À excessif, excessif et demi? Dans son jugement cinglant, la Cour suprême du Canada avait jugé «excessive» la défense imaginée par le Québec pour mettre fin à la dérobade des écoles passerelles. Coincés par le temps et la crainte de blesser un précieux électorat, les libéraux de Jean Charest choisissent de verser eux-mêmes dans une forme d'outrance. Imposer le bâillon sur un projet de loi qui n'a suscité que de la grogne est proprement irrecevable.
Quelle ironie! N'est-ce pas la ministre Christine St-Pierre, responsable de l'application de la Charte de la langue française, qui vilipendait les «solutions radicales» (le recours à la clause dérogatoire) de la Coalition contre la loi 103? C'est pourtant bel et bien l'expression appropriée pour décrire l'imposition par le gouvernement Charest de son bricolage nommé projet de loi 103. Le bâillon est une «solution radicale».
Ce gouvernement aura beau jeu de dire qu'il opte pour cette voie d'exception parce que le temps presse. Il est vrai que la Cour suprême a donné à Québec jusqu'au 22 octobre pour imaginer une manière moins «excessive» de mettre fin à un contournement insidieux de la loi 101. Mais il serait malhonnête de laisser croire que tout a été fait, jusqu'à cette date fatidique, pour accélérer le processus et favoriser le consensus.
Le gouvernement libéral a plutôt traîné les pieds dans ce dossier sensible. Il n'en a vu que le caractère délicat, omettant d'en reconnaître l'aspect capital. Il a déposé sa solution à la fin de la session parlementaire, en juin, forçant le report des travaux à l'automne. Jugé insatisfaisant par tous, à l'exception d'un réseau d'écoles privées, le projet de loi 103 prévoit l'accès à l'école anglophone après trois ans de fréquentation d'une école privée non subventionnée de langue anglaise et l'analyse du «parcours authentique» sur la base d'obscurs critères — une spectaculaire grenouillère! Il cautionne en outre l'achat par les mieux nantis d'un passage à l'école anglophone — un principe inacceptable.
Mais envers et contre toutes les protestations générales, les libéraux imposent leur bricolage. Ils ont laissé couler les critiques, ne reprenant au bond aucun des compromis pourtant proposés en commission parlementaire, repoussant aussi l'ouverture à quelque amendement que ce soit. À une semaine de l'échéance, les coincés choisissent la porte d'en arrière — le bâillon — après avoir admirablement esquivé la voie royale — un débat véritable et le courage de soumettre ces écoles passerelles à la Charte de la langue française.
La ministre St-Pierre dénonce à grands cris l'«obstruction» du Parti québécois dans ce dossier linguistique de même qu'un certain vent de partisanerie. Personne n'est dupe: c'est plutôt son propre parti qui joue une carte partisane en optant pour la voie susceptible de déranger le moins un électorat chatouilleux sur les questions linguistiques. C'est que les coincés sont aussi fragiles. Une bombe linguistique ne pourrait que les affaiblir.
Il faut toutefois se désoler que cette histoire, qu'on a délibérément fait traîner en longueur, n'ait pas davantage soulevé les foules, comme un Colisée sait si bien le faire. La population, endormie peut-être par tant d'arrogance et d'entêtement politiques, plonge dangereusement dans l'engourdissement. Cela est dommage. Lundi, sinistre jour de bâillon, une manifestation-spectacle doit faire entendre sa protestation. Qu'on y prête une oreille attentive.
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machouinard@ledevoir.com
Écoles passerelles
Les coincés
Il faut toutefois se désoler que cette histoire, qu'on a délibérément fait traîner en longueur, n'ait pas davantage soulevé les foules, comme un Colisée sait si bien le faire.
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