Le Québec raciste?

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«Les musulmans du Québec doivent montrer leur humanité en dénonçant la violence commise en leur nom et au nom de l’islam»






L’attaque meurtrière qui a fauché la vie de six Québécois, d’origine maghrébine et guinéenne, au Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), le 29 janvier dernier, est une tragédie qui nous marquera longtemps. Elle a laissé dans le deuil et le besoin 6 veuves et 17 or­phe­lins. Ne les oublions pas.




Il serait cependant trop facile d’expédier cet acte horrible en réduisant notre examen de conscience à une identification sélective de certains boucs émissaires de droite ou de gauche, politiciens et médias confondus. Ces dérives existent et il faut les dénoncer, mais le problème est beaucoup plus profond.




Du racisme au Québec




Je travaille sur les questions de l’intégration depuis 40 ans. J’ai participé à la sensibilisation des policiers de Montréal à la diver­sité dès le milieu des années 1980. Au début des années 1990, j’ai siégé au Comité interculturel et interracial de la Ville de Montréal à titre de vice-présidente et présidente, sous le leadership du maire Jean Doré. Sur les recommandations de ce comité, la Ville avait notamment: 1) implanté son premier programme d’équité en matière d’emploi pour les Montréalais de différentes origines. Partie de rien, en 1992, leur présence dans la fonction publique municipale était montée à 20 %; 2) la Ville avait déclaré février Mois de l’histoire des Noirs; 3) proclamé 1993 Année de l’harmonie interculturelle et interraciale; 4) Reçu la visite mémorable de Nelson Mandela à l’hôtel de ville, en juin 1990, en reconnaissance de la mobilisation de Montréal contre l’Apartheid en Afrique du Sud, etc.




Le 15 janvier 1991, j’ai exposé devant la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec les difficultés d’intégration des communautés maghrébines et musulmanes avec lesquelles je travaille sur le terrain.




«Merci de nous avoir instruits», a dit l’un des coprésidents de la Commission. Aujourd’hui, avec des taux de chômage de l’ordre de 18 % chez les Maghrébins francophones, mon diagnostic d’il y a 25 ans est, hélas, encore plus parlant.




Constatant une montée des manifestations haineuses des groupes extrémistes et néonazis au Québec, qui avaient élargi leur auditoire auprès de certaines tribunes radiophoniques, j’ai cofondé le Comité d’intervention contre la violence raciste, avec des représentants de la Commission des droits de la personne, du Congrès juif canadien et de la Ligue des droits et liber­tés. Après consultation auprès de plusieurs institutions publiques et ONG, nous avons cosigné et rendu public, en juin 1992, le rapport Violence et racisme au Québec, qui appelle les pouvoirs publics à l’action tout en précisant qu’il s’agissait d’un phénomène marginal qu’il ne fallait pas banaliser.




Alors est-ce qu’il y a des racistes au Québec? La réponse est OUI. Est-ce que le Québec est une société raciste? La réponse est NON.




Le Québec que j’aime




Comment en sommes-nous rendus là aujourd’hui? Poser la question, c’est y répondre. Y répondre, c’est entrer dans un dialogue sincère avec l’autre. Or, le dialogue sincère suppose l’ouverture, l’écoute, la nuance et la franchise, le partage des torts et des responsabilités aussi. Le problème est plus profond qu’on ne le pense.




Les Québécois de toute origine, francophones particulièrement, ont montré leur humanité. Par un froid glacial, ils ont trouvé les mots pour dire qu’ils partageaient la douleur des familles éprouvées et qu’ils étaient contre la violence. Au palmarès des honneurs, il faut rendre hommage au peuple québécois. Il a fait preuve de sa grandeur à la face du monde. C’est le Québec que j’aime!




Du côté musulman, et malgré la douleur de l’épreuve, nous avons assisté à des moments de grâce, notamment lorsque le cofondateur du CCIQ, Ben­abdallah Boufeldja, a déclaré au peuple québécois «je vous aime», le 31 janvier dernier, à l’église Notre-Dame-de-Foy, à Québec. Quelle noblesse, quand il a déclaré à l’adresse des 17 orphelins: «Nous leur dirons qu’il s’agissait d’une “erreur” pour qu’ils ne gardent pas “rancune”.»




Et que dire du magistral ambassadeur de Guinée, dans son allocution aux funérailles de Québec, le 3 février dernier, rendant hommage à deux victimes québécoises originaires de son pays? Il est allé jusqu’à accorder son pardon et celui des familles endeuillées au présumé tueur. C’est fort, très fort comme symbole. Tout d’un coup, nous avons découvert que l’humanité n’a ni race ni religion.




Balayer devant sa propre porte




«Le racisme est un problème complexe qui nécessite un bon diagnostic de ses causes et de ses manifestations». C’est ce que je déclarais au Journal de Montréal le 16 avril 1993.




Dans le contexte de l’instabilité internationale de notre monde, il est diffici­le d’ignorer que la violence qui menace notre sécurité et notre paix socia­le est aussi l’œuvre d’individus et de groupes se réclamant de l’islamisme radical.




Pendant des décennies, les démocraties occidentales – Québec et Canada inclus –, un peu par indifférence, un peu par ignorance et beaucoup par opportunisme politique et par appât du gain, ont fermé les yeux sur la montée fulgurante de l’idéologie salafiste, un cancer aujourd’hui généralisé aux pays musulmans et non musulmans.




Les musulmans d’ici et d’ailleurs sont les premières victimes de cette folie meurtrière qui a marqué notre conscient collectif. Le silence de la majori­té des musulmans face à l’islamisme radical est assourdissant. Le tort qui est fait à l’islam et aux musulmans par les idéologues de la haine et les «leaders» autoproclamés est irréparable.




La balle est maintenant dans le camp des communautés musulmanes elles-mêmes. Les extrémismes se nourrissent réciproquement de leur haine mutuelle. On ne peut combattre le racisme si on ne combat pas les discours haineux et la violence djihadiste à l’égard des «mécréants». À l’instar du peuple québécois, les musulmans du Québec doivent montrer leur humanité en dénonçant la violence commise en leur nom et au nom de l’islam.




On ne peut pas continuellement deman­der aux autres de faire ce que nous refusons pour nous-mêmes.




«Une seule main n’applaudit pas» si nous voulons bâtir une société pluraliste harmonieuse, inclusive et respectueuse de sa diversité. Il en va de notre crédibilité et de l’avenir de nos géné­rations futures.




 



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