Le Québec serait mûr pour un débat sur l'euthanasie

Les médecins spécialistes veulent la légalisation d'un acte courant

Euthanasie

Louise-Maude Rioux Soucy - La loi est claire: l'euthanasie n'est pas permise au Canada. Elle est pourtant devenue pratique courante dans nos hôpitaux, affirme la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). En fait, les mentalités ont à ce point changé qu'une majorité de médecins spécialistes est désormais prête à débattre de la pertinence de l'euthanasie (84 %) alors que les trois quarts sont carrément favorables à sa légalisation dans un cadre législatif balisé, montre un étonnant sondage rendu public hier par la FMSQ.
Son président, le Dr Gaétan Barrette, est formel. Les médecins spécialistes «sont en synchronie avec la population», qui, elle, est «fin prête à en débattre». Selon lui, les idées cheminent plus vite que la loi et cette dernière doit donc s'ajuster. «L'euthanasie est rendue à un point presque identique à celui de l'avortement il y a 21 ans, à la différence près que les médecins sont aujourd'hui très majoritaires à demander que le débat se fasse et qu'une législation vienne baliser cette pratique», a dit le Dr Barrette.
L'euthanasie est un sujet qui revient fréquemment dans la pratique des médecins spécialistes. Le geste lui-même ferait désormais partie de la panoplie de soins donnés puisque 81 % des répondants affirment haut et fort que l'euthanasie est bel et bien pratiquée dans le réseau québécois. «Au moment où l'on se parle, il est impossible de nier que l'euthanasie se pratique au Québec», fait valoir le Dr Barrette.
Or cet état de fait qui s'est installé au fil des ans contrevient à l'esprit de la loi et ouvre aujourd'hui la voie à de nombreuses interprétations et à encore davantage d'hésitations. «Si les balises étaient claires, les gens pourraient prendre des décisions plus éclairées, estime le Dr Barrette. Actuellement, les décisions sont prises dans une certaine obscurité parce qu'il n'y a pas de cadre.»
Ce flou agace les médecins spécialistes, qui refusent d'avoir à mener ce combat seuls. Pas moins de 91 % des répondants estiment que l'euthanasie est un geste qui doit être fait en concertation avec le patient ou sa famille. Même principe pour les manoeuvres de réanimation, alors que 72 % d'entre eux croient qu'il faut consulter la famille ou les proches si jamais cette question n'a pas été abordée auparavant avec le patient.
«Les médecins spécialistes ne veulent pas du rôle divin qui consiste à choisir entre la vie et la mort, précise le Dr Barrette. Ils veulent travailler de concert avec le patient, sa famille et son médecin de famille.» Ils veulent de surcroît conserver leur libre arbitre et 20 % indiquent que, même si l'euthanasie était légalisée, ils ne la pratiqueraient pas.
Enfin, pour 95 % des membres de la FMSQ, la sédation palliative doit être considérée comme faisant partie des soins appropriés de fin de vie. Ces derniers sont toutefois divisés sur la nature du geste lui-même, alors que 48 % affirment que cette médication de confort en fin de vie constitue une forme d'euthanasie contre 46 % qui répondent par la négative.
Dans l'esprit du Dr Barrette, il n'y a pourtant pas d'ambiguïté, la sédation palliative est non seulement une forme d'euthanasie, elle est aussi la forme d'euthanasie la plus courante au Québec. «Le cas du polytraumatisé est peut-être le plus simple et le plus spectaculaire [exemple d'euthanasie]. Il n'est pas aussi simple ni aussi évident quand il s'agit d'un patient en phase terminale. Et plus on monte en amont, plus ça nécessite des balises.» Autrement, «où s'arrête-t-on»?
À Québec, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Yves Bolduc, n'a pas voulu se prononcer sur les demandes précises des médecins spécialistes, encore moins répondre à leur embêtante question. Son attachée de presse, Marie-Ève Bédard, a toutefois précisé que le ministre est «sensible» aux questions touchant la fin de vie. Selon lui, ces questions devront faire l'objet de «discussions» au sein de «toute la société» et il se dit «prêt» à les entendre.
Même prudence du côté du Collège des médecins du Québec, qui ne commentera pas la position de la FMSQ avant le dépôt de son propre mémoire sur la question, ce qui devrait être fait à la fin du mois ou au début de novembre. Le Dr Barrette espère pour sa part que son sondage donnera des dents à ce mémoire très attendu. «Le Collège est en mode hésitation parce qu'ils n'ont pas de données factuelles, quantifiées, réelles sur lesquelles s'appuyer pour conclure leur réflexion. Je pense que nos données vont pouvoir nourrir leur réflexion.»
Notons que la position de la FMSQ ne porte que sur l'euthanasie sous l'angle précis des soins de fin de vie et non sur le suicide assisté qui, selon la Fédération, est un autre débat en soi. «Le suicide assisté est un acte décidé et exécuté par l'individu lui-même sans l'interférence médicale par opposition à l'euthanasie où l'acte est posé par le médecin», a expliqué le Dr Barrette.
Pour mener ce sondage auprès de ses membres actifs, la FMSQ a mandaté la firme Ipsos Descarie. Son coup de sonde a été réalisé par Internet et par la poste du 28 août au 15 septembre 2009. Le taux de réponse s'établit à 23 %, soit 2025 répondants, et la marge d'erreur est de 1,9 %, 19 fois sur 20.


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