Le pari d’Alexis Tsipras

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Mathieu Bock-Côté bien mal informé





Je ne suis pas de ceux croient la Grèce victime innocente du capitalisme et des banquiers. Le pays s’est endetté maladivement, il a triché, même si on ajoutera très justement qu’il l’a fait avec l’aide d’agents crapuleux de la finance internationale qui ont camouflé son crime. Mais le modèle grec conduisait à la catastrophe. Il n’en demeure pas moins qu’on ne peut réduire la crise grecque à une simple leçon de morale tenant dans la formule suivante : la Grèce a péché, elle doit être punie pour ses crimes et payer. C’est peut-être satisfaisant pour les esprits vengeurs, mais cela ne saurait suffire comme analyse politique. L’histoire des peuples ne saurait jamais se réduire à une simple fable donnant satisfaction aux idéologues d’un camp ou d’un autre.


Alexis Tsipras vient de la gauche radicale. D’ailleurs, il s’en revendique. Cela suffit à le discréditer, pour plusieurs. Mais on ne saurait, dans les circonstances, le réduire à de simples catégories idéologiques. Nous ne sommes pas dans une simple querelle idéologique. En défiant la troïka et en prenant la responsabilité d’organiser un référendum sur ses propositions, il se place à la hauteur de l’Histoire. Il cherche à dévier le cours des événements, à soustraire son pays à un système qui le tient en tenaille et le condamne à la pauvreté perpétuelle. Autrement dit, il veut rompre avec la fatalité. Il veut, par une décision politique majeure, forcer le cours des événements et pour cela, il met le peuple dans le coup. Dans notre époque post-démocratique, c’est audacieux.


Quoi qu’on pense du personnage et de ses idées, il se comporte en homme d’État. J’entends par-là qu’il prend sur ses épaules le poids de l’Histoire et l’assume. S’il sauve la situation et permet un sursaut grec, l’Histoire le reconnaîtra comme un grand homme. S’il échoue, il passera pour un idéologue entêté incapable de tenir compte de la réalité et projetant son peuple dans un gouffre. Il passera pour le fossoyeur des siens. Faut-il ajouter qu’il sait aussi qu’il prend aussi possiblement sur ses épaules le sort de l’Europe, qui pourrait bien être entrainée dans une crise majeure. Dans les situations de crise, la politique concerne l’existence même des peuples. C’est ce qui fait sa noblesse. L’homme s’y déploie pour le meilleur et pour le pire.


La paix amollit les caractères et nous sortons en Occident de plusieurs décennies globalement pacifiques. Seuls les sots s’en plaindront. Normalement, les hommes politiques sont des gestionnaires plus ou moins qualifiés de sociétés tranquillement administrées. Évidemment, il y en a des bons et des moins bons, des compétents et des incompétents. Mais rarement sont-ils appelés à prendre des décisions qui les placent immédiatement dans l’Histoire. Soit ils seront loués, soit ils seront maudits. Soit ils auront été à la hauteur des événements, soit ils seront écrasés par eux. C’est le cas du leader grec. Il vient des marges, c’est vrai. Mais il faut quelquefois se tourner vers elles pour sortir des paramètres établis.


Alexis Tsipras vient de parier, et quel que soit le résultat de son pari, ceux qui en sont témoins en temps réel peuvent difficilement taire leur admiration. Rares sont les hommes qui ont encore le sens de la décision. Généralement, ils préfèrent se laisser porter par les événements. On dit aussi, inversement, qu’il arrive que l’événement fasse le grand homme, que la fonction conjuguée aux circonstances le métamorphose. Dans l’histoire de la Grèce moderne, c’est son heure. On ne sait trop comment tout cela tournera. Mais une chose est certaine : on voit maintenant comme jamais à quel point la politique engage la vie des peuples et à quel point ceux-ci ne sauraient s’en détourner sans sacrifier ce qu’ils ont de plus précieux.




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