Le rôle de nos forces armées: se garder de deux naïvetés

Politique étrangère et Militarisation du Canada


Le rôle des forces armées canadiennes et le thème de la sécurité sont largement débattus dans la course à la chefferie du Parti libéral du Canada. Cela s'explique par l'importance du sujet, l'actualité internationale et les inquiétudes profondes que fait naître la propension du gouvernement conservateur à mettre avant tout l'accent sur l'usage de la force pour régler les conflits internationaux.
Mais il y a aussi des différences entre les prises de position des 11 candidats. L'un d'eux, c'est bien connu, a approuvé l'intervention américaine en Irak. Neuf candidats, dont moi-même, ont désapprouvé la motion du gouvernement pour un prolongement de deux ans de la mission en Afghanistan. Plusieurs d'entre nous, mais pas tous, avons immédiatement demandé un cessez-le-feu au Liban.
J'aimerais indiquer ici les critères qui me guideraient comme premier ministre afin d'assurer la bonne utilisation de nos forces armées.
Utiliser la force
Il faut nous garder de deux naïvetés opposées. Dans ce «nous», j'inclus bien sûr mon parti, car lui aussi m'apparaît parfois perméable à ces deux naïvetés. Cela transparaît dans la course à la chefferie.
La première de ces naïvetés est de croire que, puisque la préservation de la paix est la vocation de nos soldats, ceux-ci ne doivent jamais utiliser leurs armes. Dans les missions de surveillance d'un cessez-le feu entre deux armées régulières, les Casques bleus de l'ONU n'ont normalement pas à combattre et ne sont pas équipés pour le faire.
Mais toutes les opérations de préservation de la paix ne se déroulent pas dans ces conditions. Quand pour protéger une population en danger il faut aider un gouvernement faible à rétablir la sécurité sur son territoire, comme au Congo en 1961, en Bosnie en 1994 ou en Afghanistan aujourd'hui, le maintien de la paix cède la place au rétablissement de la paix. Dans ces missions, les soldats peuvent avoir à utiliser la force et ils acceptent le risque de subir des pertes.
En refusant d'engager l'armée canadienne dans des opérations de ce type, on renoncerait à tenter de limiter les conflits les plus graves du monde d'aujourd'hui, et à assumer la «responsabilité de protéger», principe dont le Canada a fait la promotion sur la scène internationale.
Mais ne pas surestimer son rôle
La naïveté inverse est de surestimer la force armée en tant qu'instrument pour répandre la justice et la démocratie dans le monde. Elle est à l'origine sans doute de la décision américaine d'envahir l'Irak en 2003, et certainement de l'appui de certains intellectuels à cette décision.
La majorité des Canadiens ont désapprouvé cette invasion (mais pas M. Harper) et notre gouvernement a refusé d'y participer. Nous n'ignorions pas le caractère criminel du régime de Saddam Hussein; nous ne pensions pas que le peuple irakien est incapable de vivre en démocratie; mais nous pensions qu'une guerre et une occupation militaire risquaient de produire plus de violence et de chaos que de démocratie.
Nous avons participé à l'intervention en Bosnie parce qu'elle avait de bonnes chances de mettre fin à la violence et de permettre un progrès politique dans ce pays. Pour les mêmes raisons, nous sommes présents en Afghanistan, dans des conditions bien plus difficiles.
En Irak la situation politique était différente; il était prévisible que l'intervention militaire ferait diminuer les chances de la démocratie dans ce pays et dans l'ensemble du Moyen-Orient.
Nous avons eu raison de mettre en garde nos amis américains contre les dangers de leur entreprise et de ne pas y participer. Pour nous, les États-Unis sont un allié et non un modèle, distinction qui échappe à notre premier ministre actuel.
Telles sont les orientations que notre politique de défense doit poursuivre. Une force armée étrangère peut, dans certains cas, apporter la sécurité dans un pays, elle ne peut pas y bâtir la démocratie. Celle-ci sera peut-être développée par la population elle-même, grâce à la sécurité rétablie, mais cela est hors du contrôle de la force armée étrangère.
Les Canadiens doivent continuer à venir en aide à des populations en danger, là où leur présence est souhaitée et où ils ont des chances raisonnables de faire diminuer la violence. Ils ne doivent pas refuser les engagements qui comportent la nécessité d'utiliser les armes et le risque de subir des pertes. Mais ils doivent s'abstenir de participer aux entreprises qui ont pour effet d'augmenter la violence plutôt que de la faire reculer.
C'est à partir de ces critères que nous devons évaluer la poursuite de notre mission en Afghanistan. Si une force internationale est créée pour le Liban, notre décision d'y participer devra dépendre de la possibilité pour celle-ci de rétablir une sécurité réelle dans la région ainsi que pour la population libanaise si cruellement éprouvée par les événements récents. Et ce sont les mêmes critères qui devront nous guider pour évaluer d'éventuels futurs engagements.
Stéphane Dion : Député de Saint-Laurent-Cartierville et candidat à la direction du Parti libéral du Canada


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