Nous avons un problème planétaire avec l'urgence climatique.
Nous devrons peut-être y ajouter au Québec celui de l'urgence nationale.
Au lendemain des deux dernières élections, le Québec se retrouve divisé entre Montréal et les régions sur la question identitaire.
L'anti-nationalisme
L'idée même de nation et de nationalisme est en passe de devenir chez beaucoup de Québécois une maladie honteuse et le mal incarné : l'attachement à la nation et à l'identité nationale est désormais suspect et traqué. Je ne parle pas d'indépendance, mais simplement d'identité et d'affirmation nationale, du Québec comme nation, de nationalisme. Pour plusieurs, le nationalisme est par définition identitaire, ethnique, donc raciste, blanc, colonisateur, exclusif, intolérant, régressif, et constitue un repli sur soi et sur le passé.
Au Québec, le problème est d'autant plus sensible que nous sommes un peuple jeune, une nationalité de langue et de culture française isolée dans un Canada et une Amérique anglophone, un pays enclavé dans une fédération centralisée et multiculturelle.
Le mouvement ne date pas d'hier. Durham a très bien montré, dans son célèbre rapport qui est à l'origine de la Confédération canadienne, qu'il fallait détruire la nationalité canadienne-française et que c'est par « une immigration anglaise et loyale » qu'on y parviendrait. La Constitution et la Charte de Trudeau en 1982 ont complété le travail en écartant à jamais l'idée de nation fondatrice pour le Québec et en décrétant le multiculturalisme comme principe fondateur du Canada, au mépris le plus total de l'histoire. D'ailleurs, la présence d'une importante minorité anglophone « historique », fortement protégée, au cœur de Montréal, n'a jamais cessé de nous le rappeler.
La mondialisation
La mondialisation de l'économie, de la culture et des communications des 30 dernières années est venue s'ajouter à ces pressions sur la nation et l'identité québécoise. Le Québec de la Révolution tranquille, d'Expo 67 et d'Octobre 70 se voulait, pluraliste, tolérant, ouvert sur le monde. Cette mondialisation qui parle, calcule et chante en anglais a saisi de front le Québec francophone. La jeune génération québécoise, post-référendaire et post-Trudeau, a été élevée sous le signe du dialogue, de l'ouverture à l'autre et à la diversité, du pluralisme religieux et culturel, mais tenue plutôt loin de son histoire, de sa culture et de son territoire.
Les campus étudiants et le milieu artistique, médiatique et culturel ont eux aussi adopté une attitude de méfiance envers le nationalisme et privilégié les idées d'inclusion et de multiculturalisme venues d'ailleurs le plus souvent. Quant aux jeunes de 18 à 35 ans, les sondages récents nous apprennent qu'ils sont désormais la catégorie d'âge qui appuie le moins l'indépendance et qui vote le plus massivement libéral (près de 40%).
L'urgence climatique
Le mouvement écologique récent, particulièrement l'insistance sur l'urgence climatique, a encore accentué ce focus sur le planétaire : ses dirigeants ont eu tôt fait de balayer les urgences sociales et nationales. Le feu est à la maison : ce n'est pas le temps de discuter d'identité nationale ou de baisses de taxes. Les jeunes et les enfants parlent désormais de sauver la planète : l'idée de sauver le Québec ou de combattre les inégalités sociales ou de réformer notre démocratie est loin dans leurs priorités.
L'immigration
Dans ce contexte, l'immigration massive des 30 dernières années est vite devenue un enjeu majeur au Québec. Le problème n'est pas d'abord le nombre d'immigrants ou leur origine, comme on le dit souvent, mais notre incapacité à intégrer les immigrants à la nationalité québécoise.
Plus le Québec est vu et traité comme une province comme les autres et une minorité parmi les autres, et non comme une nation et un État national, moins les immigrants sont portés à s'y intégrer, les allophones surtout: qui est intéressé à s'intégrer à une minorité?
Le pays où ils débarquent, c'est le Canada, c'est un pays anglais d'abord, et c'est vers lui que va leur allégeance première pour la grande majorité. Malgré la loi 101 et les cours de français, ils se tournent plus spontanément même vers la minorité anglophone québécoise que sa majorité francophone, à tel point qu’allophone est devenu presque synonyme d'anglophone.
Dans son livre intitulé Le Québec n'existe pas, Maxime Blanchard écrit non sans cynisme : « Au Québec, le métissage est inconcevable. À ce Québec tricoté serré, on ne peut ni s'allier ni s'intégrer. Personne d'autre ne peut partager les combats pour une nation francophone d'Amérique, libre et juste. Ces luttes n'appartiennent qu'aux Gaulois linguistiques. Le Québécois de souche et l'immigrant insensible ne peuvent se rencontrer qu'en devenant "canadian" : citoyenneté neutre, passeport rassembleur et langue anglaise ». Seul un Québec-pays-état-national pourrait penser intégrer convenablement des immigrants à sa nationalité. Et encore.
Le français
Les effets de toutes ces pressions sur le français, ciment de la nation, n'ont pas tardé à se faire sentir. Les statistiques sont formelles : le français recule sur tous les plans : au travail, dans l'affichage, dans la culture, la langue parlée et écrite, la langue d'usage, la langue parlée à la maison, la langue maternelle; les cégeps et les universités françaises se vident au profit des institutions anglophones, la recherche est mieux financée dans les universités anglophones, etc.
La gauche diversitaire
Politiquement, l'antinationalisme a été favorisé par la perte du deuxième référendum et le déclin de l'idée d'indépendance. La gauche a délaissé la lutte pour l'indépendance et la défense des travailleurs pour s'intéresser de plus en plus au sort des minorités de toutes sortes et à la défense des droits de la personne.
Québec solidaire s'est transformé en porte-parole de cette gauche diversitaire obsédée par les différences, les minorités, le racisme, le colonialisme mâle blanc, la xénophobie et l'islamophobie, l'appropriation culturelle, la parité, pour se rabattre sur un nationalisme civique et une laïcité ouverte qui n'ont plus que le nom et l'apparence.
Montréal
Tout naturellement, Montréal, grande ville cosmopolite qui compte pour la moitié du Québec, est devenue le centre de cette mouvance antinationaliste. En effet, où est la majorité anglophone historique, où sont les immigrants, où sont les jeunes, où sont les étudiants, où sont les artistes, où sont les intellectuels, où sont les mondialistes et les agences de communication, où sont les gauchistes, où est Québec solidaire... sinon à Montréal, où le poids des francophones ne cesse de diminuer.
Les élections
Le résultat des dernières élections provinciales et fédérales est la transposition politique de cette mouvance antinationaliste. Le phénomène des forteresses libérales, où le vote est massivement acquis aux Libéraux, tant au provincial qu'au fédéral, n'a cessé de s'étendre jusqu'à englober cette fois-ci toute l'Île de Montréal, Laval, une partie de Longueuil : un seul député caquiste à Montréal, un seul député NPD à Montréal et un seul Bloc : tout le reste est libéral, fédéraliste.
Pas à 100% bien sûr, mais assez fortement pour qu'on parle de forteresses libérales et qu'on n'y retrouve plus le pluralisme d'allégeances qui prévaut en général ailleurs au Québec. Bien sûr il y aussi des nationalistes à Montréal, et il y a aussi des fédéralistes parmi les francophones. On parle ici de tendances lourdes.
Dans un article de l'aut'journal, intitulé « La West-islandisation de Longueuil » Frédéric Lacroix décrit cette diminution du poids du vote francophone à Montréal, à Laval et à Longueuil, comme en témoignent éloquemment la carte des résultats de l'élection provinciale de 2018 et de la récente élection fédérale.
En 2018, le Parti Libéral, pourtant battu à plates coutures dans l'ensemble du Québec, a raflé la totalité des sièges dans l'ouest de Montréal (13 sur 13) mais également 6 sièges sur 14 dans l'est et 5 sur 6 à Laval; au fédéral récemment, le Parti Libéral a raflé tous les sièges à Montréal (sauf 2), tous les sièges à Laval.
Comme par hasard, de 2001 à 2016, le pourcentage de francophones à Laval a chuté de 77% à 65%. Même phénomène au sud, à Longueuil : « Les libéraux fédéraux viennent de remporter deux comtés sur la Rive-Sud. Les partis nationalistes seront graduellement expulsés de cette région. On peut prévoir que les partis fédéralistes deviendront bientôt indélogeables. »
C'est ce qui fait dire à plusieurs que, d'ores et déjà, un référendum sur la souveraineté du Québec, du type de ceux qu'on a connus, n'est plus mathématiquement gagnable, ce qui n'a rien de rassurant pour la possibilité d'intégration des immigrants à la nationalité québécoise et le rayonnement de la nationalité québécoise. Serait-il déjà trop tard?
Les grandes villes cosmopolites
On a beau dire que le phénomène est semblable dans toutes les grandes villes cosmopolites, Montréal demeure un cas spécial en raison du caractère particulier du Québec comme seule nation de langue et de culture française en Amérique du nord. Les grandes villes cosmopolites ont un comportement culturel et électoral souvent différent du pays intérieur. New York est différente de l'Amérique intérieure, mais elle demeure américaine et ne met pas en danger l'avenir des États-Unis : au contraire, elle contribue à son attraction.
Par contre, plus Montréal se distance culturellement, politiquement et socialement du reste du Québec, plus le Québec comme nation distincte se fragilise, plus son identité nationale devient problématique, plus son avenir comme nation et État national est menacé.
Xénophobie, racisme ou réalisme
Je ne fais pas de théorie ni de croisade contre les Anglais ou les immigrants : je décris des faits démographiques, sociaux, politiques. Je dis : si on continue comme ça, il sera très difficile de maintenir une nationalité québécoise.
Assistons-nous à un simple mouvement d'opposition passager au nationalisme et de déconstruction historique, ou sommes-nous devant un changement définitif de société?
Je n'en sais rien, même si je ne le souhaite pas, car je tiens au Québec, et j'ai tout autant le droit d'y tenir que d'autres ont le droit de ne plus y tenir. Et j'ai le droit de le dire tout comme d'autres ne se privent pas de dire le contraire. Et je ne suis pas haineux et raciste pour autant.
Je suis inquiet
J'ai un peu l'impression qu'on joue avec le feu présentement, avec notre avenir comme nation.
On devrait surtout pouvoir en discuter.
Car je pense qu'on peut réconcilier l'identité nationale et la diversité, assurer l'égalité de tous et la solidarité dans une citoyenneté québécoise bien comprise. Le Québec, à contre-courant de l'histoire, est encore bien vivant. Ce n'est pas l'Acadie ni la Louisiane, ni les Francos. Il peut compter sur un État fort et un territoire fabuleux. Il rayonne par sa culture et son esprit créateur. Il a une personnalité unique et Il aime la vie et la liberté.
J'estime que la perte de nos ancrages nationaux, communautaires, familiaux, historiques et territoriaux a des conséquences importantes : je n'en veux pour preuve que l'angoisse et la détresse que semble générer la perte de ces repères, que le divertissement, le vagabondage et l'individualisme absolu ne semblent pas pouvoir combler le vide ainsi créé. D'ailleurs, la transition écologique nous ramène infailliblement à des communautés de proximité durables plutôt qu'à nos grandes cités congestionnées énergivores, dépendantes et ludiques.
Le mondialisme est une culture qui sert à la fois l'impérialisme économique et l'humanisme : mais jusqu'à présent, il n'a pas su encore produire une organisation politique qui lui corresponde : la nation demeure à peu près partout le seul cadre d'organisation sociale et politique fonctionnel, parce que sans une langue et une culture commune, la société politique et démocratique n'est tout simplement pas possible. La nation est une réalité psycho-sociale, une sorte de personnalité sociale et par définition, l'international est une relation entre des nations, sinon il est impérialiste.
L'antinationalisme: c'est ça que j'ai appelé "le cancer" qui ronge le Québec...
Photo : abdallahh