Nous vivons en monarchie constitutionnelle, mais à Ottawa, le véritable monarque, celui qui gouverne au mépris des principes démocratiques et parlementaires, celui qui gouverne comme une sorte de dictateur «soft», c'est le premier ministre Stephen Harper. Bien sûr, on pourrait l'arrêter, mais cela prendrait une rébellion des fidèles sujets qui lui font face.
Dans les régimes autoritaires, l'action et le projet du leader s'appuient sur trois outils: la centralisation absolue du pouvoir, le contrôle total de l'information et l'utilisation du pouvoir discrétionnaire de nomination pour modifier des états de fait.
Traditionnellement, le pouvoir de nominations est utilisé pour récompenser des amis du parti, des personnes aux compétences imminentes ou des politiciens qui ont bien mérité de la patrie. Ce fut le cas du néodémocrate Ed Schreyer, qui fut nommé gouverneur général du Canada par le premier ministre Trudeau. Pour le monarque Harper, les nominations servent à modifier en douce l'idéologie ou le fonctionnement des organismes. Ce fut le cas avec le véritable coup d'État qu'il a téléguidé à Droits et Démocratie pour satisfaire les exigences radicales de la droite conservatrice à l'égard d'Israël. Les monarques ont horreur de l'indépendance d'esprit et c'est cette qualité qui assurait la crédibilité mondiale de Droits et Démocratie.
Les monarques n'ont que mépris pour les assemblées et les Parlements, ou encore pour les juges qui prétendent modifier les politiques au nom de la loi. Les monarques n'aiment pas les piliers de la démocratie. Quand le Parlement grogne et prétend exprimer la volonté de la majorité de la population, le monarque renvoie les parlementaires à leurs activités familiales. Lorsque le Parlement veut jouer son rôle de surveillance, comme dans le cas des prisonniers afghans, le monarque envoie ses sbires salir la réputation des témoins et invoque sa propre sécurité pour refuser de fournir les informations pertinentes. Quand les juges disent au gouvernement qu'il ne respecte pas ses propres lois, le monarque fait comme dans le cas d'Omar Khadr et de plusieurs autres, il porte la décision en appel, se soustrait à l'autorité des cours en tergiversant.
Les monarques choisissent à qui ils adressent la parole. Ne sont-ils pas après tout au-dessus des règles qui gouvernent le commun des mortels? Le monarque Harper ne répond aux questions que de quelques journalistes qu'il choisit lui-même. Pour s'assurer que les journalistes reçoivent le moins d'informations possible sur les activités de son gouvernement, on a mis sur pied ce qui semble être une politique systématique et généralisée de paralysie de la Loi d'accès à l'information. On va même jusqu'à trafiquer les documents qu'on remet aux journalistes.
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Le monarque ne croit pas qu'on doive tenir pour responsables de leurs actes ses confidents, ses hommes de main et ses représentants. Cette volonté de contrôler toute l'information et de paralyser les institutions parlementaires a atteint cette semaine un sommet jamais égalé dans l'histoire politique moderne quand le monarque Harper a décidé d'interdire au personnel politique de comparaître devant les comités parlementaires, principaux outils de contrôle démocratique de notre système parlementaire. Cette décision s'apparente à ce que les Américains appellent l'«executive privilege», une prérogative présidentielle rarement invoquée et qu'il faut surtout justifier chaque fois. Nixon tenta systématiquement d'utiliser cette échappatoire pour empêcher le Congrès d'avancer dans son enquête sur le Watergate.
Plus près de nous, George W. Bush l'invoqua pour empêcher un comité d'interroger son chef de cabinet soupçonné d'avoir révélé à la presse le nom d'une femme agent de la CIA, dans le but de nuire au mari de celle-ci.
Peu importe que la loi oblige tout citoyen à témoigner s'il est convoqué par le Parlement, le monarque affirme que ses proches et les proches de ses ministres sont au-dessus des lois. Évidemment, après le scandale des commandites, il fut facile pour les conservateurs de promettre la pureté et la transparence. En réalité, depuis la Seconde Guerre mondiale, le Canada n'a jamais été doté d'un gouvernement aussi opaque et totalitaire. Un gouvernement monarchique.
M. Harper est un idéologue éminemment pragmatique et il sait fort bien qu'en d'autres circonstances, nulle opposition majoritaire ne tolérerait de telles attaques aux droits du Parlement, au système juridique et à la liberté d'information. Mais voilà, ce ne sont pas des temps normaux. Les rebelles de l'opposition crient et hurlent au loup, mais ils ne sont pas prêts à sortir leur carabine de chasse, qu'ils n'auront plus à enregistrer bientôt. Alors, pourquoi ne pas modifier le paysage de ce pays pendant que l'opposition cherche péniblement sa propre voie?
C'est essentiellement la faillite du Parti libéral et de son chef à se définir et à projeter une image mobilisatrice qui permet au premier ministre de se transformer en souverain tout-puissant. Pendant que Michael Ignatieff et son parti ne parviennent pas à nous proposer une voie alternative, le monarque d'Ottawa sait qu'il a la voie libre et que, pour le moment, dans ce pays, la démocratie parlementaire demeurera une notion bien théorique qui ne mobilise que les chroniqueurs comme moi.
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