Le Québec à l'heure du choix - Quand les prévisions de Jane Jacobs se réalisent (2)

Mirabel et la saga des aéroports de Montréal donnent sans doute l'image la plus saisissante de la régionalisation de Montréal et de son inféodation à Toronto.

17. Actualité archives 2007

[Dernier de deux textes->2310]

À la fin des années 60, Pierre Trudeau a annoncé que Montréal serait «la porte d'entrée du trafic aérien au Canada et géant du transport à 60 minutes de vol de New York, trois heures de Nassau, six heures de Paris, Bruxelles ou Madrid». Or, à la suite de décisions politiques du transporteur «national», avalisées par le gouvernement du Canada, Toronto, dont l'aéroport s'appelle Pearson, est devenu cette «porte d'entrée» tant vantée, et Montréal, dont l'aéroport s'appelle Trudeau -- juste retour des choses --, est totalement insignifiant pour le transport aérien, n'étant qu'un satellite desservant la «métropole canadienne».
Image saisissante, mais elle est aussi la pointe d'un iceberg. La liste des domaines où Montréal et tout le Québec doivent se plier aux impératifs et aux besoins de la métropole canadienne est longue et troublante. Elle va de la fuite des sièges sociaux au cinéma et à la culture en passant par la Bourse et les marchés financiers, les sciences biomédicales, l'énergie, l'agroalimentaire et autres.
Commentant les données du Fraser Institute sur les sièges sociaux dans les grandes villes canadiennes, le chroniqueur de The Gazette Henry Aubin notait récemment que «malgré la stabilité politique au Québec», les sièges sociaux quittent de plus en plus Montréal alors que Toronto et Calgary en attirent. L'explication de l'instabilité politique ne tenant plus, la raison doit se trouver ailleurs. Jane Jacobs y aurait vu s'opérer la logique «nationale» implacable du Canada.
Des exemples éloquents

Quatre ans après le référendum de 1995, Montréal perd presque entièrement sa place boursière au nom d'une réorganisation qui lui laisse toutefois l'exclusivité des produits dérivés pendant dix ans. Six ans plus tard, vu le succès de Montréal dans ce domaine, Toronto tente coûte que coûte de mettre la main sur ce domaine «exclusif» de Montréal tout en menaçant de se lancer dans les produits dérivés si les dirigeants de Montréal ne mordent pas à l'hameçon qui leur est tendu.
La même tendance se dessine dans la réglementation des marchés financiers. En juin 2006, un comité, mandaté par un ministre du gouvernement ontarien, recommande la création d'un seul organisme «national» pour réglementer les marchés financiers au Canada, éliminant du même coup l'Autorité des marchés financiers du Québec. Jim Flaherty, actuel ministre des Finances du Canada mais aussi ancien ministre des Finances de l'Ontario, saisit la balle au bond et, au nom de notre économie «nationale», appuie la création d'un organisme national de réglementation, qui serait nécessairement à Toronto.
Le cinéma et la culture en général, en plus d'être des cartes de visite internationales remarquables, sont devenus, pour le Québec, des moteurs économiques et identitaires importants. Mais les deux sont assujettis à des règles de financement et de promotion établies en tenant compte d'une économie canadienne dans laquelle ils jouent, proportionnellement, un rôle à peu près aussi important que celui de la pêche à Terre-Neuve. Et on sait ce qui est arrivé à la pêche à Terre-Neuve !
Ne pas se résigner
Jane Jacobs a bien résumé le problème en 1980 : ou bien le Québec sera souverain, ou bien les Québécois doivent se résigner au déclin de Montréal et à ses conséquences.
Si on ne s'y résigne pas, en quoi la souveraineté aiderait-elle Montréal ? Première chose, Montréal pourrait songer à un nouveau pacte avec le seul ordre de gouvernement supérieur, le gouvernement du Québec, sis à Québec ! Donc, possibilité de transferts de pouvoirs et de points d'impôt, ce que le Québec ne peut pas se permettre maintenant parce que son gouvernement n'a ni les pouvoirs ni les moyens de le faire.
Aussi, la ville de Québec, qui, par la souveraineté, verrait accroître ses pouvoirs et son rôle, composerait sûrement mieux avec l'idée de Montréal en tant que métropole du Québec.
Jane Jacobs a précisé sa pensée à ce sujet en entrevue en mai 2005. «Si le Québec était souverain, Montréal jouerait un rôle différent au sein du Québec. Ce serait comme en Europe, comme Paris, Copenhague, Stockholm, Francfort et, peut-être, Berlin. Toutes ces villes ont eu des rôles importants à cause de leur indépendance et parce qu'elles comptaient sur leurs propres moyens. [...] Les villes ne prospèrent pas toutes seules. Elles doivent faire du commerce avec d'autres villes, mais sur un pied d'égalité. [...] Dans le cas de Toronto et de Montréal, il y a un potentiel pour d'excellentes relations commerciales, mais ceci ne peut se faire sans un certain degré d'indépendance politique. Il s'agit d'une situation où Montréal et Toronto en sortiraient gagnants.»
En 1980, Jane Jacobs a conclu son chapitre sur Montréal et Toronto comme suit : «Comme nous le savons, la dépendance est débilitante. Sa contrepartie est parfois aussi vraie. C'est-à-dire que, parfois, l'indépendance libère des efforts de tous genres, dégage des sources d'énergie, d'initiative, d'originalité et de confiance en soi jusque-là inexploitées.»
Sommes-nous collectivement prêts à nous résigner au déclin de Montréal et à toutes les conséquences de ce déclin ? J'en doute ! Le choix est donc clair. La souveraineté du Québec, et le plus tôt possible.
Robin Philpot
_ Auteur du Référendum volé, Intouchables, 2005


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