Le Sénat a envoyé un puissant message à la Chambre des communes mercredi soir en adoptant un amendement au projet de loi C-14 qui élargit les critères d’admissibilité pour inclure les personnes qui ne sont pas en fin de vie. Tout indique donc que le projet de loi sera renvoyé aux députés, qui devront décider s’ils s’engagent dans une partie de ping-pong législatif ou s’ils plient devant la volonté des non-élus.
Les sénateurs ont voté à 41 voix contre 30 pour l’amendement que pilotait le sénateur libéral indépendant Serge Joyal. Cet amendement retire notamment de C-14 la portion stipulant que la « mort naturelle » d’un patient doit être devenue « raisonnablement prévisible » pour que ce patient se qualifie à l’aide médicale à mourir. Ce passage du projet de loi est devenu le paratonnerre de toutes les critiques formulées à l’endroit de C-14.
Plusieurs sénateurs s’étaient prononcés sur cette proposition d’amendement. « De créer une ligne imprécise entre un groupe qui a droit à l’aide médicale à mourir […] et un groupe qui n’y a pas [droit], ça c’est illégal », avait par exemple soutenu le conservateur Claude Carignan, en appui à M. Joyal. À l’inverse, laconservatrice indépendante Diane Bellemare refusait d’ouvrir toutes grandes les portes de l’aide à mourir au nom des personnes plus vulnérables, mais aussi de crainte que ce faisant, la loi québécoise, qui se limite aux malades en fin de vie, soit invalidée.
Vote important
Le débat sur le projet de loi, qui avançait à pas de tortue mercredi soir (l’amendement de M. Joyal a été débattu pendant trois heures et demie), est loin d’être terminé : les sénateurs planifient encore discuter une dizaine d’heures jeudi et peut-être la semaine prochaine. D’autres amendements seront probablement présentés. Et le projet de loi devra encore être voté dans son ensemble. Mais il n’en reste pas moins que ce premier vote change la donne et bouscule le gouvernement libéral de Justin Trudeau.
La ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, s’était montrée mercredi en matinée peu disposée à considérer des amendements importants à son projet de loi, en particulier ceux élargissant les critères d’admissibilité. « Si nous devions enlever la prévisibilité raisonnable [de la mort], cela élargirait le régime et [affecterait] l’équilibre que nous avons trouvé », avait-elle déclaré. Elle est maintenant devant cette réalité.
Tout amendement apporté par le Sénat rend nécessaire un retour de C-14 à la Chambre des communes pour une nouvelle adoption. La Chambre avait déjà rejeté plusieurs amendements similaires à celui de Serge Joyal qui auraient élargi l’accès de l’aide à mourir à toute personne souffrante, mourante ou non. Qu’arrivera-t-il maintenant ? Refusera-t-elle à nouveau la version sénatoriale ? Dans cette éventualité, une partie de ping-pong législatif pourrait s’enclencher, chaque chambre apportant des changements que l’autre rejette.
Un des scénarios parfois évoqués est la tenue d’une « conférence entre les chambres ». Cette disposition permet aux deux enceintes de se réunir et de s’expliquer les motifs de refus des amendements soumis. Cette pratique, très exceptionnelle, a été utilisée pour la dernière fois en 1947, lorsque la Chambre avait refusé les amendements sénatoriaux à un projet de loi concernant les récidivistes. Selon les informations obtenues par Le Devoir, cependant, le gouvernement libéral s’oppose à cette idée, de peur que cela n’ouvre la porte à une multiplication de telles demandes dans un contexte où le Sénat s’approprie une nouvelle indépendance.
Le chef sortant du NPD, Thomas Mulcair, bien que militant pour l’abolition du Sénat, invite maintenant celui-ci à persévérer. « J’espère qu’en faisant oeuvre utile dans ce cas-ci, les sénateurs vont prendre des amendements qui avaient été proposés [par nos députés]. Ce serait quand même une ironie que M. Trudeau accepte maintenant des choses qu’il a rejetées quand ça venait des élus si ça vient des non-élus. Mais vous savez quoi ? Ce serait quand même nos modifications, nos amendements. On va continuer de les appuyer. »
AIDE À MOURIR
Le Sénat force la main des élus
La Chambre haute adopte un amendement pour élargir les critères d’admissibilité du projet de loi C-14
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