Le poids des 40 %

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« Pétage de broue »

Le voyage sur le yacht de Tony, les boucles d’oreilles à 12 500 $, le « deal » avec Claude Blanchet… Avec le témoignage de Michel Arsenault, les médias avaient l’embarras du choix des manchettes.

Une telle profusion a fait passer largement inaperçu un des nombreux enregistrements téléphoniques que la commission Charbonneau a mis en preuve au cours de la semaine. Le 10 décembre 2008, soit deux jours après les élections générales au Québec, l’ancien président de la FTQ explique à un collègue nommé Lawrence que, « si on avait mis la machine de la FTQ, Charest aurait été minoritaire ». Peu importe, poursuit-il, « j’me su gardé une carte dans ma poche de fesse avec Jean Charest, j’aurai pas trop de misère les quatre prochaines années, j’pense pas ».

Il est vrai que ce « pétage de broue » entre syndicalistes, comme M. Arsenault a lui-même qualifié cet échange, semblait très répandu à la direction de la FTQ, mais l’influence des syndicats est indéniable. Amir Khadir s’en prend souvent au « 1 % », ce petit groupe qui accapare « le gros du morceau », mais le Québec n’a pas le monopole du partage inégal de la richesse, qui est même plus accentué ailleurs. En revanche, un taux de syndicalisation de 40 % en fait une exception en Amérique du Nord.

En raison d’un contexte historique, social et économique particulier, les Québécois ont accepté collectivement d’accorder plus de pouvoir aux syndicats, mais cela leur impose en retour certaines obligations. Il va de soi que la légitime défense des intérêts des travailleurs ne doit pas se faire au détriment du bien commun.

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Ce qu’on a entendu à la commission Charbonneau au cours des dernières semaines constitue une sorte de bris du contrat social conclu entre les syndicats et le reste de la société québécoise. Quand le président de la plus importante centrale se transforme en laquais d’un entrepreneur frauduleux qui le traite aux petits soins et dont les concurrents sont systématiquement écartés pour lui assurer un quasi-monopole, on voit mal comment l’intérêt public peut y trouver son compte. Soit, les firmes de génie-conseil n’ont pas fait mieux, mais ce n’est pas une excuse.

Bien sûr, il ne faut pas mettre tous les syndicats dans le même sac, mais il ne faut pas se faire d’illusions : c’est l’image de l’ensemble du mouvement syndical qui est ternie par les pratiques véreuses des dirigeants de la FTQ-Construction et les « gamiques » de M. Arsenault. Tous ceux qui veulent réduire l’accès à la syndicalisation, voire l’abolition de la formule Rand, vont y trouver de nouveaux arguments. Les Johnny Lavallée, Jocelyn Dupuis et autres Richard Goyette auront causé plus de tort au syndicalisme que n’importe quel matamore patronal.

La publication du rapport final de la commission Charbonneau, prévue en avril 2015, coïncidera avec l’expiration des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic. Dans une négociation que la précarité des finances publiques annonce déjà ardue, les employés de l’État auront bien du mal à convaincre la population de l’altruisme de leurs revendications.

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Même si le programme officiel du PQ ne lui fait plus l’obligation de « reconnaître le syndicalisme comme voie privilégiée pour faire participer les travailleuses et les travailleurs à la vie démocratique » et de « faciliter le libre accès à la syndicalisation », il demeure largement perçu comme l’allié des syndicats. D’ailleurs, la proportion de syndiqués dans ses rangs est sans aucun doute supérieure à ce qu’elle est au PLQ ou à la CAQ.

Pourtant, si M. Arsenault a pu imaginer qu’il pourrait faire valoir son « deal » avec Claude Blanchet pour amener Pauline Marois à s’opposer à la création d’une commission d’enquête sur la corruption dans l’industrie de la construction, c’est aussi que les retours d’ascenseur sont monnaie courante, peu importe le parti.

Depuis 30 ans, tous les gouvernements ont lancé des SOS au Fonds de solidarité pour qu’il vienne au secours d’entreprises qui n’auraient pas trouvé de financement ailleurs, et la FTQ a certainement fait valoir ces investissements à l’appui de ses représentations de toute nature. Si le PQ a manifesté depuis sa création ce que René Lévesque appelait un « préjugé favorable envers les travailleurs », la FTQ a également trouvé en Raymond Bachand un précieux allié au sein du gouvernement Charest.

Tout le monde au Québec s’est élevé contre l’intention du gouvernement Harper d’éliminer le crédit d’impôt sur les investissements dans les fonds des travailleurs, mais la FTQ devra se résoudre à renoncer au contrôle absolu qu’elle exerce sur le Fonds de solidarité. Sa gouvernance devra inévitablement être revue d’une manière ou d’une autre. Devrait-on en remercier M. Arsenault ?

mdavid@ledevoir.com


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