Après des mois de conjectures, le gouvernement Couillard a finalement donné son aval au controversé projet Mine Arnaud cette semaine. La plus grande mine à ciel ouvert en milieu habité au Québec verra donc le jour à Sept-Îles. Une décision annoncée sans offrir un portrait complet de l’évaluation du projet, mais aussi au moment où la Santé publique dresse un portrait dévastateur des impacts d’une mine à ciel ouvert sur les citoyens.
En entrevue au Devoir lundi, le ministre responsable du Plan Nord, Pierre Arcand, se réjouissait de l’accueil réservé par les gens de Sept-Îles au projet Mine Arnaud. « D’après ce que j’ai vu aujourd’hui, il y avait un grand niveau d’acceptation de la part des gens », disait-il.
Il faut dire que la conférence de presse organisée pour annoncer le feu vert gouvernemental au projet s’est déroulée devant un parterre de partisans de Mine Arnaud. Aucun des groupes citoyens qui se sont montrés très critiques depuis trois ans n’avait été convié à la rencontre tenue en présence de trois ministres du gouvernement Couillard.
Ces citoyens, inquiets des impacts qu’aura cette imposante mine sur leur milieu de vie, ont d’ailleurs rapidement signifié leur sentiment de ne pas avoir été entendus. Même le maire de Sept-Îles, Réjean Porlier, redoute la suite des choses. Dans un geste rarissime pour un élu dont la ville dépend beaucoup de l’activité minière, il a même invité le ministre Arcand à faire preuve de plus de transparence. « Si le ministre veut vraiment que la controverse soit derrière nous, il faudra faire une séance publique et expliquer comment nous sommes passés d’un projet inacceptable à un projet acceptable, et ce, en toute transparence », a-t-il expliqué au Devoir.
Si M. Porlier dit ne pas douter de la rigueur de l’analyse menée par le gouvernement avant d’autoriser le projet, il a tout de même critiqué l’absence de nombreux éléments d’information dans le dossier. Le maire, qui devra composer quotidiennement avec la controverse au cours des prochains mois, n’a même pas pu prendre connaissance des études menées par Mine Arnaud pour répondre aux très nombreuses lacunes citées dans le rapport critique du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).
En fait, personne n’a eu accès à ces études, que les opposants au projet réclament depuis des mois. Impossible de savoir combien d’études ont été produites ni quand elles seront finalement publiées par le promoteur, qui se trouve à être principalement le gouvernement du Québec. « La documentation devrait être en ligne au cours des prochains jours », a simplement indiqué cette semaine la porte-parole de Mine Arnaud, Kateri Jourdain.
Projet inacceptable
Ce qu’on sait, cependant, c’est que le rapport du BAPE publié en février 2014 avait clairement jugé le projet inacceptable dans sa forme originale. Les impacts environnementaux auraient notamment été mal évalués. « La commission ne peut que constater que l’ensemble du dossier est incomplet et ne répond pas adéquatement aux enjeux relatifs à la contamination des eaux de surface et des eaux souterraines ainsi qu’aux risques de glissement de terrain et de tassement de sol », écrivent les commissaires dans ce document de quelque 200 pages. Le BAPE a aussi constaté la profonde division au sein de la population de Sept-Îles.
Un an plus tard, Mine Arnaud est devenu, selon le ministre de l’Environnement David Heurtel, « un projet exemplaire de développement durable, puisqu’il conjugue à la fois les développements économique et social, et la protection de l’environnement ». Comment cela est-il possible ? demandent aujourd’hui plusieurs citoyens de Sept-Îles, mais aussi leur maire.
Pour opérer une telle transformation, le promoteur aurait en fait pris 17 engagements. Qui plus est, Québec a ajouté 11 « conditions spécifiques » dans le décret. Celles-ci concernent les impacts sociaux et environnementaux du projet. Ce même décret souligne néanmoins qu’on s’attend à des « dépassements » des normes en vigueur en matière de qualité de l’air, mais aussi en ce qui a trait aux rejets provenant du site de la mine. Mine Arnaud devra cependant élaborer des mesures pour remédier à ces dépassements, le cas échéant.
Quant à la question de la viabilité du projet, le ministre Arcand n’y voit aucune source d’inquiétude. La Banque mondiale prévoit pourtant que les prix du phosphate (l’apatite qui sera extraite à Sept-Îles est composée de phosphate) continueront de reculer au cours des prochaines années. Selon un rapport publié en janvier dernier, les prix, actuellement situés à 110 $ la tonne, devraient poursuivre leur recul, pour atteindre 90 $ la tonne en 2025. Or, selon Mine Arnaud, le seuil de rentabilité du projet se situerait à 120 $.
Les données de la Banque mondiale soulèvent d’ailleurs une question cruciale, selon Normand Mousseau, professeur titulaire à l’Université de Montréal et spécialiste des ressources naturelles. « Tous les projets miniers sont risqués. Mais la question de la valeur de la ressource doit être analysée sérieusement. Dans ce cas, les données de la Banque mondiale nous interpellent. Est-ce que le gouvernement a ce qu’il faut pour mesurer le risque ? »
« Si on ajoute des contraintes environnementales à un projet, on ajoute des coûts, a-t-il aussi souligné. Mais on ne nous a donné aucun détail. On ne sait pas non plus à quel prix la ressource sera vendue à l’entreprise Yara, qui s’est engagée à acheter toute la production. Enfin, on met une croix sur toute la valeur ajoutée de la transformation, parce que le minerai sera exporté à l’état brut. »
On ne sait pas non plus qui sera le troisième partenaire de Mine Arnaud. Investissement Québec, qui prévoit d’injecter 120 millions de dollars dans le projet, a dit cette semaine que les négociations sont toujours en cours. Le troisième partenaire pourrait devoir investir 160 millions. Yara, une firme norvégienne reconnue coupable de corruption en 2009 en Libye, en Inde et en Russie, s’engagerait pour 120 millions. Une autre tranche de 400 millions doit provenir d’un prêt bancaire. Mais pour le moment, la seule « entente formelle » en vigueur « prévoit le partage des dépenses pour le développement de la mine selon les quotes-parts suivantes : 62 % pour Investissement Québec et 38 % pour Yara ».
Impacts à redouter
Si les questions de financement se règlent à la satisfaction du gouvernement Couillard, la population de Sept-Îles devra en outre vivre au quotidien avec les inévitables impacts liés à la présence de la plus grande mine à ciel ouvert en milieu habité au Québec. Selon les prévisions de Mine Arnaud, la fosse devrait mesurer 3,7 kilomètres de longueur par quelque 800 mètres de largeur. Une butte écran de plus de 40 mètres de hauteur serait aussi construite du côté sud de la fosse.
Bien que le promoteur se fasse rassurant quant aux effets de cette mine sur la population voisine, ils seront bel et bien au rendez-vous. L’Institut national de la santé publique (INSPQ) a d’ailleurs produit, pour la période 2006-2013, une étude faisant état des impacts de l’imposante mine Canadian Malartic. Cette étude, réalisée en novembre 2014, a été dévoilée par Le Devoir vendredi. L’INSPQ l’a d’ailleurs finalement publiée vendredi.
Le rapport dresse un portrait pour le moins dévastateur des nombreux effets négatifs provoqués par l’implantation de cette mine d’or en plein coeur de Malartic, au prix de la démolition de tout un quartier. « L’implantation de la mine a entraîné des impacts sociaux, dont l’accroissement des inégalités entre les citoyens, les conflits et la polarisation de la communauté », soulignent les chercheurs.
Inquiétudes
Parmi les « effets psychosociaux négatifs », l’INSPQ constate une augmentation de la consommation d’alcool et de drogue. Les inquiétudes pour la santé sont par ailleurs omniprésentes. « L’étude démontre que les activités minières causent des nuisances pour la santé : poussière, vibrations et sautages, circulation routière accrue, bruit. » Fait à noter, Canadian Malartic a reçu plus de 150 avis de « non-conformité » du ministère de l’Environnement du Québec depuis sa mise en exploitation.
Malgré la longue liste d’impacts négatifs pour leur communauté, un grand nombre de Malarticois semblent résigné, a noté l’INSPQ. La « majorité » d’entre eux entrevoit en outre l’avenir avec pessimisme. Bref, la réalité des impacts significatifs est clairement démontrée dans cette étude financée par le ministère de la Santé et des Services sociaux.
Pour le porte-parole de la Coalition Québec meilleure mine, Ugo Lapointe, il est pourtant évident que le gouvernement du Québec n’a absolument pas tenu compte des conclusions de l’étude avant d’approuver le projet Mine Arnaud. « Il faut absolument que le gouvernement revoie sa décision à la lumière des constats sans appels inscrits dans cette étude », a-t-il donc réclamé.
Pour le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, le dossier de Sept-Îles est non seulement réglé, mais il annonce aussi la suite des choses. « Il s’agit d’un bel exemple de projet que nous désirons voir se réaliser avec le Plan Nord : des projets porteurs, créateurs de richesse et d’emplois qui profiteront aux communautés locales, mais également à tout le Québec. »
ENVIRONNEMENT
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