par BESANCENOT Olivier, GROND Pierre-François - Ce qui se passe en Grèce nous concerne tous. La population paye une crise et une dette qui ne sont pas les siennes. C’est le tour du peuple grec, demain d’autres suivront tant les mêmes causes produiront les mêmes effets si nous nous laissons faire.
D’abord et avant tout, exprimons notre solidarité pleine et entière à la population qui souffre d’un plan d’austérité sans précédent, doublé d’un mépris et d’une arrogance qui confinent au racisme. Les grèves, les manifestations sont légitimes, nous les soutenons. Ce n’est pas la crise du peuple grec, c’est la crise du système capitaliste mondial. Ce que subit le peuple grec est révélateur du capitalisme d’aujourd’hui. Le plan dicté par l’Union européenne et par le Fonds monétaire international (FMI) foule aux pieds les règles les plus élémentaires de la démocratie.
Si ce plan est appliqué, il produira un effondrement de l’économie et des revenus de la population sans précédent en Europe depuis les années 1930. Est éclairante également, la collusion des marchés, des banques centrales et des gouvernements pour faire payer à la population la facture des errances du système. M. Sarkozy ose encore parler de la nécessaire régulation du marché alors que toutes les mesures qu’il fait appliquer sont plus que jamais libérales. Un consensus droite-gauche mortifère accompagne le mouvement. Le plan est conçu par des gouvernements européens de droite et de gauche… et par Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI, institution qui sévit dans le tiers-monde depuis des décennies, et qui s’attaque désormais à l’Europe. Un plan qui est appliqué par un gouvernement socialiste, celui de Papandréou et dont le versant français est adopté par l’UMP… et les députés PS réunis.
La crise de la dette grecque est le troisième étage d’une crise plus globale qui a commencé, à l’été 2008 aux États-Unis. La spéculation financière menée par les principales banques occidentales a mené le monde au bord du gouffre et plongé l’économie dans la récession. Le chômage qui explose, les revenus et le pouvoir d’achat en berne en sont les principales conséquences. Les États ont sauvé ce capitalisme financier, ont ressuscité les banques, relancé le capitalisme à coups de centaines de milliards d’euros et de dollars, faisant ainsi exploser dettes et déficits ; mettant en difficulté les États les plus fragiles, comme la Grèce.
Désormais les marchés, une fois la crise digérée, s’attaquent à la dette des États et spéculent sur l’avenir des plus faibles. Quelle leçon de choses sur l’amoralité d’un système capable, en une année, de survivre grâce à la perfusion de l’Etat et de plonger ensuite celui-ci dans une punition spéculative. Une spéculation qui se lance à l’assaut de l’Espagne en attendant d’autres victimes. Lorsqu’il a annoncé, le 5 mai sur TF1, des mesures douloureuses imminentes pour « éviter un endettement comme la Grèce », le premier ministre, François Fillon, annonce aussi un plan d’austérité, dont la remise en cause du droit à la retraite à 60 ans ne constitue qu’un élément.
De fait, trois années de gel des dépenses publiques vont entraîner le blocage des salaires pour les fonctionnaires ainsi que des suppressions d’emplois dans les hôpitaux, les écoles et les autres services publiques, dont la population a besoin face à la catastrophe sociale engendrée par la crise. Au contraire, le boulier fiscal, qui gratifie un petit millier de privilégiés du remboursement de 376 000 euros en moyenne, voit son avenir garanti.
Deux poids, deux mesures. La voie grecque plébiscitée par les gouvernements européens consiste à s’attaquer aux droits sociaux. Parce que selon les règles du capitalisme mondialisé qu’appliquent ces gouvernements, l’Europe est en train de perdre la compétition mondiale face aux États-Unis et aux pays émergents. Leur solution pour regagner de la compétitivité vise à remettre en cause le niveau de vie et la protection sociale acquise en Europe par des décennies de mobilisation du mouvement ouvrier. Une spirale vers le bas sans fin. Et dire qu’on nous a vendu les traités de Maastricht, le traité constitutionnel, ou encore le traité de Lisbonne, comme les prémisses d’une construction européenne sociale et protectrice ! Quelle foutaise lorsqu’on rapporte cette promesse à la purge imposée aux Grecs – purge vendue à 5 % d’intérêt par ailleurs… Les banques européennes pourront continuer à s’enrichir sur le plan d’austérité grec, alors qu’elles sont les principales responsables du chaos économique mondial. Du coup, voter un tel « plan d’aide » sur les bancs de l’Assemblée n’a rien d’un geste humanitaire. Le PS, en ralliant le choix du gouvernement, se range au côté de la finance et non des opprimés.
Comme quoi l’UE, faute d’être solidaire, sait jouer les usurières sur le dos de la misère d’un peuple. La déclaration commune de M. Sarkozy et Mme Merkel pour sauver la zone euro en renforçant la « surveillance budgétaire » des États en infraction avec les objectifs du pacte de stabilité, en est une illustration. Dans l’Europe libérale, les pouvoirs publics ne s’autorisent à transgresser le pacte de stabilité que lorsqu’il s’agit d’ouvrir le robinet d’aides publiques pour les banques. L’humanité peut attendre.
Pourtant, jamais la nécessité d’une Europe sociale, solidaire, écologique, anticapitaliste ne s’est fait sentir de façon aussi urgente. Aucun des problèmes posés ne trouve sa réponse dans les frontières nationales. Nous sommes tous et toutes des travailleurs grecs soumis aux mêmes logiques. La dette des États est le produit de vingt-cinq années de libéralisme, de défiscalisation des entreprises, du capital et des dividendes des actionnaires, des plus riches. Vingt-cinq années de baisse continue des « fameuses charges » qui pèseraient sur employeurs et nantis. Cette crise n’est pas la nôtre. En Grèce comme partout en Europe, il ne faut pas la payer.
C’est pourquoi nous exigeons l’annulation de la dette grecque. Refuser les plans d’austérité, dessaisir les banques du contrôle qu’elles exercent sur l’économie et sur la société, substituer à la Banque centrale européenne (BCE) un service public bancaire européen unique, qui ait le monopole des crédits, se battre pour l’annulation des dettes, c’est militer pour la vraie construction européenne : celle des peuples et des travailleurs, de la convergence de leurs luttes, pour une Europe solidaire, sociale et écologique. Faute d’entamer cette rupture pour construire une autre Europe, la logique souverainiste et nationaliste, avec son cortège de xénophobie, risque de prendre le dessus. La course de vitesse a débuté.
À l’époque, pour passer à la monnaie unique, tous les gouvernements libéraux, de droite comme de gauche, ont su imposer des critères de convergence économique drastiques. L’heure est venue d’imposer des critères de convergence sociaux avec un smic européen, un droit de veto des travailleurs européens et de leurs organisations contre les licenciements, et des droits sociaux et démocratiques fondés sur les législations nationales les plus favorables. Un tel projet doit être porté par une nouvelle force politique au-delà des frontières, une gauche anticapitaliste européenne qui se construit pas à pas. La leçon grecque est à méditer par toute la gauche radicale.
Partout, cette dernière est tiraillée par un choix : assumer une indépendance vis-à-vis de la social-démocratie ou s’inscrire dans une majorité de gestion avec la gauche libérale. Nous voulons tous battre la droite en Europe, comme en France, et cela implique de créer les voies d’une alternative face à celles de l’alternance programmée, déjà baptisée en France par le PS : « Gauche solidaire »… Solidaire des spéculateurs, en l’occurrence sur le dossier grec.
Source originale
Le Monde, 13 mai 2010.
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