Les Ecossais s'apprêtent à élire un indépendantiste à la tête de leur exécutif régional

Écosse et indépendance



OEil rond, mine gourmande, ventre épanoui, Alex Salmond, 53 ans, dissimule mal son immense contentement. "Rien n'est joué", répète-t-il, avec la prudence d'usage, entre deux compliments adressés à ses hôtes, les pompiers de Falkirk, petite ville perdue entre Edimbourg et Glasgow. Mais l'humilité de commande n'est pas son fort. Il sait qu'il sera sacré, sauf ultime catastrophe, "nouveau roi d'Ecosse", lors des élections régionales, jeudi 3 mai. Trois siècles, quasiment jour pour jour, après l'acte d'Union qui, le 1er mai 1707, maria la vieille nation au royaume d'Angleterre.
Rarement anniversaire aura paru aussi morose. Comment célébrer d'anciennes épousailles la semaine où devraient triompher ceux qui, depuis plusieurs décennies, réclament le divorce ? "Le moment est venu", proclame sobrement le slogan du Scottish National Party (SNP), que dirige Alex Salmond. La "dévolution" (autonomie régionale), mise en oeuvre par Tony Blair en 1999 avec la création d'un Parlement et d'un exécutif régionaux élus tous les quatre ans, n'était pour le SNP qu'une première étape. Une autre commencera bientôt qui, espère-t-il, lui permettra en gouvernant de démontrer aux 70 % d'Ecossais hostiles à l'indépendance que celle-ci est leur plus bel horizon.
Etrange paysage politique écossais où un parti est promis à la victoire alors qu'il prône une rupture constitutionnelle refusée par une solide majorité d'électeurs ! Cet apparent paradoxe résulte de l'habile stratégie de séduction déployée depuis quelques années par Alex Salmond. "Le SNP a réussi à découpler son objectif immédiat, l'exercice du pouvoir, de son objectif lointain, l'indépendance", explique Eberhard Bort, professeur à l'université d'Edimbourg.
Le parti indépendantiste a bénéficié de la montée du sentiment national chez une population qui se définit aujourd'hui à plus de 80 % comme "écossaise avant d'être britannique". Mais il a pris soin de rassurer les électeurs en leur réaffirmant qu'ils auraient, le jour venu, comme ils le souhaitent, le dernier mot lors d'un référendum.
Le succès annoncé du SNP exprimera plus une protestation qu'un désir de séparation. En poussant les indépendantistes vers le pouvoir, les Ecossais veulent avant tout punir les travaillistes : ceux de Londres, plus que ceux qui gouvernent à Edimbourg depuis huit ans. Ces derniers peuvent se targuer d'un bilan honorable. Sous la conduite de Jack McConnell, le "premier des ministres", gestionnaire sérieux mais dépourvu de charisme, ils ont fait voter par le Parlement écossais une série de réformes populaires, en matière d'agriculture, d'éducation ou de santé.
Mais le New Labour écossais paye pour son grand frère britannique, coupable de trop de fautes : l'Irak, les soupçons de corruption dans son financement, et cette incroyable erreur de timing qu'a constitué le renouvellement, en mars, du programme Trident, du nom des missiles balistiques équipant les sous-marins nucléaires basés en Ecosse. Les députés travaillistes écossais aux Communes s'y sont opposés, et le SNP a eu beau jeu de dénoncer la décision de Londres comme contraire à l'esprit de la "dévolution".
A la différence de leurs collègues gallois, les travaillistes écossais ont eu tort de ne pas prendre leurs distances avec le gouvernement Blair. Après avoir donné l'impression qu'il y était prêt, Jack McConnell est rentré dans le rang. Plus grave : il a prôné le statu quo, la simple consolidation des acquis au sein de l'Union.
Or, pour la majorité des Ecossais, la "dévolution" est un processus, pas une fin en soi. Ils souhaitent, par exemple, voir leurs élus régionaux disposer de pouvoirs accrus, notamment en matière budgétaire et fiscale. Ils savent qu'un authentique Parlement ne peut se contenter de voter des dépenses - financées en l'occurrence par Londres - mais doit aussi pouvoir engranger des recettes.
La solution du SNP est simple : lorsqu'il sera au pouvoir, il réclamera pour l'Ecosse sa juste part des revenus du pétrole de la mer du Nord. Ce sera l'une des inévitables querelles qui opposeront Londres à un exécutif dirigé par les indépendantistes.
Sûr de lui, Alex Salmond se prépare à affronter bientôt un autre Ecossais, Gordon Brown, probable successeur de Tony Blair : "Lorsque nous aurons obtenu par notre travail la confiance du peuple, nous lui demanderons de nous l'accorder sur la question centrale de l'indépendance." Ce ne sera pas, dans le meilleur des cas, convient-il, avant 2010.
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Jean-Pierre Langellier


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