Il y a 35 ans, le PQ prenait le pouvoir

Le témoignage de quelques écrivains

PQ - 15 novembre 1976-2011





Il y a 35 ans, René Lévesque et le Parti québécois prenaient le pouvoir au Québec. Où étions-nous? Que faisions-nous? Était-ce assez important pour en garder le souvenir?
Dans ce Québec où le «Je me souviens» scande chaque coup de klaxon, qu’est-ce que l’équipe d’écrivains-journalistes du Devoir garde en mémoire? J’ai posé la question.
Bernard Émond, cinéaste et écrivain
_ «J’étais un jeune père occupé, ce jour-là, à réparer la laveuse. La pile de couches montait. On avait une vieille laveuse à tordeur qui avait une fuite. J’attendais le résultat avec fébrilité. J’avais beau dire à mes amis que ça ne changerait pas grand chose parce que j’étais plus à gauche que le PQ, mais quand la nouvelle est arrivée, je ne me pouvais plus de joie. Ç’a été le grand bonheur. Tout le contraire de ce qui s’est passé hier, alors que c’était pour moi des funérailles»
Patrick Sénécal, écrivain
_ «J’avais neuf ans et je disais que je votais pour le Parti québécois parce que mes parents votaient pour le Parti québécois. Je me rappelle qu’il y a eu dans la maison beaucoup de joie et de bonheur. [...] Le lendemain, en m’allant à l’école, j’ai dit à mes amis que j’avais gagné mes élections. Mais je n’avais aucune idée pourquoi!»
Bernard Descôteaux, directeur du Devoir
_ «J’étais au quartier général du Parti libéral, rue Gilford, parce que j’avais couvert, comme journaliste au Devoir, la campagne électorale de Robert Bourassa. Il y avait douze militants qui attendaient les résultats. Il n’y avait pas un chat. M. Bourassa est arrivé vers 23h pour reconnaître la défaite avec une certaine noblesse. Mais c’était un moment désolant. A contrario de ce qui se passait au PQ, c’était l’humiliation.
Après avoir fait mon article au journal, je suis allé avec des collègues au Press Club, un endroit où on n’allait jamais parce qu’il n’y avait que des anglophones. On a envahi l’endroit. On en est ressorti à 5 heures du matin. Qui était là? Richard Hatfield qui était alors le premier ministre du Nouveau-Brunswick. Mon collègue acadien, Gérald Leblanc, était allé le voir pour lui dire qu’on allait annexer la moitié du Nouveau-Brunswick au Québec. C’était franchement l’euphorie».
Régine Robin, écrivaine
_ «J’étais à Paris. Je n’étais pas encore installée ici. L’événement a donc glissé sur moi. Mais ça ne m’a pas découragée de revenir parce que j’avais une grande histoire d’amour ici».
Johanne Seymour, scénariste et écrivaine
_ «Tout ce qui me vient à l’esprit, c’est la déception que j’ai 35 ans après. En fait, c’est un souvenir doux-amer. Je me rappelle la joie d’un pays: je croyais qu'il était à ma porte. Et de voir qu’aujourd’hui on a reculé, alors qu’on en a besoin plus que jamais..».
***
Il y a 24 heures, François Legault lançait son parti, la Coalition avenir Québec (CAQ). Si on met cette fondation en parallèle avec l’esprit qui régnait le 15 novembre 1976, y a-t-il l’ombre d’un début d’une affinité ou d’une similitude, ne serait-ce qu’au chapitre de l’enthousiasme? Voici ce qu’en ont dit les écrivains.
Alain Farah
_ «Je trouve ça tellement déprimant, tellement symptomatique du moment. Hier, 97% des choses qui ont été dites concernaient le logo, qui est en soi un truc hystérique pour vérifier si on est daltonien.
Puis, le gars fonde un parti, ce qui est l’événement le plus important dans une démocratie, et il est tout seul. Et à quoi il compare ça? À Air Transat, une compagnie privée. Regardez comment on a dés-intensifié la politique pour en être arrivé là! M. Legault ne m’apparaît pas la personne la plus charismatique, la plus porteuse de vision. Et le programme? On fera rien pendant 10 ans. On va se débarrasser de la bonne vieille question nationale qui nous divise et on sera dans l’intendance.»
Maxime-Olivier Moutier, écrivain et psychanalyste
_ «Je trouve dommage que l’on fonde un nouveau parti. Je favorise davantage l’évolution d’un parti et l’investissement dans le long terme. On devrait faire évoluer le Parti québécois avec son histoire. Les ruptures, je suis assez contre ça».
Dominique Fortier
_ «C’est horrible à dire, mais je suis incapable d’avoir une opinion politique. J’ai dû mal à le prendre au sérieux. J’ai une impression de déjà-vu. Je n’ai pas eu de frisson. [...] Par contre, si Steven Guilbeault [co-fondateur et porte-parole d’Équiterre] fondait un parti, j’embarquerais».
Johanne Seymour
_ «S’il y a des gens qui sont sceptiques aujourd’hui face à la politique, c’est qu’il y a des clowns comme lui qui décident de partir des partis à un moment où on n’en a pas besoin. Pour moi, ça contribue au cynisme et il va faire un fou de lui. [...] C’est un opportuniste».
Patrick Sénécal
_ «Ça ne provoque pas d’allégresse, mais c’est intéressant. Je veux suivre le dossier. [...] Il faut surveiller ça. Je pense qu’on a besoin d’un autre parti au Québec. Legault a certaines bonnes idées sur l’éducation mais il veut traiter ça comme un milieu d’affaires. Je trouve ça extrêmement inquiétant».
Bernard Descôteaux
_ «Il n’y a pas de commune mesure entre l’arrivée au pouvoir du PQ et le lancement du nouveau parti politique. Ce qui me frappait hier, c’est qu’il n’y avait pas de population derrière François Legault. Normalement, quand tu fondes un parti, c’est que tu es porté par beaucoup de monde. C’était une conférence de presse. C’était comme quelqu’un qui fonde une nouvelle compagnie.»
Bernard Émond
_ «Il y a une conception du politique qui a changé. Lorsque le PQ est arrivé au pouvoir, il y avait une façon de faire de la politique. On essayait de convaincre des concitoyens. Il y avait une foi, des idées, des principes alors qu’aujourd’hui, on a l’impression que c’est un expert-sondeur qui se lance».
La flambée de l’espoir, la joie brutale de 1976, ne met en relief que le vide abyssal de la nouvelle proposition de Legault. Gérer un parti, gérer une société ou un pays comme on gère une grosse entreprise... voilà qui rend le dividende de la force morale, de la solidarité sociale, du souci de l’équité bien difficile à évaluer ou à atteindre.
Le Devoir


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