Le sens de l'histoire

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Avec le recul, les premières minutes du documentaire intitulé Questions nationales, présenté cette semaine au Festival des films du monde, sont particulièrement douloureuses pour un souverainiste.
D'entrée de jeu, le spectateur se retrouve à l'aube de la campagne électorale du printemps 2007. Sur la scène, André Boisclair réitère l'engagement de tenir un référendum le plus rapidement possible au cours de son premier mandat. «Un ré-fé-ren-dum sur le pays, martèle Daniel Turp. Au PQ, on n'a pas peur des mots.» Flanquée de Pierre Curzi, Diane Lemieux évoque le «vent de changement et de détermination» qui souffle sur le Québec.
Un mois plus tard, le PQ subissait sa pire défaite en 30 ans. Aujourd'hui, le nom d'André Boisclair est devenu synonyme de cauchemar pour les péquistes. Daniel Turp, battu dans le comté mythique de Mercier, est retourné à l'université et le mot «référendum» a été littéralement proscrit du vocabulaire péquiste.
Le nouveau «Plan pour un Québec souverain» de Pauline Marois ne prévoit plus que la récupération de pouvoirs dans le cadre du fédéralisme canadien. D'ailleurs, Mme Marois, peut-être échaudée par sa participation désastreuse au film de Jean-Claude Labrecque, À hauteur d'homme, a décliné l'invitation des réalisateurs de Questions nationales, laissant toute la place à Bernard Landry.
Quant à Diane Lemieux, elle a claqué la porte du PQ sur un coup de tête, parce qu'on l'avait temporairement privée de son poste de leader parlementaire, et elle se présente maintenant comme la dauphine du maire Tremblay, qui combattait -- assez mollement, il est vrai -- dans le camp du NON en 1995.
Certes, chacun a son amour-propre et le pouvoir a d'indéniables attraits, qu'on l'exerce à Québec ou à l'hôtel de ville de Montréal. Tout cela ne donne cependant pas l'impression d'une détermination inébranlable dans la quête du pays.
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Malgré d'évidentes différences dues à l'histoire et à la géographie, on a surtout retenu de cet excellent documentaire les similitudes entre les mouvements d'émancipation nationale au Québec, en Écosse et en Catalogne.
Les fédéralistes se sont empressés de constater que les Écossais ont les mêmes hésitations que nous à opter pour l'indépendance, n'en voyant pas davantage la nécessité, tandis que les souverainistes y ont vu la preuve que leur projet n'est ni anachronique ni à contresens de l'histoire.
Pour reprendre le célèbre euphémisme de René Lévesque, le Canada, la Grande-Bretagne et l'Espagne n'ont rien à voir avec le Goulag. De toute évidence, les questions nationales ne s'y posent pas dans les mêmes termes que dans les 111 pays qui ont acquis leur indépendance au cours du dernier demi-siècle.
Il n'en demeure pas moins remarquable que, depuis des siècles, trois des pays les plus avancés de la planète se sont révélés incapables de satisfaire les aspirations de nations dont ils prétendent faire des compatriotes.
Que les souverainistes québécois n'aient pas encore réussi à rallier la majorité de la population à leur projet n'entache en rien la légitimité ou la pertinence de ce dernier. Gilles Duceppe a raison de dire que les fédéralistes sont tout aussi incapables de réformer une constitution à laquelle aucun des partis représentés à l'Assemblée nationale n'a voulu adhérer depuis 1982.
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Pour celui qui milite depuis 40 ans en faveur de la souveraineté du Québec, il est sans doute exaspérant de la voir piétiner, sinon régresser; mais pourquoi serait-ce plus facile ici qu'ailleurs?
Depuis son annexion à l'Espagne, en 1469, l'histoire de la Catalogne a été ponctuée de soulèvements qui ont été écrasés dans le sang. Au fil des siècles, ses droits et privilèges ont été abolis, puis rétablis à plusieurs reprises, et ils sont de nouveau menacés.
Le traité d'Union entre l'Écosse et l'Angleterre remonte à 1707 et l'Écosse n'a retrouvé qu'en 1999 un Parlement dont les pouvoirs demeurent très limités. Selon les derniers sondages, l'indépendance est encore loin d'avoir l'appui de la majorité et le référendum prévu en 2010 ne tranchera vraisemblablement pas la question de façon définitive.
Alors que les militants péquistes s'empressent de critiquer leur chef ou de le mettre carrément à la porte dès que la souveraineté connaît un creux de vague, la longévité politique des leaders catalans et écossais est remarquable.
Torturé dans les prisons de Franco dans les années 1960, Jordi Pujol, dont l'entrevue est particulièrement savoureuse, a fondé son parti en 1974, avant d'être réélu sans interruption président de la Généralité de Catalogne de 1980 à 2003.
L'actuel premier ministre de l'Écosse, Alex Salmond, est chef du Scotish National Party depuis 1990, sauf pour une éclipse volontaire de quatre ans pendant laquelle il a néanmoins agi comme leader parlementaire de son parti à Westminster. Durant cette période, le PQ a eu cinq chefs et il est bien possible qu'il en ait d'autres avant que M. Salmond ne tire sa révérence.
L'impatience des souverainistes québécois est compréhensible, mais le sens de l'histoire consiste aussi à reconnaître que Rome n'a pas été bâtie en un jour.
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mdavid@ledevoir.com


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