Le réveil d’une banlieue-dortoir

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Le Grand Remplacement canadien : « La conversation se déroule la plupart du temps en pendjabi. »


BRAMPTON | « Où est l’argent ? Répondez à la question ! » Il y a de la frustration dans l’air, à Brampton, une banlieue-dortoir qui pousse comme un champignon à une quarantaine de km au nord de Toronto.


En cette douce soirée d’octobre, plus de 200 personnes se sont déplacées à l’hôtel de ville pour entente les candidats fédéraux libéraux, conservateurs, néo-démocrates, verts et populaires, à quelques jours du scrutin.


Les échanges demeurent courtois sur la scène d’un théâtre du centre-ville, mais dans la salle, certains montrent des signes d’impatience.


« Les gens ici ont l’impression que les gouvernements les laissent tomber, qu’ils ne reçoivent pas leur dû », affirme à la sortie Sanjiv Dhawan, un directeur d’école.


La ville de Brampton pousse à une vitesse effrénée depuis 15 ou 20 ans. Les services publics n’ont tout simplement pas suivi la cadence. Son territoire est quadrillé de boulevards et d’autoroutes à six voies, souvent bouchonnées.


Écoles, hôpitaux, transport en commun, bibliothèques ; il manque de tout dans cette ville de plus de 600 000 habitants, qui compte maintenant cinq circonscriptions, toutes libérales. Et les citoyens commencent à en avoir ras le bol.


Bref, cette banlieue éminemment dortoir se réveille.


C’est en bonne partie sur ce mécontentement en toile de fond que se joue la présente élection fédérale.


Trouble-fête


« Samosa? » Le candidat néo-démocrate dans le comté de Brampton Est, Saranjit Singh, nous offre une bouchée avant que nous partions l’accompagner pour une session de porte-à-porte.


Nous nous rendons aux abords d’une école d’un quartier anonyme où s’étendent à perte de vue des maisons qu’on aurait dit clonées.


Les parents des élèves attendent que la cloche sonne à l’intérieur de leur véhicule. Saranjit, chemise blanche et souliers immaculés, bondit de voiture en voiture. La conversation se déroule la plupart du temps en pendjabi.


Nul besoin de comprendre la langue pour reconnaître la stratégie employée.


Saranjit a deux mots en bouche : « Jagmeet » et « hôpital ».


« Il y a des villes trois fois plus petites qui ont trois hôpitaux. C’est un gros problème. Et les libéraux n’ont rien fait pour changer cela », lance-t-il en entrevue dans son bureau de campagne.


Le NPD mise beaucoup sur la notoriété de son chef pour réaliser une percée à Brampton. C’est ici que Jagmeet a fait ses classes en politique provinciale, de 2011 à 2017. Son frère, Gurratan, a depuis pris la relève.


« Ce sera une lutte serrée à trois », prédit la candidate conservatrice locale, Ramona Singh.


La course s’annonce d’autant plus intéressante que les libéraux n’y présentent pas de député sortant. Raj Grewal a quitté le caucus libéral dans la controverse après avoir contracté des dettes de jeu de plusieurs millions $.


Unique


Brampton Est est une circonscription unique au pays. Environ 60 % de la population provient de l’Asie du Sud (Inde, Pakistan, Sri Lanka). Elle est aussi l’une des plus jeunes, avec une moyenne d’âge de 35 ans.


« Jagmeet va donner un coup de main au NPD. Mais il va peut-être aider le candidat conservateur à se faufiler et faire perdre les libéraux », soutient Sanjiv Dhawan, qui est aussi à ses heures commentateur politique, dans les médias locaux ethniques.


Lorsqu’ils entendent le NPD promettre un établissement de soins de santé, libéraux et conservateurs enragent, non sans raison. La santé est une compétence provinciale.


« Je trouve cela trompeur que certains partis promettent un hôpital. C’est n’est pas de juridiction fédérale », peste le candidat libéral, Maninder Sidhu.


Saranjit n’en a cure.


« C’est troublant comme attitude. Il faut démontrer du leadership », martèle l’avocat en droit du travail de 32 ans.


La bataille du 905


Brampton est située dans ce qu’on appelle communément le 905, l’indicatif régional des municipalités qui ceinturent la Ville Reine. Le 905 est à Toronto ce que le 450 est à Montréal.


Élections après élections, les partis fédéraux se livrent dans le GTA (Greater Toronto Area) une guerre sans merci. On aime dire que les gouvernements se font et se défont ici.


Le GTA comprend une cinquantaine de sièges, la moitié dans les banlieues, l’autre moitié à Toronto.


C’est énorme. Le Québec en entier en compte 78.


Les électeurs de Brampton ne sont pas les plus fidèles. Les conservateurs y ont tout raflé en 2011. Les libéraux de Justin Trudeau leur ont rendu la pareille quatre ans plus tard, sur le chemin de leur écrasante victoire.


La stratégie libérale d’associer le chef fédéral conservateur Andrew Scheer à son cousin provincial Doug Ford est susceptible de porter ses fruits dans le 905.


Dès son arrivée au pouvoir l’an dernier, le très impopulaire premier ministre ontarien a mis la hache dans un projet d’université à Brampton.


Maninder Sidhu ne rate jamais l’occasion de le rappeler aux électeurs qu’il croise.


« Ma femme est une enseignante, j’entends parler des coupes en santé et en éducation aux portes et à la maison », déplore-t-il, mi-blagueur.


À ceux qui lui brandissent au visage l’épouvantail de Doug Ford, Ramona Singh dégaine aussitôt celui de la libérale provinciale Kathleen Wynne, qui a creusé d’importants déficits durant son règne en Ontario.


« Dès que je mentionne Wynne, ils arrêtent de m’en parler », affirme Ramona.


Alors que Brampton s’éveille, nous verrons qui, des libéraux, des conservateurs ou des néo-démocrates, aura la gueule de bois le 22 octobre au matin.




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