Le péril ethnique

Hérouxville - l'étincelle

Je m'écarte de la politique fédérale, mais la question me tenaille. Où cela s'arrêtera-t-il? Le débat sur les accommodements raisonnables, il faut le dire, dérape et on peut craindre la tournure qu'il prendra durant une éventuelle campagne électorale québécoise. Le chef de l'ADQ, Mario Dumont, en a déjà fait ses choux gras et rien n'annonce qu'il y renoncera.
Le plus triste est qu'on confond allègrement accommodements et intégration, immigration et minorités de toutes sortes, religieuses en particulier. Les premières victimes sont les immigrants, qui se voient maintenant visés par tous ces défenseurs de la culture québécoise supposément assiégée. «Remettre les immigrants à leur place» semble le nouveau mot d'ordre. Il ne vient à l'esprit de personne que les néo-Québécois puissent avoir quelque chose à apporter, à faire partager, sans pour autant nous imposer un quelconque mode de vie.
«Accommodement raisonnable». L'expression le dit bien, l'accommodement doit être raisonnable pour avoir droit de cité. Il y a donc des demandes qui sont rejetées, notait récemment Bergman Fleury, ancien conseiller en relations interculturelles à la Commission scolaire de Montréal. Mais ça, on n'en parle pas. Il y a aussi des demandes qui sont acceptées parce qu'elles sont raisonnables. Les accommodements qui en découlent ne font pas de bruit parce qu'ils atteignent leur but, à savoir l'intégration et la cohabitation harmonieuse dans des milieux de travail ou des écoles où la diversité et ses défis se vivent au quotidien.
Et il y a ces accommodements qui semblent déraisonnables, qui méritent d'être mis en lumière et dont on a raison de débattre. Mais cela ne justifie pas de les monter en épingle pour s'en servir comme tremplin pour critiquer toute une communauté ou encore tous les immigrants.
Il faut voir, non seulement qui fait la demande -- en général un seul individu ou un très petit groupe --, mais aussi le pourquoi de son acceptation. Il y a de bonnes chances pour que la personne qui ait acquiescé à la demande l'ait fait au départ par bonne volonté ou naïveté, sans réfléchir aux principes en cause ou aux enjeux plus larges. Savoir qui a fait une requête et comment celle-ci a été acceptée ne la rend pas nécessairement plus acceptable, mais cela a l'avantage de mettre les choses en perspective et de calmer les passions de ceux qui croient leur culture en péril ou le Québec pris d'assaut.
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Les accommodements contestés méritent d'être débattus, combattus à la rigueur, mais sur la base de principes clairs, comme l'égalité des femmes. On croyait la chose entendue, mais on apprenait récemment que les évaluatrices de la Société de l'assurance automobile du Québec doivent céder leur place à un collègue masculin quand un juif hassidique vient passer un examen de conduite. On n'accepterait pas de tenir à l'écart un fonctionnaire noir ou juif, on n'a donc pas à plier quand il s'agit d'une femme. On parle ici d'un service public offert par un État laïc, et non pas d'une Église qui décide du rôle des femmes en son sein. Toutes les religions ont des positions défavorables aux femmes, certaines plus extrêmes que d'autres. Ces dogmes n'ont pas à régir la conduite des services publics. On est étonnée d'avoir à le rappeler et on se demande qui, ici, est le plus à blâmer. Celui qui a osé faire la demande ou celui qui y a accédé? J'opterais pour ce dernier.
Le débat sur les accommodements est légitime, mais le problème actuellement est qu'il a pris une ampleur et un ton sans rapport avec la réalité. La cible des attaques n'est plus seulement le ou les accommodements contestés ou ceux qui en ont fait la demande, mais des communautés entières ou même tous les immigrants, comme on le voit à Hérouxville avec son code pour «les nouveaux arrivants». Les appels à l'intégration des immigrants de la part de certains politiciens sont tout aussi dérangeants, car personne ne se demande où on en est à ce chapitre. D'abord, pourquoi cibler de façon particulière les immigrants? Les juifs hassidiques ne sont pas des immigrants. Il s'agit d'une communauté très ancienne.
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Il est dommage que les médias aient souvent abordé les différents accommodements sans les mettre en perspective. On a même vu certains articles faisant écho à des dénonciations d'accommodements qui n'existaient pas, comme l'interdiction du porc dans des cafétérias scolaires. En fait, les écoles que je connais qui ont exclu le jambon l'ont fait par refus du nitrate dans l'alimentation!
La Presse a publié des chiffres éclairants dimanche, une façon de contrecarrer ce portrait monolithique et réducteur des immigrants et des minorités. On nous rappelle que moins du quart des femmes musulmanes portent le voile. Que les protestants sont ceux qui se plaignent le plus de discrimination religieuse attribuable à l'absence d'accommodement. Que moins de 10 % des sikhs sont baptisés, c'est-à-dire qui peuvent porter le kirpan. (Je précise: on a recensé 8225 sikhs au Québec en 2001, ce qui veut dire que moins de 900 d'entre eux, adultes et enfants confondus, ont le droit de porter le kirpan. Je n'approuve pas pour autant son port à l'école, mais ça donne une idée de l'ampleur du phénomène.)
Dans l'arène politique, la réponse la plus sensée est venue du chef péquiste André Boisclair, qui promet de demander aux dirigeants d'institutions publiques de faire un portrait de l'état des lieux et de préciser les grandes balises qui devraient guider leurs décisions en matière d'accommodement. On aurait dû commencer par là. Mais la responsabilité de nos gouvernants va plus loin. Ils ont le devoir d'examiner comment lever les plus importants obstacles à l'intégration des immigrants. Les deux principaux outils sont l'éducation et le travail. Les enfants d'immigrants vont en général à l'école publique française, où on peut leur faire connaître la culture et les valeurs de leur terre d'accueil. Les adultes ont moins de chances. Depuis 1993, le Canada et le Québec privilégient les immigrants diplômés. Ils ont répondu à l'appel mais il leur faut beaucoup plus de temps que les générations précédentes pour sortir de la pauvreté, révélait récemment Statistique Canada. Une fois ici, leurs diplômes ne sont pas toujours reconnus. Même chose pour leur expérience de travail. Que suggère M. Dumont pour résoudre ce problème?
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mcornellier@ledevoir.com


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