Les dérives de la concurrence interuniversitaire

Université - démocratisation, gouvernance et financement

La concurrence effrénée que se livrent les universités québécoises dans la chasse aux clientèles entraîne des effets pervers. On a vu ces dernières années les universités se lancer dans de vastes projets de développement immobilier et de délocalisation qui visent à phagocyter les clientèles des autres universités.
Ainsi, l'Université de Rimouski a installé une succursale à Lévis, plus imposante que l'université-mère, afin de concurrencer l'Université Laval; l'Université de Sherbrooke a entrepris de gonfler son campus de Longueuil pour drainer les clientèles des universités montréalaises; l'Université de Montréal développe des programmes à Trois-Rivières et à Ville de Laval, et l'Université Laval s'est elle aussi délocalisée en région pour la même raison.
À la concurrence sur le territoire national s'ajoute la concurrence sur la scène mondiale, car, ne l'oublions pas, nous sommes à l'ère de l'internationalisation des savoirs. Les universités québécoises sont en rivalité les unes avec les autres pour attirer le plus grand nombre d'étudiants étrangers. Pour ce faire, non seulement faut-il que les professeurs soient bien classés dans les index de citations, mais il faut aussi atteindre les plus hauts échelons dans les classement nationaux (Macleans University Ranking) et internationaux des universités (The Times World University Ranking, Academic Ranking of World University) qui sont, faut-il le rappeler, outrageusement dominés par les universités américaines.
Mais l'excellence des professeurs ne suffit pas à établir la bonne réputation de nos institutions. Celles-ci doivent encore être proactives sur le marché international des étudiants.
Ainsi, on apprenait la semaine dernière dans Le Devoir que l'Université du Québec s'est installée à Paris où elle a ouvert un bureau de promotion, afin de favoriser la mobilité internationale des étudiants et d'établir des partenariats avec les universités françaises.
L'Université de Montréal a elle aussi adopté une stratégie d'internationalisation. Elle prévoit ouvrir un bureau à Paris pour la représenter auprès des milieux universitaires français. Le geste de l'Université du Québec accélérera sans doute la réalisation de ce projet. On peut parier que Laval, Sherbrooke et McGill et Concordia ne voudront pas être en reste; pour jouer le jeu de la concurrence, ces universités enverront sans doute bientôt des émissaires à Paris.
Alors que les universités québécoises accumulent année après année des déficits et se plaignent de sous-financement, pourquoi se lance-t-on dans cette concurrence effrénée sur le territoire français? Pourquoi dépensera-t-on collectivement autour d'un million de dollars pour développer les relations universitaires avec la France alors qu'elles sont déjà excellentes et que l'on se plaint même dans certaines officines à Québec qu'il y a trop d'étudiants français qui viennent dans nos universités?
Conquête
Ces stratégies débridées d'internationalisation découlent du système de financement des universités. Puisque la subvention de fonctionnement de chaque université dépend du nombre d'étudiants recrutés, puisque le recrutement sur le marché local est saturé, les universités se lancent en ordre dispersé à la conquête des marchés extérieurs. Plus elles attireront d'étudiants étrangers, plus elles augmenteront leur enveloppe budgétaire. Elles font le pari qu'en ayant chacune un représentant en France, elles sauront mieux vendre leur institution et capturer de nouvelles clientèles. Mais pourquoi s'arrêter en route et ne pas aussi installer des représentations ailleurs dans le monde, comme au Mexique ou en Chine, ce que projette aussi de faire l'Université de Montréal?
Cette logique frôle l'absurdité surtout lorsque l'on sait que les recteurs des universités ont demandé eux-mêmes la fermeture du Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise (CCIFQ) qui avait précisément pour mission de faire collectivement ce que les universités québécoises veulent faire individuellement. Or, le CCIFQ, qui représentait l'ensemble des universités québécoises, avait réussi depuis plus de 20 ans à relancer la coopération universitaire avec la France, il avait développé des programmes intégrés et des partenariats avec les universités françaises et même européennes, toute chose que se proposent de faire nos futurs représentants universitaires en France.
Ne s'agit-il pas d'un gaspillage de fonds publics? Pourquoi les universités québécoises ne peuvent-elles pas agir en concertation et en coopération? Comme contribuables, nous investissons déjà beaucoup dans la représentation du Québec à l'étranger. Nous avons des délégations qui ont le mandat de promouvoir nos institutions universitaires à l'étranger. Au lieu de renforcer ce qui fonctionnait bien, on est en train de disperser de trop maigres ressources. Voilà comment la concurrence engendre des contradictions et des dépenses inutiles.
Le ministère de l'Éducation serait avisé de freiner ces appétits de représentation internationale et de revenir à une action collective de représentation universitaire, car il en coûtera plus cher au contribuable de financer la multiplication des opérations de visibilité universitaire à l'étranger que de soutenir un organisme qui représente l'ensemble des universités comme c'était le cas avec le CCIFQ.
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Denis Monière, Professeur de science politique à l'Université de Montréal


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