Les enfants d’abord

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« C’est méconnaître la réalité quotidienne du travail de l’enseignant que d’imaginer que celui-ci n’exerce pas d’autorité. »


Est-ce que tu crois en Dieu ? » La question venait parfois d’un petit garçon blond assis dans le fond de la classe. Elle pouvait aussi venir d’une petite fille discrète et mal assurée assise au premier rang. À combien de reprises l’enseignante dont je vous parle a-t-elle dû faire face à cette question ? Un nombre incalculable de fois. Mais chaque fois sa réponse était la même : « Ce que je crois, cela n’a pas vraiment d’importance. »


L’essentiel était de ramener l’enfant à la leçon en cours. De lui dire que certains croyaient et d’autres pas. Pour l’enseignante québécoise dont je vous parle — et elle n’est pas une exception, loin de là —, l’idée de confier ses convictions ou son absence de convictions religieuses à sa classe aurait été d’une impudeur extrême. Une forme de manque de respect à l’égard de ces jeunes esprits en formation.


Ce devoir de réserve, l’instituteur Louis Germain l’a exprimé mieux que quiconque dans une lettre magnifique qu’il adressait en 1959 à son ancien élève Albert Camus, devenu deux ans plus tôt Prix Nobel de littérature.


« Je crois, durant toute ma carrière, avoir respecté ce qu’il y a de plus sacré dans l’enfant : le droit de chercher sa vérité. Je vous ai tous aimés et crois avoir fait tout mon possible pour ne pas manifester mes idées et peser ainsi sur votre jeune intelligence. Lorsqu’il était question de Dieu (c’est dans le programme), je disais que certains y croyaient, d’autres non. Et que dans la plénitude de ses droits, chacun faisait ce qu’il voulait. De même, pour le chapitre des religions, je me bornais à indiquer celles qui existaient, auxquelles appartenaient ceux à qui cela plaisait. Pour être vrai, j’ajoutais qu’il y avait des personnes ne pratiquant aucune religion. »


Ce qu’il y a de fascinant pour nous dans ce texte d’une touchante sincérité, c’est qu’il n’y est question à aucun moment des droits de l’enseignant. Contrairement à notre étrange débat sur la laïcité, qui marche parfois sur la tête, il n’y est question que du seul droit de l’enfant de « chercher sa vérité » et du respect dû à ces « jeunes intelligences ». La raison en est simple. Pour Louis Germain, l’instituteur laïque n’avait pas d’abord des droits, mais des devoirs. Que notre débat sur la laïcité soit aujourd’hui perverti par la seule logique des droits des adultes montre bien le peu de considération que nous accordons aux enfants.


Faut-il en effet rappeler que l’autorité du juge, du policier et du gardien de prison s’exerce sur des êtres majeurs et vaccinés ? Ce qui décuple celle de l’enseignant, c’est qu’elle s’exerce sur des enfants dont l’innocence et la fragilité intellectuelle devraient imposer la plus grande retenue. D’ailleurs, partout où la laïcité existe, c’est l’enseignant de l’école publique qui la symbolise, bien avant le juge, le policier ou le gardien de prison.


 

   

C’est méconnaître la réalité quotidienne du travail de l’enseignant que d’imaginer que celui-ci n’exerce pas d’autorité. Même la crise d’autorité qui secoue l’école contemporaine n’a pas vraiment modifié le rapport du maître à l’élève, surtout dans les petites classes.


On pourrait même dire que l’enseignant a plus que de l’autorité puisqu’il est un modèle. Le premier modèle d’adulte, après ses parents, pour l’enfant qui arrive à l’école et quitte souvent sa famille pour la première fois. Quiconque a entendu un élève du primaire parler de « sa » maîtresse sait combien ce personnage peut être aux yeux de l’enfant une sorte de demi-dieu. Au point où les parents risquent gros à le contredire.


C’est pourquoi, comme le soulignait récemment un lecteur, le plus indisposé devant une enseignante voilée ne sera pas le petit catholique où celui qui vit dans une famille sans religion. Ce sera plutôt le petit musulman (et ses parents), qui ne pourra jamais se sentir vraiment libre face à une enseignante qui affirme de manière aussi péremptoire ses convictions religieuses. On ironise en disant que les religieuses qui enseignaient encore dans les années 1960 n’ont converti personne. Peut-être. Mais qui avait le courage de se lever dans leur classe pour affirmer que Dieu n’existait pas ou pour simplement poser la question ? Veut-on sérieusement revenir à cette époque ?


Le peu de considération que certains accordent aux enfants dans le débat en cours tient aussi à une conception de l’école ouverte aux quatre vents. Une école où paradent en permanence les lobbies et les idéologies, les croyances et les opinions. Or, pour jouer véritablement son rôle, l’école doit être un refuge qui permet de prendre du recul et de la hauteur. Le savoir a ses exigences, et même ses rites.


On n’entre pas dans une école comme dans un hall de gare. Exactement comme pour lire, il faut s’isoler. On ne peut se concentrer ni dans une foire ni bousculé par la foule. Pour lire, il faut une bibliothèque où l’on impose le silence, quitte à brimer les droits de certains. De même l’école devrait-elle être préservée le plus possible du bruit ambiant qui frise aujourd’hui la cacophonie, et au premier titre des croyances et des idéologies, afin de respecter ce que Louis Germain appelait si justement « ce qu’il y a de plus sacré dans l’enfant : le droit de chercher sa vérité ».









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