Le va-tout de Jean Charest

Ceux qui croyaient que Jean Charest se laisserait abattre se sont-ils trompés?

2011 - Bilan et perspectives


Québec — Comme un chat, Jean Charest, le politicien, possède neuf vies, on le sait. «Mais sans doute qu'il les a toutes épuisées», laisse tomber le politologue Jean-Herman Guay. Ce dernier croit que l'opinion est véritablement cristallisée contre Jean Charest. Pour reprendre le mot du collègue Michel David, il s'agirait d'un «homme brûlé».
Cette thèse, le premier ministre lui-même ainsi que son entourage refusent bien entendu de l'adopter. Selon eux, Jean Charest possède plusieurs cartes dans son jeu. D'où «l'opération second souffle», jolie expression forgée cette semaine par l'analyste politique de Radio-Canada Pierre Duchesne: nomination de Diane Lemieux à la Commission de la construction; changement de chef de cabinet: on passe d'un Marc Croteau «trop fonctionnaire» à un Luc Bastien habitué aux officines libérales depuis trois décennies. Miniremaniement axé sur la compétence des nouveaux venus. Ce que même les oppositions ont salué. La péquiste Agnès Maltais a parlé de Geoffrey Kelley, de retour aux Affaires autochtones, comme d'un «gentleman». Et la promotion tant attendue du docteur en économie Alain Paquet a été applaudie par le chef adéquiste Gérard Deltell, lequel est même allé jusqu'à dire que le premier ministre l'avait «enfin écouté» en faisant entrer M. Paquet dans le Saint des Saints. Puis, à la fin du mois, Jean Charest prononcera un discours d'ouverture donnant vie à une nouvelle session parlementaire, gestes qu'il a confirmés hier.
Quelles cartes ?
Dans l'entourage du premier ministre, on le répète (on le «spindoctorise»): ceux qui croyaient que Jean Charest se laisserait abattre par les sondages catastrophiques (75 % de mécontentement), ceux qui l'imaginaient partir tel un Gordon Campbell (premier ministre de la Colombie-Britannique qui a démissionné en disgrâce récemment), «se sont trompés».
Même s'il a nié vigoureusement encore hier avoir lancé une «opération second souffle», Jean Charest a décidé de jouer ses cartes. Toutes ses cartes. «Il tente le tout pour le tout», dit Jean-Herman Guay. Dans les cercles libéraux, certaines personnes soutiennent confidentiellement qu'il n'a «pas une très bonne main».
Justement, avec l'aide de quelques observateurs (et «sources»), examinons certaines des cartes qu'il tient de ses deux fameuses mains... et d'autres qu'il ne contrôle pas encore, mais qui pourraient tomber dans son jeu.

* Jusqu'au mois d'avril, son adversaire péquiste aura la tête occupée à préparer son congrès. Il est possible, malgré tout l'effort que Pauline Marois déploie, que le PQ se lance dans ses querelles internes. Chose certaine, dit un observateur, «jusqu'au vote de confiance, Pauline Marois sera forcée de donner plus dans le constitutionnel. Et Jean Charest est bon pour répondre dans ce temps-là». Déjà, il fallait entendre le premier ministre, mardi, souligner avec délectation que Mme Marois avait recommencé à parler de la possibilité de tenir un référendum sur la souveraineté au cours du premier mandat. «Notre priorité à nous, c'est l'économie», martèlera-t-il.
* Si l'ex-ministre péquiste François Legault réussit à publier son manifeste de la «gauche efficace» ou du «centre droit» lucide, le PQ, encore, pourrait s'en trouver bouleversé. Jean Charest s'en servira probablement pour accentuer la division dans les rangs péquistes, mais aussi adéquistes. «Quand Legault va arriver — s'il arrive! — c'est sûr que ça va changer la donne», souligne l'ancien conseiller de Robert Bourassa Jean-Claude Rivest, aujourd'hui sénateur.
* L'opération Marteau commence à donner des résultats. L'arrestation, jeudi, d'une ex-mairesse, d'un entrepreneur et d'ingénieurs d'une grande firme (Roche) n'est certainement pas sans importance. Ce ne sont pas de «petits poissons», note Jean-Herman Guay. Les libéraux auront beau jeu, mardi à la première période de questions de 2011, de souligner ces résultats de l'opération mise en place. L'ex-ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis est même sorti de sa retraite pour commenter l'affaire, à l'émission du «vrai négociateur» Claude Poirier, à LCN, hier: «Tout comme la population, moi aussi, j'ai exprimé une certaine impatience quand j'occupais le poste de ministre, a-t-il raconté. [Jeudi], j'ai entendu des soupirs de soulagement dans les médias», a déclaré M. Dupuis. L'opération Marteau pourrait bien ne pas être la seule mesure prise en catastrophe depuis mars 2009 qui s'apprête à donner des résultats. Jeudi, le ministère des Affaires municipales ordonnait aussi la mise en tutelle de la municipalité de Lamarche, au Saguenay, confiant du coup à la Commission de la construction le soin d'y mener une enquête. S'il veut profiter de cette «carte», Jean Charest devra toutefois se montrer plus ouvert aux demandes des juristes et des procureurs de la Couronne, lesquels ont la capacité de bloquer l'évolution des choses. Au reste, la création d'un «mécanisme permanent» de lutte contre la corruption dans le monde de la construction sera une occasion de concrétiser cette carte.
* Sur les minières en général et les gaz de schiste en particulier, la volte-face du gouvernement n'est pas totale — puisqu'aucun moratoire sur les seconds n'est proclamé — mais le changement de ton est manifeste. Après le ministre de l'Environnement, Pierre Arcand, qui déplorait la «perte de contrôle» de l'industrie, c'est le ministre délégué aux Mines, Serge Simard, qui déclarait au Devoir hier que «très souvent», dans cette industrie, le gouvernement «fait affaire avec des gens qui outrepassent les bonnes façons de faire». M. Simard a même ajouté: «Les compagnies qui ne respecteront pas les règles n'auront pas l'occasion de faire des affaires très longtemps au Québec.» Quel contraste avec la réponse qu'il faisait régulièrement lorsque l'opposition soulignait le non-respect des lois sur les mines. Exemple du 2 avril 2009: «L'Institut Fraser [...] dit que le Québec est reconnu comme le milieu au monde le plus favorable à l'investissement. [...] C'est important encore une fois que les gens viennent investir au Québec pour développer le secteur minier.» Le rapport du BAPE sur le gaz de schiste et les travaux parlementaires sur le projet de loi 79 visant à moderniser la Loi sur les mines seront deux occasions d'approfondir et d'officialiser le changement de ton du gouvernement.
* Autre carte potentielle: la perspective d'élections générales au fédéral. «Je lui en souhaite», n'hésite pas une seconde à dire Jean-Claude Rivest, parlant de Jean Charest. Pourquoi? Une élection fédérale, c'est comme un été ou les Fêtes, sur le plan de la communication, plaide M. Rivest. Ça permet de passer en dessous du radar des nouvelles. «Ce serait toute une pause pour lui, pendant laquelle il pourrait se repositionner.» Certains libéraux soulignent aussi qu'une élection fédérale est toujours une bonne occasion pour le premier ministre du Québec de se poser en «défenseur des intérêts du Québec» en formulant des demandes aux partis fédéraux. En 2006, on misa sur la nation, l'UNESCO, le fédéralisme d'ouverture. En 2008, les libéraux Monique Jérôme-Forget, Christine St-Pierre et d'autres en avaient profité pour se colleter avec les fédéraux. St-Pierre avait même condamné les coupes des conservateurs en culture en invoquant la reconnaissance, deux ans plus tôt, de la «nation». Jean Charest en avait profité pour réclamer ni plus ni moins que la maîtrise d'oeuvre en matière de culture... dossier qui n'a aucunement avancé depuis. Malgré tout, «cette fois encore, il gagnerait à jouer la carte du nationalisme pendant des élections fédérales», croit Jean-Herman Guay.

En somme, Jean Charest n'est pas totalement démuni à la veille du retour des travaux parlementaires. Il pourrait même réussir à reprendre le contrôle de l'ordre du jour, dit Jean-Claude Rivest, en ajoutant qu'il «ne faut pas trop s'illusionner». De vieux spectres viendront toutefois le hanter, notamment celui de Marc Bellemare, devant les tribunaux.
L'usure du pouvoir le plombera aussi. Selon Jean-Herman Guay, celui qui a été chef libéral presque aussi longtemps que Louis-Alexandre Taschereau ne doit pas s'illusionner, en son for intérieur: «Il attend l'embellie pour partir. Ainsi, sa sortie ne se fera pas en pleine débâcle. C'est pour ce scénario-là d'abord et avant tout qu'il travaille aussi fort.»


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