Le poids d'un vote

Angélique Manon!



À chaque élection, la question se pose. Les citoyens bouderont-ils encore les urnes en plus grand nombre que la dernière fois? L'histoire récente laisse croire à une fatalité. En 2008, le taux a atteint le niveau le plus bas depuis le début de la Confédération: 58,8 %. La situation est encore moins reluisante quand on s'arrête au vote des jeunes de 18 à 24 ans. Entre 1984 et 2000, leur participation électorale a diminué de 20 %, rapporte une publication de la Bibliothèque du Parlement, et n'a cessé de décliner par la suite. On estime qu'en 2008, seulement 35,6 % des jeunes ayant la qualité d'électeur se sont prévalus de leur droit de vote. Ceci ne présage rien de bon pour l'avenir puisqu'on observe depuis 30 ans que l'abstentionnisme s'enracine avec l'âge.
Durant la campagne qui s'achève, les initiatives se sont multipliées pour encourager les jeunes à voter, la plus spectaculaire étant ces «vote mobs», des manifestations encourageant l'acte de voter tenues dans une vingtaine de campus du pays.
Personne ne sait si ces efforts auront l'effet voulu ni s'il s'agit du bon remède. Bien des gens, et beaucoup de jeunes, refusent de voir le geste de voter comme une obligation ou un devoir. Ils préfèrent le considérer comme un droit qu'ils sont libres d'exercer ou non.
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On associe souvent le refus de voter à un désintérêt pour le débat public. L'équation est fautive. Bien des électeurs, qui jugent de leur devoir de voter, le font sur la base d'impressions et sans nécessairement s'informer sur les enjeux. D'autres, et ils sont nombreux, s'abstiennent de voter justement parce qu'ils sont bien au fait de ce qui se passe et sont dégoûtés. Ils ont perdu foi dans le système ou ne se reconnaissent plus dans le discours des partis. En un mot, il y a de tout chez ceux qui votent et ceux qui s'abstiennent, tous groupes d'âge confondus.
La meilleure façon d'amener les gens, et surtout les jeunes, à exercer leur droit de vote est de leur offrir une bonne raison de le faire. Avec des partis réellement ouverts aux débats d'idées, capables d'offrir des choix pertinents, menés par des chefs qui inspirent confiance et respectent la démocratie. Et pour compléter le tout, un système qui donne un poids réel à chaque vote.
La campagne actuelle, avec l'inattendue montée en force du NPD, laisse transpirer une soif de changement, un désir de briser les vieilles routines politiques. C'est cette carte que le parti de Jack Layton a d'ailleurs joué avec son slogan anglais «Fix Ottawa» (Réparons Ottawa) et ces publicités en français qui montraient des chiens incapables de s'arrêter de japper et ce hamster tournant en rond. Ça pouvait paraître anodin, mais cela a touché une corde sensible. Or, de tous les groupes d'âge, c'est celui des jeunes qui est le plus enclin à soutenir les néodémocrates. Et selon le dernier sondage Angus Reid-La Presse, le NPD est aussi le parti favori parmi ceux qui n'ont pas voté en 2008.
Ces données montrent le grand défi qui attend Jack Layton lundi prochain: traduire ses appuis dans les sondages en vrais bulletins de vote dans l'urne. S'il y parvient, il démontrera que le désir de changement et un message qui le porte (avec ses forces et ses faiblesses, bien sûr, mais là n'est pas la question) sont la première et meilleure réponse à la désaffection. (Il faut cependant être capable de donner suite à l'espoir suscité.)
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Les partis ont une lourde responsabilité dans la lutte contre le désengagement des électeurs, ce qui ne dispense toutefois pas ces derniers de réfléchir aux conséquences d'un faible taux de participation.
Il y en a une immédiate et politique. Moins les gens votent, plus les conservateurs sont avantagés. Le Parti conservateur est le plus populaire auprès des électeurs plus âgés, qui participent en plus grand nombre.
Une autre conséquence moins évidente mais bien réelle de la faible participation de groupes socioéconomiques et démographiques particuliers est leur perte d'influence politique. Les partis ont tendance à concentrer leur attention sur les groupes électoralement rentables. On parlera donc moins d'environnement, mais davantage de soins à domicile. Chacun de ces enjeux est important, mais ils ne trouveront pas la même place dans les programmes.
Finalement, un risque très sérieux et trop souvent négligé, qui découle de la combinaison de la faible participation et de notre mode de scrutin uninominal à un tour, est la perte de légitimité éventuelle de nos gouvernements. Non seulement des gouvernements obtiennent des mandats majoritaires sans avoir récolté la majorité des voix, mais certains exercent le pouvoir avec l'appui d'une faible fraction de l'électorat.
En 1997, le libéral Jean Chrétien a reçu un mandat majoritaire avec seulement 38,5 % des voix exprimées. Mais quand on tient compte de l'ensemble des électeurs inscrits, qu'ils se soient prévalus de leur droit de vote ou non, on arrive à un mandat appuyé par seulement 25,4 % d'entre eux.
En 2008, Stephen Harper a obtenu 37,7 % des voix exprimées, mais l'appui de seulement 22 % de l'ensemble de tous les électeurs inscrits. Avec l'appui de moins du quart de l'électorat, il a pu gouverner deux ans et demi.
Chacun est libre d'exercer ou non son droit de vote, mais cette liberté a un prix. Lequel est-on prêt à payer lundi prochain?


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