Le paternalisme fédéral

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Le fédéral est inquiet de voir le Québec se doter d'un modèle de société différent de celui du Canada

Personne à l’extérieur du gouvernement Marois n’a vu ni ne verra jamais les avis juridiques sur lesquels Bernard Drainville dit s’appuyer pour plaider la constitutionnalité de son projet de Charte des valeurs québécoises. Son collègue de la Justice, Bertrand St-Arnaud, dont le ministère a été consulté, s’est montré avare de commentaires mercredi, déclarant simplement qu’il était « très confiant des assises juridiques qui sous-tendent ce document ».

Le constitutionnaliste Henri Brun, de l’Université Laval, qui conseille les gouvernements péquistes depuis des décennies, a dit qu’il ne gagerait pas sa chemise, mais qu’il y avait de bonnes chances que le document et les dispositions législatives qui en découleront soient considérés par les tribunaux comme une limitation aux libertés fondamentales acceptable dans une société libre et démocratique.

Son collègue de l’Université d’Ottawa, Benoît Pelletier, ancien ministre de Jean Charest, croit au contraire qu’il y a un « risque important » que certaines dispositions soient déclarées inconstitutionnelles, en particulier celles qui toucheront le port de signes religieux.

En réalité, personne ne peut savoir exactement ce que décideraient les tribunaux et éventuellement la Cour suprême. Peu importe, ce flou suffit amplement au gouvernement pour aller de l’avant avec son projet. D’ailleurs, s’il fallait s’abstenir de légiférer chaque fois qu’une loi risque d’être contestée, tous les Parlements seraient au chômage.

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On peut même soupçonner le gouvernement de souhaiter secrètement qu’il y ait contestation et plus encore que le gouvernement fédéral en prenne l’initiative, comme l’a laissé entrevoir le ministre des Affaires intergouvernementales et lieutenant de Stephen Harper au Québec, Denis Lebel.

Toute manifestation de paternalisme d’Ottawa provoque immanquablement une levée de boucliers qui apporte de l’eau au moulin souverainiste. Mardi, partisans et adversaires du projet de M. Drainville s’entendaient pour dire que ce débat devait être tranché par les Québécois eux-mêmes. Le mot de Maurice Duplessis, selon lequel la Cour suprême penchait toujours du même bord, à l’instar de la tour de Pise, a presque valeur d’évangile au Québec.

Durant les années qui ont suivi l’adoption de la Charte de la langue française, la Cour suprême en a invalidé plusieurs chapitres. La défense du français en a pâti, mais le PQ en a tiré un profit électoral en 1981. Le gouvernement Lévesque a pu se poser en vaillant défenseur de notre identité, tandis que les libéraux de Claude Ryan passaient pour le « parti des Anglais » et se faisaient au surplus rouler dans la farine par Pierre Elliott Trudeau.

Mercredi, Philippe Couillard a évoqué la mémoire de ce grand démocrate qu’était René Lévesque, semblant oublier que son parti s’était joint à ceux qui le traînaient dans la boue à l’époque. On a pourtant l’impression que l’histoire se répète. Drapé dans ses grands principes, le chef libéral laisse Ottawa et le Canada anglais dénoncer sans protester l’intolérance, pour ne pas dire le racisme de la société québécoise.

Quand le ministre de l’Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, dit qu’il est « un peu tanné » de ce Quebec bashing qui ressurgit périodiquement, il traduit un sentiment largement répandu que M. Couillard ne semble pas partager. Pierre Paradis, qui siège à l’Assemblée nationale depuis novembre 1980, se souvenait peut-être de l’époque de M. Ryan, quand il a invité son parti à tenir compte de l’évolution de la société québécoise.

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M. Couillard s’est trouvé des alliés inattendus dans le débat. Il était prévisible que tous les partis fédéralistes représentés à la Chambre des communes tombent à bras raccourcis sur le projet de M. Drainville, mais on avait un peu oublié la position défendue depuis longtemps par le Bloc québécois, qui diverge considérablement de celle du gouvernement Marois. Dès 2007, le Bloc voulait limiter l’interdiction du port de signes religieux aux seuls représentants de l’État en position d’autorité, et non pas à tous ses employés. Son chef actuel, Daniel Paillé, a indiqué que cette position était toujours fondée.

De passage au Devoir la semaine dernière, la première ministre a voulu minimiser ces divergences, assurant que la très grande majorité des souverainistes appuyaient l’idée d’une Charte des valeurs québécoises. Dans une lettre ouverte que l’on peut consulter sur LeDevoir.com, plusieurs personnalités regroupées dans le collectif Les indépendantistes pour une laïcité inclusive, notamment la députée bloquiste d’Ahuntsic, Maria Mourani, l’ancien président de la SSJB de Montréal, Jean Dorion, l’écrivain Yves Beauchemin, de même que le philosophe Michel Seymour, dénoncent toutefois cette « grave erreur stratégique », y voyant un électoralisme à courte vue qui justifiera la croyance que « le Canada est le dernier rempart contre certains abus ».


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