Le projet de société des « camarades » de CLASSE

Tribune libre

Voilà 12 semaines déjà que s’éternise le boycott étudiant contre la hausse des frais de scolarité. Et l’on peut même ajouter qu’il s’envenime, à en juger par la nouvelle émeute survenue à Victoriaville, avec un jeune homme sérieusement blessé, alors que le parti libéral du Québec tenait son conseil général dans cette ville. Conscient que la tenue de pareil événement à Montréal aurait une fois de plus transformé la métropole du Québec en poudrière, Jean Charest a préféré une ville en région, comme si pareille manœuvre allait passer inaperçue et que le déroulement du conseil ne serait en rien perturbé. Pensée magique, quand tu nous tiens…

Alors que les probabilités de voir leur semestre compromis se dessinent à l’horizon, les étudiants contestataires, qui ne représentent que 25 % des leurs, ne baissent en aucun cas leur garde, bien au contraire. Le gouvernement, dans ce dossier précis, a habilement manœuvré, contrairement à sa prévisible habitude. Il a démontré une bonne foi apparente par la contre-proposition de la ministre Line Beauchamp de répartir la hausse de 1625 $ des droits de scolarité sur sept ans, au lieu de cinq, et de bonifier le système de prêts et bourses pour venir en aide aux moins bien nantis.
De leur côté, les associations universitaire et collégiale, la FEUQ et la FECQ, s’en tiennent au gel des frais de scolarité, mais ouvrent timidement la porte à une hausse inférieure à celle annoncé. « Évidemment, il va falloir que ce soit quelque chose de notable » a cependant prévenu la présidente de la FEUQ, Martine Desjardins.
La faction la plus radicale du mouvement étudiant, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) se distance – à nouveau – de ses collègues en allant jusqu’à « proposer » la gratuité scolaire par la mise en place d’une taxe sur le capital des institutions financières. Ainsi, croit Gabriel Nadeau-Dubois (GNB), il serait possible d’atteindre cet objectif dès 2016 en imposant une taxe cumulative de 0,14 % par année pendant cinq ans, sans que le contribuable n’ait à verser un sou. Si sur le papier, cette proposition semble défendable, elle ne tient pas compte des lois du marché, ni de la situation économique actuelle.
La taxe sur le capital des entreprises, instaurée en 1947 sous Maurice Duplessis, a été réduite peu à peu depuis 2007 par l’actuel gouvernement avant de disparaître en 2011. Il ne s’agit pas là d’une décision unilatérale, loin de là, puisque tous les partis politiques ainsi que certaines centrales syndicales avaient proposé sa diminution ou son abolition, alléguant que cette mesure constituait un frein à l’investissement et à la productivité, particulièrement pour le secteur manufacturier qui allait entrer en crise à partir de 2008. C’est ce dernier secteur d’activités que la contre-proposition de la CLASSE pourrait encore davantage fragiliser. Or cette coalition n’a-t-elle pas récemment affiché la prétention de défendre les intérêts des travailleurs ?
Qu’il soit question de gel ou de gratuité, faut-il rappeler à nos étudiants que nos universités, sous financées, soit par insuffisance de fonds publics, soit par une gestion plus que déficiente de certaines d’entre elles (dont l’UQÀM), risquent de devenir non concurrentielles, et les diplômes qu’elles décernent, aussi crédibles que de l’argent de monopoly. Même la proposition initiale de la ministre de l’Éducation, appliquée sur cinq ans, n’aurait pas délogé le Québec de son statut d’État aux frais de scolarité universitaires les moins élevés en Amérique du Nord.
« Une contestation beaucoup plus large »

Le controversé leader étudiant de la CLASSE a démontré, lors de son discours « historique » à saveur marxiste du 7 avril dernier, tenu au Monument national, que le boycott contre la hausse n’était pour lui qu’un prétexte en vue d’une lutte plus vaste remettant en cause les fondements mêmes du système politique et économique, nécessairement corrompu, selon lui : « Les gens qui veulent augmenter les frais de scolarité, les gens qui ont décidé d'imposer une taxe santé, les gens qui ont mis sur pied le Plan Nord, les gens qui ont mis à pied les travailleurs et les travailleuses d'Aveos, les gens qui tentent de mettre à pied les travailleurs et les travailleuses de Rio Tinto Alcan à Alma, les gens qui tentent d'empêcher les travailleurs et les travailleuses de Couche-Tard de se syndiquer, tous ces gens-là sont les mêmes.
« C’est les mêmes personnes, avec les mêmes intérêts, les mêmes groupes, les mêmes partis politiques, les mêmes instituts économiques. Ces gens-là, c'est une seule élite, une élite gloutonne, une élite vulgaire, une élite corrompue, une élite qui ne voit l'éducation que comme un investissement dans du capital humain, qui ne voit un arbre que comme une feuille de papier et qui ne voit un enfant que comme un futur employé.
« Ces gens-là ont des intérêts convergents, un projet politique convergent, et c'est contre eux que l'on doit se battre, pas seulement contre le gouvernement libéral. Et je peux vous transmettre le souhait, je crois, le plus cher des étudiants et des étudiantes qui sont en grève au Québec: c'est que notre grève serve de tremplin à une contestation beaucoup plus large, beaucoup plus profonde, beaucoup plus radicale de la direction que prend le Québec depuis les dernières années. »
Et poète, avec ça ! Pensez-vous que pareil leader soit disposé à régler le conflit en mettant de l’eau dans son vin dans un esprit « associatif » (sans jeu de mots) en vue d’un compromis ? Et que l’accessibilité aux hautes études demeure son principal souci ?
Qui est un petit con ?

« Petit con », c’est le qualificatif peu subtil dont GNB a gratifié Laurent Proulx, cet étudiant qui a obtenu une injonction l’autorisant à suivre ses cours malgré la « grève ». La CLASSE, qui a multiplié déclarations fracassantes et actions « musclées » depuis le début du boycott se voit de plus en plus dénoncée comme l’empêcheur de tourner en rond sans lequel le conflit aurait une chance de trouver une issue civilisée permettant aux parties en cause de délimiter un terrain d’entente et de sauver la face.
En « proposant » la gratuité scolaire, sachant très bien que le gouvernement ne voudra jamais la concéder, GND et sa CLASSE, en voulant pousser Jean Charest dans ses derniers retranchements, n’auront réussi qu’à se peinturer dans un coin. Si notre premier ministre s’est déjà montré capable de s’entêter jusqu’au coma cérébral contre la tenue d’une commission d’enquête sur la construction malgré un grogne populaire massive, que croyez-vous qu’il fera alors que l’appui populaire au parti libéral dans ce conflit vient de passer de 59 % en mars dernier, à 68 % en ce moment ?
Les liens idéologiques et financiers qui unissent la CLASSE au milieu syndical ne représentent un mystère pour personne, pas plus que les affinités électives de ce dernier avec le parti québécois, qui s’inscrivent dans une tradition politique de plus de 40 ans. Comment se surprendre de voir la chef du PQ, Pauline Marois, plus opportuniste que jamais, promettre non seulement qu’une fois élue, elle supprimerait la hausse, mais qu’en plus, elle rembourserait les frais de scolarité du présent semestre ? Voilà une façon on ne peut plus maladroite de joindre l’irresponsabilité à la démagogie, tout en trahissant un bien piètre flair politique et stratégique. Résultat : Mme Marois se voit à nouveau devancée par Jean Charest dans les intentions de vote, malgré sa remontée spectaculaire des précédentes semaines.
En effet, malgré ou plutôt à cause de leur malhabile tentative de renversement, cousue de fil blanc, Mme Marois, les associations étudiantes et les centrales syndicales auraient voulu donner une chance de survie à l’actuel gouvernement lors de prochaines élections qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. Des crédibilités étudiantes et syndicales amochées, des perspectives compromises pour le PQ de reprendre le pouvoir, le risque d’un semestre perdu, des frais considérables en maintien de la paix, des actes de violence et de vandalisme évitables, une paix sociale menacée, des injonctions non respectées, et toujours pas de solution en vue, voilà le triste bilan de cette « contestation beaucoup plus large ».
Pathétique et ridicule vaudeville où l’intérêt supérieur des étudiants n’aura été qu’un prétexte.


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4 commentaires

  • Olivier Kaestlé Répondre

    6 mai 2012

    @ Jean D'une part, nous avons un gouvernement entaché par des allégations et des soupçons qui pourraient bien s'avérer fondés à plus ou moins brève échéance, d'autre part, nous nous trouvons en présence d'un mouvement syndical et étudiant lié à l'opposition officielle en vue de renverser ledit gouvernement. GND a été clair quand il a affirmé que la lutte de la CLASSE servirait de tremplin à une contestation plus large.
    Je n'arrive pas à voir quoi que ce soit qui relève d'une réelle prise de conscience de principe qui puisse déboucher sur ce printemps québécois auquel vous faites allusion. Rappelez-vous le printemps arabe et la montée de l'islam politique qui en fut la conséquence. Mieux vaut ne pas pécher par excès d'optimisme...

  • Serge Jean Répondre

    5 mai 2012

    Appuis ou pas à Jean Charest, les bourgeons dormants de la dignité d'un peuple vont s'ouvrir quand même. On n'arrête pas le printemps qui vient à coup sûr,comme la crysalide devient elle-même papillon.C'était l'hiver.
    La dignité se lève, elle prend toute la place comme le soleil levant.
    Du reste, la bête s'est fait enfoncer l'épée plus profondément qu'elle ne le laisse paraître....et la blessure sera mortelle.
    C'est surtout ça que les sondages n'auront pas prévus.
    Honte à ceux qui seront assis à la table de banquet du peuple,à l'arrivée des invités.
    Jean

  • Olivier Kaestlé Répondre

    5 mai 2012

    Attention, M Lespérance, l'appui populaire ne concerne que le comportement du gouvernement dans le dossier précis du boycott étudiant. Le taux d'insatisfaction envers le PLQ demeure cependant très élevé, bien qu'il soit passé de 73 % en avril à 67 % présentement. Ce pourcentage ne lui garantirait certainement pas une victoire s'il déclenchait des élections, d'où son inaction, pour le moment.

  • Jean Lespérance Répondre

    5 mai 2012

    Voyons donc! S'il avait vraiment cet appui populaire, il aurait déclenché des élections. Mensonge et faux sondages. Moi , je pârierais que sa popularité n'a jamais été aussi basse et qu'elle doit battre tous les records.
    Vite, des élections!
    Vous souvenez-vous du budget de Monique Jérome-Forget, la dame au crayon magique, était-ce un mensonge ou pas? Il ne fallait pas révéler le déficit de la Caisse de dépôt, plus menteur que ça, tu meurs.