Le train du pétrole ne passe plus

Neil George

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Terminus ! Tout le monde descend.

L'auteur de cet article, Neil George, est le rédacteur en chef des publications financières Agora
http://newsroom.agorafinancial.com/agora-financial-welcomes-investing-expert-neil-george/, présentes aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France
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Le 6 juillet, 72 wagons remplis de pétrole brut ont déraillé puis explosé dans la petite ville de Lac-Mégantic au Québec. Une bonne partie de la ville a été réduite en cendres et 47 personnes ont trouvé la mort.
Il a fallu des jours pour éteindre les flammes. Quelque 30 bâtiments dans la ville ont été détruits. Et sans beaucoup d'espoir de retrouver des survivants, il était temps de déterminer ce qui avait si horriblement mal tourné.
Les autorités pensent aujourd'hui que le conducteur qui a garé le train n'a pas serré correctement les freins avant de partir pour la nuit. Le train a commencé à rouler lentement, avant de prendre de plus en plus de vitesse.
Ce wagon était la propriété de Montreal, Maine and Atlantic Railway (une filiale de Rail World, basée aux Etats-Unis). Il transportait du pétrole du Dakota du Nord vers la gigantesque raffinerie d'Irving Oil à Saint John, New Brunswick.
La raffinerie de Saint-Jean est l'une des 10 plus grandes d'Amérique du Nord. Elle est située près du terminal pétrolier de Canaport, qui accueille également des ultra-gros porteurs (ULCC) chargés de pétrole provenant en majeure partie d'Arabie Saoudite et de Mer du Nord.
La raison pour laquelle le pétrole voyageait vers la raffinerie d'Irving en train révèle quelque chose de très significatif au sujet de ce secteur. Le désastre de Lac-Mégantic pourrait signifier la fin d'une époque dans le transport pétrolier...
La fin des wagons-citernes
Les trains sont récemment devenus une solution idéale pour les producteurs dans des champs en développement : ils leur permettent d'acheminer leur pétrole vers les raffineurs dans des endroits où les pipe-lines existants ont une capacité additionnelle limitée.
En 2000, le transport ferroviaire de pétrole brut ne représentait que 9 000 wagons. En 2012, ce chiffre avait été multiplié par 25 environ, à plus de 233 811 wagons.
Cette augmentation rapide provoque également une hausse du nombre d'accidents. Selon le Conseil américain de sécurité des transports, les accidents ferroviaires se multiplient. Au cours des dernières années, des personnes sont mortes après l'explosion de wagons-citernes pétroliers en Illinois, dans le Wisconsin et en Pennsylvanie.
Le problème n'est pas uniquement la quantité de pétrole transitant par voie ferrée dans les villes... c'est aussi les trains utilisés pour acheminer le pétrole. Pas moins de 70% des wagons-citernes d'Amérique du Nord sont de type DOT-111. Même s'ils sont certifiés par le département américain des Transports, ils sont également plus sujets aux ruptures durant les accidents. Le Conseil américain de sécurité des transports a même noté qu'un accident impliquant un DOT-111 a 87% plus de chances de provoquer la mort que d'autres wagons de type plus récent.
Ce n'est pas une pensée très rassurante... surtout si vous vivez non loin d'une voie ferrée. Il n'y a pas non plus de remède rapide. Il faudrait des années pour remplacer les DOT-111, et cela coûterait une fortune. Même ainsi, les nouvelles voitures seraient encore à la merci d'une erreur humaine.
Les compagnies ferroviaires ne peuvent pas se permettre ce genre de problèmes -- et je parle là au pied de la lettre, puisque le marché est en train de mettre les trains hors de combat en ce qui concerne le transport compétitif du pétrole brut.
Alors quelle solution pour le transport du pétrole ? ...
Quelques faits bruts sur le pétrole
Comme vous le savez sans doute, le pétrole en lui-même est relativement inutile tant qu’il n’a pas été traité. Les raffineries achètent le pétrole brut et le transforment en formes utilisables qu’elles peuvent vendre.
Or certains pétroles sont plus faciles et moins chers à raffiner que d’autres. Le pétrole connu sous le nom de West Texas Intermediate (WTI), extrait au Texas et dans d’autres régions des Etats-Unis, a des qualités qui le rendent moins coûteux à raffiner. Le pétrole Brent, qui vient du Moyen-Orient et de Mer du Nord, est légèrement plus cher à raffiner. Il y a également le brut provenant du fractionnement, comme celui qu’on extrait du gisement de Bakken. Ses propriétés sont proches de celles du WTI.
Les raffineurs peuvent généralement traiter toutes les sortes de pétroles, mais ils peuvent baisser leurs coûts de raffinage en utilisant le WTI et le pétrole de Bakken, plus “doux”. Lorsqu’ils vendent le pétrole raffiné, ils encaissent un profit plus élevé. La différence de coûts de raffinage selon le type de pétrole créée un écart de profit par baril appelé crack spread.
Le souci, c’est de faire parvenir le pétrole aux raffineurs. Comme je vous le disais hier, le terminal Canaport accueille des navires pétroliers remplis de Brent provenant du monde entier. Parallèlement, la production de pétrole de Bakken a augmenté à un rythme si rapide que les pipe-line ont du mal à suivre.
Les raffineurs ont donc été forcés d’acheter du Brent quand bien même il coûtait jusqu’à 48 $ plus cher qu’un baril de Brent.
Cette gigantesque différence de prix a toutefois créé une opportunité pour les producteurs de pétrole de Bakken : ils ne pouvaient atteindre les raffineurs par pipe-line… mais le train, en revanche, était une solution.
Il en coûte approximativement 15 $ le baril pour transporter le pétrole par train — contre 1 $ par pipe-line et 2 $ par bateau. Cependant, le différentiel du Brent compensait ces coûts de transport gigantesques. Le pétrole de Bakken transporté par train restait moins cher que le Bren transporté par bateau.
Malheureusement pour les trains, cependant, les prix sont en train de changer. L’avantage du Bakken par rapport au Brent a chuté pour atteindre seulement 10 $-12 $ le baril.
Tout à coup, dépenser 15 $ par baril pour envoyer du Bakken par le train ne semble plus très intelligent. Les raffineurs commencent au contraire à trouver qu’acheter du Brent est une meilleure affaire, plus sûre.
Ceci dit, tout ce débat navires/trains passe sous silence un aspect très important du sujet — la meilleure solution pour le transport de pétrole brut.
Adieu, surplus
Comme je le disais, une partie de l’attrait du fret ferroviaire provient du fait que les pipe-lines ne parvenaient pas à suivre la production.
Le coeur du système de pipe-lines américain se trouve à Cushing, dans l’Oklahoma. Ce réseau relie toutes les grandes zones productrices de pétrole du pays. Il accueille également la plus grande concentration américaine de cuves de stockage pour le pétrole attendant d’être transporté.
Bakken et d’autres gisements de schiste mettaient certes sous pression les systèmes de transport existants pour livrer le brut aux raffineries — mais ils mettaient surtout sous pression le hub de Cushing. Avec la hausse de la production un peu partout, le pétrole brut affluait, et il n’y avait aucun moyen immédiat de le réinjecter dans le réseau de tuyaux.
Cela a provoqué un surplus de pétrole qui s’est retrouvé piégé à Cushing. L’offre était gigantesque, mais les moyens d’acheminement pour satisfaire la demande étaient limités. Naturellement, les prix ont baissé. Les producteurs ont tiré parti de ce prix artificiellement bas pour transporter leur pétrole d’une manière dont le coût serait prohibitif dans d’autres conditions — c’est-à-dire le chemin de fer.
A présent, le surplus est en train de s’épuiser. Les stocks à Cushing sont en baisse de 11% cette année, et le différentiel entre le WTI et le Brent disparaît, emportant avec lui l’avantage Bakken.
Qu’est-ce qui a provoqué un changement aussi radical ?
L'extension du réseau de pipe-lines
La capacité des pipe-lines américains a grimpé de 38,5% environ en 2013, pour atteindre près de 900 000 barils par jour. Cela a permis à un plus grand nombre de raffineurs d’accéder au pétrole WTI et au pétrole de Bakken, moins coûteux à raffiner. Et transporter le pétrole par pipe-line ne coûte qu’un dollar, le rendant plus attractif que le Brent.


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