Par Pier-André Bouchard St-Amant et Nicolas Marceau
Le Parti libéral du Québec annonce son intention d'accroître les droits de scolarité universitaire de 30 % en cinq ans. Nous croyons que cela serait mal avisé. Rappelons que deux types de régime permettent de garantir un niveau donné de financement global pour les universités: Régime avec droits de scolarité élevés et financement public faible
Dans un tel régime, ceux qui fréquentent l'université paient une part substantielle du coût de leurs études, pendant qu'ils étudient. Les niveaux d'endettement qui en découlent peuvent alors être lourds à porter.
Bien que l'accès à l'université dépende d'une variété de facteurs -- famille, quartier, écoles fréquentées --, il va de soi que des droits plus élevés se traduisent par un accès moindre à l'éducation universitaire. Pour les jeunes des milieux défavorisés, le régime de prêts et bourses peut, bien entendu, compenser des droits de scolarité élevés, mais il ne faut pas négliger que dans ces milieux, la perspective d'un lourd endettement est un frein à la poursuite des études.
Pour ce qui est des jeunes de la classe moyenne, bon nombre ne sont pas admissibles à une aide financière significative et plusieurs concluent que c'est de leur côté que la baisse de fréquentation pourrait être la plus forte à la suite d'une hausse des droits.
La contrepartie de droits de scolarité élevés, c'est évidemment un financement public moins important et, en conséquence, des niveaux d'impôts plus faibles à court terme.
Régime avec droits de scolarité faibles et financement public élevé
Dans ce régime, ceux qui fréquentent l'université paient peu pendant leurs études. Les niveaux d'endettement qui en résultent sont donc moins importants.
L'accès à l'université est évidemment plus aisé que dans l'autre régime. Toutefois, parce que les droits de scolarité sont faibles, le financement public se doit d'être plus important, ce qui se traduit par des impôts plus élevés, à court terme à tout le moins.
Certains prétendent qu'un régime à droits de scolarité faibles est inéquitable parce qu'une portion des jeunes fréquentant l'université est issue des milieux favorisés. Cet argument n'est pas valable. Dans un régime à droits faibles, la plus grande part des revenus des universités est financée par l'État, à même les impôts prélevés. Ces impôts sont progressifs, étant en bonne partie payés par les contribuables à hauts revenus, ceux-là mêmes qui ont, dans le passé, fréquenté l'université et qui ont par la suite eu du succès sur le marché du travail. Les enfants des milieux favorisés, comme tous ceux pour qui «fréquentation universitaire» sera synonyme de «revenus élevés», paieront les impôts appropriés le moment venu.
Bref, dans un régime à droits de scolarité faibles, les bénéfices privés de l'éducation sont d'autant plus taxés qu'ils sont élevés, et on épargne ceux pour qui ces bénéfices ne sont pas au rendez-vous. Sur le plan de l'équité, cela est tout à fait désirable.
Parlant d'équité, signalons aussi que le passage d'un régime à droits faibles à un régime à droits élevés revient à accorder des baisses d'impôt à la génération actuelle des bien nantis qui ont bénéficié de droits faibles alors qu'ils étaient étudiants. Cela constitue un cadeau dont cette seule génération bénéficiera. Bonjour la responsabilité lucide et l'équité intergénérationnelle!
Explication historique
À long terme, le financement public de ses universités est un investissement rentable pour le Québec. Un diplômé universitaire, grâce aux impôts supplémentaires découlant de son salaire plus élevé, paye en moyenne plus de sept fois ce qu'il en coûte de le former. De plus, les fruits des investissements d'aujourd'hui seront récoltés au moment où le gouvernement subira des pressions fiscales importantes, notamment à cause de la démographie.
Par ailleurs, s'appuyant sur le fait que les taux de fréquentation universitaire et les droits de scolarité sont plus élevés dans quelques provinces canadiennes qu'au Québec, certains affirment que des droits de scolarité élevés ne réduisent pas l'accès à l'université. Ce type d'argument est grossièrement incorrect. Illustrons!
En observant que la majorité des vins de moins de 25 $ se vendent moins chers en Ontario qu'au Québec, et que les Québécois sont les plus grands consommateurs de vin au Canada, devrait-on conclure que la consommation de vin augmente lorsque le prix du vin augmente? Bien sûr que non! Comme le dit le proverbe, comparaison n'est pas raison.
La fréquentation universitaire relativement faible au Québec, par rapport aux autres provinces, s'explique par des facteurs historiques, dont la mise en place relativement tardive de notre système public d'éducation. Les 45 ans et plus du Québec sont nettement moins scolarisés que leurs équivalents des autres provinces.
Or, le fait qu'un ou les deux parents aient fréquenté l'université joue de manière importante dans la décision d'un jeune de la fréquenter lui aussi. Comme les parents du Québec sont généralement moins scolarisés que ceux des autres provinces, le Québec, s'il veut combler son retard de scolarisation, doit encourager plus fortement ses jeunes à fréquenter l'université. Pour y parvenir une politique de droits de scolarité faibles est parfaitement adéquate.
Depuis les années 60, le Québec a effectué un important rattrapage en matière de scolarisation. On le mesure, par exemple, par les taux de diplômation post-secondaire des 15-44 ans du Québec et des autres provinces, qui sont aujourd'hui comparables. En 1984-85, au Québec, le taux d'accès à l'université (soit la proportion des membres d'une génération accédant à l'université) s'établissait à 30,1 %, alors qu'en 2005-06, ce taux avait grimpé à 41,4 %. Le modèle qui nous a permis d'effectuer ce rattrapage est précisément celui que l'on nous propose de jeter par-dessus bord aujourd'hui.
À l'encontre de la logique économique
Accroître les droits de scolarité réduira donc la fréquentation universitaire, en particulier chez ceux de la classe moyenne qui ne sont pas admissibles à une aide financière significative. Ceux qui contestent une telle affirmation ont à démontrer que dans le cas de la demande d'étude universitaire, et à l'encontre de tout ce qui s'enseigne dans les départements d'économie, une hausse de la tarification ne se traduirait pas par une baisse de la consommation.
Une hausse des droits accompagnée d'une baisse de fréquentation, est-ce bien ce que l'on veut alors qu'on se plaint d'une productivité faible au Québec, et qu'il est bien établi qu'une hausse de la scolarisation fait croître la productivité?
Le Québec a une économie relativement peu capitalisée (faible stock de capital physique par travailleur), ce qui tend à réduire la productivité de nos travailleurs. Pour accroître notre productivité, on peut tenter de faire croître le stock de capital en favorisant l'investissement, mais les nécessaires politiques publiques à cet égard ont leurs limites.
Inversement, les politiques éducatives peuvent avoir des effets très puissants sur la scolarisation. Dans ce contexte, pourquoi le Québec devrait-il se priver d'accroître la fréquentation universitaire de ses jeunes? Doit-on laisser se creuser les écarts de productivité que nous avons par rapport à nos principaux partenaires?
Depuis 1960, le Québec a fait des progrès significatifs sur le plan de la scolarisation, mais des retards demeurent qui exigent des politiques publiques appropriées. Nous croyons qu'un régime de droits de scolarité faibles est le gage d'autres progrès dans les années à venir.
Pier-André Bouchard St-Amant, Candidat à la maîtrise en économie, Université du Québec à Montréal
Nicolas Marceau, Professeur titulaire, Département des sciences économiques, Université du Québec à Montréal
Les droits de scolarité doivent demeurer faibles
Université - démocratisation, gouvernance et financement
Pier-André Bouchard St-Amant4 articles
L'auteur est candidat au doctorat en sciences économiques et enseignant en macroéconomie à l'Université Queen's à Kingston. Il est également boursier FQRSC et travaille à La Chaire sur la fiscalité et les finances publiques de l'Université de Sherbrooke.
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L'auteur est candidat au doctorat en sciences économiques et enseignant en macroéconomie à l'Université Queen's à Kingston. Il est également boursier FQRSC et travaille à La Chaire sur la fiscalité et les finances publiques de l'Université de Sherbrooke.
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