Les hautes sphères canadiennes doivent-elles être bilingues?

Le débat sur les compétences linguistiques des juges à la Cour suprême et du gouverneur général fait rage au pays

Canada bilingue - misères d'une illusion



Hélène Buzzetti - Ottawa — Suffira-t-il au capitaine Kirk, de Star Trek, de parler klingon pour se qualifier au poste de gouverneur général ou son bilinguisme devra-t-il nécessairement inclure le français? La question commence à se poser alors que la machine à rumeurs s'emballe au sujet du remplacement de Michaëlle Jean.
Le mandat de l'actuelle gouverneure générale arrivera à sa fin cet été, et le gouvernement conservateur songe à demander à la reine en personne, alors qu'elle sera en visite au Canada, de présider à l'entrée en fonction de son nouveau représentant le 1er juillet. Les conjectures vont donc bon train quant à l'identité du futur gouverneur général.
Cette semaine, un sondage non officiel de TheMarkNews.com a placé le comédien William Shatner (alias capitaine Kirk) en tête de course avec 43 % d'appuis. Suivent ensuite le militant pour les personnes handicapées Rick Hansen (11 %), le chanteur Leonard Cohen (10 %) et l'ancien chef du Reform Party Preston Manning (6 %). Outre M. Cohen, aucun ne parle français. Une page Facebook appuyant M. Shatner a recueilli jusqu'à présent 12 000 signatures.
Au même moment, un projet de loi d'intérêt privé du Nouveau Parti démocratique exigeant que les juges à la Cour suprême puissent comprendre les deux langues officielles du pays a été adopté à la Chambre des communes et est arrivé au Sénat, où il pourrait bien être adopté. Le débat fait donc rage: faut-il obligatoirement être bilingue pour accéder aux plus prestigieux postes du pays?
Moins d'anglophones bilingues
Le bureau du premier ministre a refusé de répondre hier au sujet du gouverneur général. Quant au projet de loi C-232, tous les députés conservateurs ont voté contre. Pour sa part, le quotidien Ottawa Citizen y est allé, il y a deux semaines, d'une chronique concluant que non. L'auteur Dan Gardner expliquait que cela pénaliserait les anglophones étant donné qu'à peine 9 % d'entre eux sont bilingues, contre 42 % des francophones, et même 12 % des allophones.
«La conséquence de ce bilinguisme obligatoire est évidente, mais ne peut être soulignée dans les cercles polis d'Ottawa: les emplois dans les hautes sphères ne vont souvent pas aux meilleurs candidats.»
Le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, a répliqué que le bilinguisme doit faire partie des qualifications requises pour ces postes parce qu'il en va des valeurs canadiennes. «Il existe certains emplois qui requièrent d'être bilingues. Les gens qui ne parlent pas les deux langues ne sont alors pas "hautement qualifiés" pour ces emplois.»
Cette semaine, John Major, ancien juge unilingue de la Cour suprême, s'est opposé au projet de loi du NPD. «Si on devait m'enlever une tumeur, je ne me préoccuperais pas tant des compétences linguistiques du chirurgien que de sa formation.»
Traduction infidèle
La Cour suprême offre des services d'interprétation, permettant aux avocats de présenter leurs arguments dans la langue de leur choix. Mais la sénatrice libérale Claudette Tardif, elle-même une francophone d'Edmonton, relate le témoignage de l'avocat Michel Doucet, qui avait plaidé en français sa cause à la Cour suprême devant notamment trois juges unilingues anglophones. Il a perdu à cinq contre quatre. «Il m'a dit qu'il a réécouté par la suite les propos des interprètes en anglais et qu'il n'a rien compris de ses propres arguments!»
En outre, aucun interprète n'est présent lors des délibérations entre juges, moment crucial où ils s'entendent sur les paramètres généraux de la future décision. La présence d'un juge unilingue anglophone oblige les francophones à faire valoir leur point de vue en anglais.
Le ministre conservateur du Québec, Christian Paradis, a voté contre le projet de loi le 31 mars dernier. Il avait expliqué au Devoir s'y opposer au nom des unilingues francophones aspirant à siéger à la Cour suprême. À l'heure actuelle, un unilingue francophone peut-il siéger au plus haut tribunal du pays? «Je répondrai à votre question en renversant la situation, dit la sénatrice Tardif. Est-ce que les avocats anglophones accepteraient que leur argumentaire passe par le filtre de l'interprète pour être compris des juges francophones? Je crois que la réponse est non.» Mme Tardif pilote le projet de loi du NPD au Sénat.


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