'avoir nui aux enquêtes de l'UPAC.
« On n’a jamais empêché le travail de l’UPAC », a affirmé en entrevue avec Radio-Canada la porte-parole du PLQ en matière de Sécurité publique, Christine St-Pierre, qui a invité la ministre à « faire ses devoirs ».
« Mme Guilbault a un travail de ministre à faire. Elle doit regarder vers l’avant et mettre en œuvre les recommandations du rapport », a-t-elle ajouté.
« Le rapport indique qu’il y a beaucoup de travail à faire », a-t-elle souligné, en mentionnant entre autres « l’amélioration de la formation des enquêteurs, l’ajout de ressources financières pour l’UPAC et l’examen des bonnes pratiques dans d’autres pays où il y a des corps policiers comme ceux-là ».
Elle a tenu à rappeler que c’est le gouvernement libéral qui avait fait adopter la loi qui fait de l’UPAC un corps policier indépendant et qui avait mis en place le comité de surveillance présidé par Claude Corbo.
Assurer un bon fonctionnement
Selon ce premier rapport du comité, l'UPAC doit parachever sa transformation en corps policier spécialisé et se doter d’enquêteurs spécialisés pour remplir adéquatement sa mission.
Le document ne contient pas de révélations fracassantes sur l’UPAC, dont le travail a été sévèrement critiqué au cours des dernières années. Les 23 recommandations qu’il présente visent essentiellement à améliorer le fonctionnement de l'unité.
Ce que nous avons essayé de faire, c’est de nous dire : comment peut-on construire l’UPAC de l’avenir, de manière progressive, pour qu’elle soit plus efficace dans son fonctionnement d’ensemble?
Officiellement, l’UPAC est devenue un corps policier spécialisé en vertu d’une nouvelle loi adoptée en février 2018, mais les enquêteurs qui y travaillent lui sont toujours prêtés temporairement par la Sûreté du Québec ou d’autres corps policiers municipaux.
Pour qu'elle puisse accomplir sa mission, le comité estime que Québec devrait lui accorder « les droits, les pouvoirs, les obligations ainsi que l’autonomie juridique, organisationnelle, administrative, financière, technologique et matérielle » dont disposent les autres corps de police en vertu de la Loi sur la police.
Le gouvernement devrait aussi s’assurer que l’UPAC a « les ressources humaines, financières, informationnelles et matérielles nécessaires » à la réalisation de sa mission.
Le gouvernement du Québec et le commissaire à la lutte contre la corruption doivent appliquer la décision du législateur et entreprendre la complète constitution du nouveau corps de police spécialisé faisant partie de l'UPAC.
Enquêteurs spécialisés demandés
Conséquemment, le comité de surveillance estime que l’UPAC ne devrait pas être limitée à utiliser les services d'enquêteurs prêtés « issus d’un profil traditionnel ayant débuté par la patrouille-gendarmerie ».
Sans faire abstraction de ces derniers, elle devrait aussi se doter de « spécialistes des divers domaines professionnels pertinents » à la lutte contre la corruption, comme le droit, la comptabilité, le génie et l'informatique.
Le comité dit être « parfaitement conscient » que cette recommandation entraînera de « vives critiques », puisqu'elle « remet en cause une idée enracinée dans les corps policiers québécois depuis très longtemps, selon laquelle personne ne peut devenir enquêteur dans un corps de police sans avoir d'abord pratiqué le métier de patrouilleur-gendarme ».
Ces enquêteurs formés dans diverses disciplines universitaires doivent être reconnus comme des enquêteurs de plein droit avec les mêmes droits, privilèges et obligations que leurs collègues [ayant une double expérience en patrouille-gendarmerie et en enquête].
Le comité précise cependant qu'un candidat ayant réussi une formation universitaire dans un domaine nécessaire à la mission de l'UPAC ne devrait pas devenir enquêteur « sans réussir préalablement une formation policière de base, adaptée et offerte par l'École nationale de police du Québec ».
Le comité recommande en outre à l’UPAC d’améliorer ses partenariats avec les agences gouvernementales qui travaillent déjà avec elle, d’être davantage en contact avec les milieux universitaires et d’améliorer sa politique de communication avec les médias.
Un travail qui ne fait que commencer
En entrevue à Midi info, Claude Corbo a expliqué qu'il ne revenait pas à son comité de se pencher sur les fuites qui sont venues miner le travail de l'UPAC dans différents dossiers ni sur des allégations visant certains de ses membres.
Le Bureau des enquêtes indépendantes a un mandat pour examiner les fuites à l’UPAC, et le Directeur des poursuites criminelles et pénales a reçu des allégations fort sévères à l’endroit de certains membres de l’UPAC. Ce sont des dossiers que nous n’avons pas regardés, parce qu’ils sont pris en charge par d’autres agences.
Il a précisé en outre que le comité de surveillance ne fait que commencer son travail. Un premier employé permanent n'est en fonction que depuis le 23 avril, et le comité n'intégrera ses nouveaux locaux qu'à la fin de l'été.
M. Corbo précise cependant que le comité s'est doté d'un plan de travail pour les prochaines années.
Le commissaire par intérim de l'UPAC, Frédérick Gaudreau, a fait savoir dans un communiqué qu'il prendra connaissance du contenu du rapport et qu'il informera le comité des mesures qu'il compte mettre en place pour répondre à ses recommandations.
Il souligne « l'importance qu'il accorde à la transparence de son administration qui se traduit par une collaboration entière avec le comité et par une reddition de compte publique rigoureuse », et assure qu'il accueillera favorablement toute mesure permettant à l'UPAC de s'améliorer.