Le peuple du Québec, subordonné aux dispositifs politiques

Chronique de Claude Bariteau

Vingt ans après l'échec des négociations du Lac Meech, le fédéralisme canadien a-t-il démontré sa capacité de se réformer de manière à satisfaire les besoins et les valeurs des Québécois? Qu'en pensent Québécois et Canadiens? Dans le cadre du colloque 20 ans après «Meech, quelle est la place du Québec dans le Canada?», quatre intellectuels — Danic Parenteau, Claude Bariteau, Gilbert Paquette et Jean-François Lisée — présentent leurs réflexions, que Le Devoir publie jusqu'à samedi. Le colloque, organisé sous les auspices des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO) en collaboration avec le Bloc québécois, aura lieu le samedi 8 mai prochain à Montréal.
Deuxième d'une série de quatre textes
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Toute population minorisée, fut-elle majoritaire sur une partie du territoire d'un État souverain, n'a de choix que son intégration progressive dans cet État ou son extraction. Comme la population du Québec peut s'extraire, la Grande-Bretagne et le Canada ont agi en conséquence. Il en a découlé une dynamique constitutive des conceptions qu'ont d'elles-mêmes et de leurs rapports les populations du Québec et du Canada hors Québec. Pour les saisir, rappeler leurs assises politiques est un détour obligé.
Les défaites françaises de 1758 (Fort Duquesne) et de 1759 (Québec) conduisent, à la mi-août 1760, aux accords d'Oswegatchie entre les sept nations du Canada et les Britanniques. Peu après, le gouverneur James Murray fait brûler les fermes des miliciens absents et Vaudreuil signe la reddition de Montréal. Insatisfaits des accords de 1760, Pontiac et des autochtones de la région de Detroit s'allient à des ressortissants français pour chasser les Britanniques. Ils sont neutralisés en 1763. La même année, le traité de Paris instaure une gouverne coloniale britannique. Après une révision des accords d'Oswegatchie (1769), des commerçants, seigneurs et membres du clergé pressent le conquérant d'élargir leur zone commerciale et de permettre le prélèvement des cens et de la dîme.
Bas et Haut-Canada
Par l'Acte de Québec (1774), Londres en fait ses alliés pour contrer la charge de régiments du Premier Congrès continental des États-Unis qui, avec le soutien de Canadiens, projette d'évincer les Britanniques de la «province of Quebec». Lors des affrontements de 1775-1776, l'armée britannique sort gagnante. Après la reconnaissance des États-Unis par la Grande-Bretagne, des loyalistes immigrent dans la province of Quebec, que Londres scinde en Bas-Canada et Haut-Canada en 1791.
En 1810, le Parti canadien revendique la responsabilité ministérielle sur les affaires locales. Le gouverneur entend plutôt fusionner le Haut et le Bas-Canada. Vingt-cinq ans plus tard, le Parti patriote vote un projet analogue. Londres s'y oppose. Le Parlement est aboli et un Conseil spécial est instauré. S'ensuivent les faits d'armes de 1837-1838. À Odelltown, les milices loyalistes et l'armée britannique étouffent un soulèvement populaire de Canadiens, d'Acadiens, d'Irlandais catholiques, d'Américains et de quelques autres.
En 1840, la Grande-Bretagne unit ces deux Canada. En 1848, responsables des affaires locales, les parlementaires votent la loi des pertes de la rébellion. En colère, les vainqueurs d'Odelltown incendient le parlement de Montréal. Lors de la guerre de Sécession (1861-1865) aux États-Unis, la Grande-Bretagne appuie les sudistes. Comme elle appréhende l'abandon du Traité de réciprocité (1854-1864) et une charge de l'armée de l'Union, elle incite ses colonies du Nord à se regrouper et invite les promoteurs d'un projet centralisateur à le modifier pour rallier une majorité de députés canadiens-français. Ainsi naît à Londres le Dominion of Canada en 1867. Quatre ans plus tard, la Grande-Bretagne règle son litige avec les États-Unis.
«Canadianiser» le Québec
Au terme de la Première Guerre mondiale, le Canada cosigne des traités internationaux comme État souverain et enclenche sa construction nationale. Il l'accélère à l'occasion de la Deuxième Guerre mondiale à la suite d'un accord temporaire des provinces pour élargir ses pouvoirs fiscaux. La guerre terminée, il refuse de s'en départir. Au Québec, une opposition force un rajustement.
En découlent la Révolution tranquille, l'apparition de projets d'égalité, voire d'indépendance, et la tenue de deux référendums. Le premier vise une transformation du Canada rendant égaux et associés les deux peuples fondateurs. Perdu, le Canada rapatrie, amende et scelle sa Constitution sans l'aval du Québec. L'accord de Meech de 1987 s'y bute et celui de Charlottetown (1992) est désavoué. Avant le référendum de 1995, la Cour suprême valide les accords d'Oswegatchie. Sa défaite justifie le Canada à mettre en place des mesures pour «canadianiser» le Québec.
Deux visions
Depuis la reddition de Montréal, ces assises politiques révèlent que la population du Québec est subordonnée aux dispositifs politiques, hier de la Grande-Bretagne, aujourd'hui du Canada. Par contre, celle du Canada hors Québec, subordonnée aussi à ces dispositifs, s'est retrouvée nantie d'institutions qui l'ont façonnée en nation politique. Voilà pourquoi ses membres véhiculent des opinions apparentées à celles des détenteurs du pouvoir canadien.
Quant à la population du Québec, ses propos sont davantage associés à une logique d'opposition parce que les démarches de refonte et d'extraction, de Pontiac aux référendums de 1980 et 1995 en passant par les liens avec les Américains et le soulèvement de 1837-1838, ont mené à des arrangements à l'avantage des vainqueurs.
Alors, avancer que le Canada naît de deux peuples fondateurs est inadéquat. Ses fondateurs, des parlementaires britanniques et ceux de ses colonies, ont agi sans mandat populaire. Ce pays s'est d'ailleurs réformé ainsi, ce qui s'explique qu'il promeut les visées de la Grande-Bretagne, celles des opposants au Parti patriote, celles des concepteurs d'un modèle centralisateur pensé en 1864 pour éviter toute pression sécessionniste et celles des adversaires de 1980 et de 1995.
Révisions unilatérales
Sous cet angle, le lestage d'éléments socioculturels qui spécifient le cadre provincial québécois s'apparente à des ajustements stratégiques pour maintenir le dispositif politique en place. Ce fut le cas en 1774, en 1867 et en 1960. Par contre, comme un renversement parut probable en 1834, en 1980 et en 1995, il y eut des révisions unilatérales. Aussi, le caractère distinct du Québec est seulement le choix des autorités politiques d'alors et d'alliés circonstanciels locaux.
Pour l'anthropologue que je suis, il s'agit de pratiques courantes lorsqu'une autorité politique recourt à des intermédiaires locaux pour gérer une population sur un territoire conquis. Au Québec, le lestage visait à détourner de la conscience collective la conquête et ses suites, notamment les divisions internes et la façon dont se prennent les décisions. D'ailleurs, à cause de ce détournement, est encore imaginée une nation ethnoculturelle érigée en peuple fondateur. Pour se distancer de ce mirage, il faut se rappeler les révisions unilatérales et quitter le terrain de l'identitaire, du rêve et des revendications pour celui de la consolidation d'une nation politique dotée d'un État souverain indépendant du Canada.
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Claude Bariteau - Anthropologue
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-Demain: «L'ADN du Canada: un plan pour la centralisation»

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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