TARIFICATION DU CARBONE

Le temps presse pour les provinces

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Ottawa toujours à la traîne

Après le Québec, la Colombie-Britannique et — si les rumeurs se confirment — l’Ontario, toutes les autres provinces canadiennes ont avantage à se lancer dès maintenant dans la tarification du carbone, sans attendre le gouvernement fédéral. L’environnement mais aussi la compétitivité économique du pays à l’échelle mondiale sont en jeu, souligne le premier rapport de la Commission de l’écofiscalité du Canada, dont Le Devoir a obtenu une copie.

Le document dévoilé mardi exhorte les premiers ministres provinciaux à agir rapidement pour mettre de la pression sur le gouvernement fédéral.

« En prenant trop de retard par rapport au reste de la planète, nous risquons de freiner la compétitivité du pays au sein d’une économie mondiale de plus en plus consciente de l’impératif de décarbonisation », souligne le rapport entériné par les commissaires et le comité consultatif de l’organisation. Ce dernier est notamment composé du chef de la direction de la Fondation David-Suzuki, Peter Robinson, du p.-d.g. de Suncor Énergie, Steve Williams, et d’anciens premiers ministres, comme Paul Martin et Jean Charest.

Cette étude consacrée à la tarification du carbone est la première d’une série de rapports promis par la Commission pour convaincre les décideurs de tous les ordres de gouvernement d’intégrer l’écofiscalité à leurs politiques, un concept récemment vanté par des experts de la commission Godbout.

Le document, intitulé La voie à suivre, recommande aux provinces de mettre en oeuvre des politiques de tarification du carbone contraignantes, dont le champ d’application soit le plus large possible.

La coordination interprovinciale — et éventuellement internationale — de ces politiques sera nécessaire à long terme pour assurer leur efficacité, conclut le rapport, mais rien ne sert d’attendre. « L’histoire est remplie d’exemples où les provinces canadiennes ont adopté des politiques divergentes. En élaborant dès maintenant des politiques efficaces, les provinces pourront accomplir des progrès décisifs pour atteindre des objectifs ambitieux. La coordination de leurs différentes politiques est un enjeu moins pressant », précise-t-on dans le document d’une cinquantaine de pages.

« La façon de faire la plus efficace, ce serait probablement d’avoir un seul marché du carbone nord-américain, mais on ne voit pas les planètes s’aligner dans un avenir rapproché, fait remarquer le commissaire et professeur au Département d’économie appliquée d’HEC Montréal, Paul Lanoie. Je pense qu’on va apprendre à marcher en le faisant et, au fur et à mesure que des provinces auront pris des décisions, on pourra trouver la façon de coordonner les différentes politiques. »

Suivre l’exemple

À l’heure actuelle, trois provinces canadiennes ont mis en place une politique de tarification du carbone. La Colombie-Britannique mise depuis 2008 sur une taxe carbone, le Québec est participe depuis 2013 à un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE) avec la Californie, alors que l’Alberta privilégie depuis 2007 un système hybride. Ce dernier est toutefois jugé beaucoup moins efficace que les deux premiers.

À ces trois provinces devrait bientôt s’ajouter l’Ontario, qui pencherait en faveur du SPEDE. La province en fera l’annonce le 13 avril, lors du sommet interprovincial qui aura lieu à Québec, selon ce que rapportait le Globe and Mail la semaine dernière. Le ministre québécois de l’Environnement, David Heurtel, n’a toutefois pas confirmé la nouvelle.

La Commission sur l’écosfiscalité ne penche pas en faveur d’un système ou d’un autre, mais elle en décrit les forces et les faiblesses. La taxe carbone a l’avantage d’être un système simple qui rend la vie plus facile aux entreprises, grâce à un prix fixe associé aux émissions de carbone. En revanche, l’ampleur de la réduction des émissions de GES n’est pas garantie et le mot « taxe » peut rendre cette option moins attrayante aux yeux de la population.

De son côté, le SPEDE permet aux entreprises qui excèdent la quantité maximale d’émissions permises d’acheter des « droits de polluer » et aux entreprises qui en émettent moins de vendre les droits non utilisés. La quantité de réduction des émissions est ainsi plus prévisible, mais la fluctuation du prix carbone peut devenir un irritant pour les entreprises.

Peu importe le système privilégié, la Commission plaide en faveur d’un prix uniforme pour toutes les émissions de carbone, quelles que soient leurs sources, afin d’éviter des problèmes de compétitivité interprovinciale. À titre de comparaison, le prix de chaque tonne de carbone est actuellement de 30 $ en Colombie-Britannique, contre environ 15 $ au Québec.

Les auteurs insistent également sur l’importance d’adopter des politiques adaptées à la réalité de chaque province et de permettre à tous les gouvernements de profiter à leur guise des revenus générés par la tarification du carbone. La Colombie-Britannique, par exemple, a choisi d’utiliser le montant de 1,2 milliard qu’elle génère chaque année avec sa taxe carbone pour réduire l’impôt des sociétés et des particuliers, tandis que le Québec a préféré verser dans un fonds vert ses quelque 425 millions accumulés par année.

Il s’agit d’un argument de vente que les provinces hésitantes doivent utiliser à leur compte, estime le professeur Lanoie. « C’est l’histoire de toutes les taxes écologiques. Une nouvelle tarification ou une nouvelle taxe sont beaucoup mieux acceptées si on sait où vont les revenus. C’est un message que l’OCDE nous envoie depuis longtemps. »

Le membre du Groupe d’études et de recherche sur le management et l’environnement (GERME) est par ailleurs optimiste quant à la naissance d’un mouvement pancanadien de tarification du carbone. « Pour l’instant, plusieurs provinces sont en observation, elles regardent le jeu d’échecs se dessiner et verront comment se lancer à leur tour, dit-il. L’an dernier, au Conseil de la fédération, les 10 premiers ministres provinciaux ont conclu qu’il fallait mettre une tarification sur le carbone. Je pense que c’est donc une question de temps avant que tout le monde n’embarque. »


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